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Innerworld - La dernière note Bass

Il y avait longtemps maintenant que cette elfe avait basculé dans un autre monde.

Là, sous la pluie froide et brûlante qui perçait du smog, elle fixait son neuvopack, comme si celui-ci s’apprêtait à lui révéler le secret de l’existence. Elle était ailleurs, le visage presque sec sous la visière de sa casquette, les mains rongées par l’acidité trempée qui dégoûtait sur les bâtiments austères de cette rue du centre-ville.

Même les cris et les rires des passants ou les chuchotis des fouilleurs ne pouvait détourner son esprit du précipice au bord duquel il se tenait.

Combien de fois avait-elle levé la tête vers le ciel, comme si la Vérité allait s’abattre sur elle ? Elle scrutait cette épaisseur de gris étouffant, avec la nette impression de suffoquer. Le sol stérile sous ses pieds, les quatre murs qui la cernaient, et ce smog brumeux et dense au-dessus de sa tête.
Une détresse monta dans sa poitrine, oppressant ce palpitant comme si une main malintentionnée le tenait et le pressait dans sa paume. Elle eut encore ce sentiment horrible d’avoir vécu, et tant souffert… pour rien.
Avait-elle au moins amusé la galerie ? De ces yeux perçants dont elle sentait le regard peser sur elle à travers la brume et le ciel, à travers la stratosphère et l’atmosphère, à travers le temps et l’espace. S’amusaient-ils à voir ce grain de poussière qu’elle était se débattre pour garder la tête hors de l’eau ?

Elle aurait voulu leur rendre leurs regards condescendants. Elle aurait voulu les saisir par la nuque, et leur faire sentir la puissance du dieu qui l’habitait. Un dieu de Mort et de Vide. Un dieu de Chaos et d’Absence. Elle aurait voulu que le pouvoir que cachait son âme se manifeste avec toute la froideur et le désespoir qu’elle contenait chaque jour dans cette enveloppe de chair, qui se tortillait et protestait.

Mais c’est alors qu’elle sentit dans sa nuque la chaleur de ce feu ardent trop familier. Comme la morsure d’un pragar contre son derme, un claquement. Son corps perdit toute sa chaleur, et elle se retourna vivement. Il n’y avait rien, que le vide de la rue à l’odeur humide et piquante de la pluie rongeante.

Sur sa rétine, son visage était imprimé, semblable à celui qu'elle avait connu voici bientôt cinquante ans auparavant. Toujours aussi beau et insolent. Toujours aussi ardent, comme s’il était aussi chaud que des charbons rougis.

Son regard noir lui souriait, aussi sombre que l’abîme qui l’appelait chaque soir dans ses bras. Sa peau mate implorait une caresse, et elle se surprit à le craindre, de peur que ce velours ne l’empoisonne.

- Tes ténèbres ont un nom, Oz’, lui susurra une voix chaude et douce à l’oreille.

Une voix ronde et grave. Elle avait senti ce parfum d’ambre boisé, de cèdre et de pin citronné, couronné de tabac froid qui lui avait fait tant tourner la tête. Et elle s’éteignit davantage lorsque cette fragrance réveilla son corps contre son gré.

Elle n’était pas prête à se laisser avaler, mais ses jambes flageolaient. Elle savait que contre lui, elle était impuissante. Qu’il aurait toujours ce qu’il voudrait d’elle. Elle se maudissait d’être sa création. Il l’avait faite, il l’avait façonnée, elle le savait. L’horreur de la vérité fit monter une piqure à son nez, chatouillant ses yeux qui s’embuèrent. Elle était tétanisée, alors que ses mains puissantes prenaient possession d’elle. Il venait reprendre ce qui lui appartenait.

- Je t’ai suffisamment laissée jouer.

N’avait-elle jamais été libre ? Tout ce qu’elle avait tenté de construire n’avait-il été que la manifestation de sa permission ?

Elle s’était trompée. Elle n’avait aucun pouvoir. Ni celui de la Mort, ni celui de l’Absence. Elle s’était rêvée plus grandiose qu’elle ne l’avait été. Le dieu qui avait toujours sommeillé en elle n’était autre que lui. C’était sa Parole qu’elle avait transportée avec elle, se croyant émancipée.
Voilà bien longtemps qu’elle lui avait vendu son âme en échange des plaisirs innommables et innombrables qu’il lui avait offert.
Un baiser glacé se déposa dans sa nuque, et elle se gela sur place, des centaines d’aiguilles semblant piquer son crâne comme autant de cheveux qui garnissaient son cuir chevelu.

- Rentrons à la maison.

Un désespoir aussi profond et noir que ses yeux s’empara d’elle. Happée, pleine d’effroi, il l’emporta dans son royaume. Elle hurla dans un cri sans son, la main tendue, en espérant que quelqu’un la retienne et lui vienne en aide.

Mais il n’y eut personne.

Alors seulement, elle se réveilla en sursaut, le souffle court. Son vieux matelas défraîchit était trempé de sa sueur et de sa peur. Glacée et gelée, elle frissonna, et s’étreignit elle-même, mimant les bras rassurants d’un amant. Mais tout allait bien.

Tout allait bien.

Spoiler (Afficher)
Hommage à un RP très marquant, avec la participation d'une JD qui a tout mon respect et mon admiration pour la façon dont elle construit ses personnages. Chapeau tiré.
Merci pour vos étoiles et vos petits mots.

◊ Commentaires

• 

  Billie (214☆) Le 21 Février 2024
  C'est vraiment très bien écrit.

• 

  Zolem (171☆) Le 21 Février 2024
  Merci

• 

  Kindle (0☆) Le 22 Février 2024
  💫

• 

  Sebastiàn (253☆) Le 22 Février 2024
  Toujours un plaisir de RP avec toi, quels que soient nos masques, quelles que soient les histoires qu'on tisse ou qu'on détisse, ensemble, de loin ou de très près. Ta plume est décidément magnifique et je suis très honorée qu'un de mes perso t'ait inspiré de si beaux textes. En espérant te lire encore, longtemps.
  Bisous à la JD.

• 

  Ipomée (159☆) Le 22 Février 2024
  Sombre Ozlem, toute lueur d'espoir n'est il permis pour ton âme déchirée? Ces souvenirs épinglé et reliés de fils rouges et qui ne cessent de te tourmenter, les toiles s'entrecroisent ne laissant aucun répit ! Toujours de très beaux EDC *

• 

  Zolem (171☆) Le 24 Février 2024
  Vous me gênez, je n'ai pas l'impression d'offrir une si belle performance ! Un plaisir d'avoir joué avec vous deux ♥️ Merci tout plein