EDC de Zolem

Le secteur Marran semblait particulièrement immobile cette nuit-là.
Comme si le temps s’était suspendu. La noirceur du smog frôlant les buildings gouvernementaux donnait l’impression d’être enfermé dans une boîte. L’air était lourd et chargé de pollution. A tel point que sous la lumière des néons, des volutes d’un vert grisâtre semblaient stagner au-dessus du sol. Il faisait lourd et humide, si bien que l’eau est attirée dans le béton des façades par capillarité. Seuls les mendiants, implorant la générosité des rares civis passant, capuche sur la tête, fuyant la lumière, paraissaient court-circuiter l’immobilité ambiante. Tous fuyaient les rues ce soir-là.

Tous sauf… quatre silhouettes.

Vêtues de combinaisons d’un noir brillant comme du latex, telles des tech 4, ils progressaient dans les recoins d’ombre de la ville puante. Quittant la clinquante Haute ville pour traverser les zones commerciales du Centre Ville et ses néons assombris. Tout ceci, pour finir dans les faubourgs sudistes, où l’air empoisonné est aussi nauséabond que ce que l’on peut s’y injecter dans les veines.

C’est là qu’ils pénètrent dans un bâtiment à l’aspect délabré, sans aucun bruit. Même le couinement du latex semble être aspiré dans un silence spatial.

La porte de synthébois sombre à l’aspect vieilli ne les arrêtent pas. C’est en un tournemain que le digicode grésille et s’illumine de vert, la poignée tournant alors sans aucune résistance.

Là, dans cet appartement à peine décoré, ils découvrent une ambiance de vieux bar clandestin, avec quelques bougies fondues sur un vieux piano, une baie vitrée au verre intérieur brisé, l’autre sali et fissuré. Même le papier peint a connu de meilleurs jours. Et à cela, se mêle pourtant des marques de richesse, comme un bar illuminé, aux étages couverts de bouteilles d’alcool plus fantasques les unes que les autres. Un robinet de laiton brossé au-dessus de l’évier de la kitchenette. Les seuls témoins de l’occupation des lieux sont un verre d’alcool délaissé sur un banc, face à la baie vitrée, et un cendrier plein.

Mais personne en vue.

Ils avancent alors, leurs pas silencieux glissants sur le parquet usé qui ne daigne pas grincer, et se glissent dans une chambre vétuste. Là, un corps recroquevillé repose sur un matelas défraichi pour seul confort. Des bougies dans un coin, non loin de plusieurs piles de livres, certains ouverts, d’autres refermés. Comme si leur lecteur était incapable de se contenter d’une lecture à la fois. Des guirlandes illuminent la pièce d’une douce lumière chaude, et surmontent un tag grossier déclamant poétiquement « sale pute ». Et pour finir ce triste tableau puant le désespoir, un miroir brisé fait face au matelas occupé.

C’est une elfe, vêtue d’un slip et d’un débardeur simple, le crâne rasé, le corps en chien de fusil autour d’une arme qui semble à cet instant plus grande qu’elle, le canon pressé contre son front. Ses oreilles aux modestes pointes ne les détectent pas dans son sommeil, tandis qu’ils s’approchent, et l’entourent sinistrement.

Ce soir, elle est leur sujet d’étude.

C’est toujours dans un silence pesant, comme si le monde portait des boules Quies qu’ils égratignent les carnets de notes, raturant, gribouillant, tantôt des chiffres, tantôt des mots, des graphiques, ou des dessins. Comme si, pour cette religieuse tâche, les decks n’étaient pas dignes d’eux.

Mais qui sont-ils ? Pourquoi étudier ainsi cette pauvre silhouette ? Dans quel but ?

Malheureusement, ce récit n’a pas la réponse. Tout ce que nous savons, chers lecteurs, c’est que cette nuit hors de la réalité conduira à l’établissement d’un dossier. Et ce dossier… livre tous les secrets d’Ozlem.
Tout ce qu’elle ne dit pas, tout ce qu’elle ne souffle parfois qu’à demi-mot. Toutes ces choses qui la poussent parfois à aller vers vous, et puis à s’éloigner aussi brutalement.

Mais même le CdC n’est pas aussi infaillible qu’il y paraît. Et ce dossier… pourrait fuiter. La question est alors :

Quel est votre prix ?