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Rémanence Ep9 : Castel
Episode 9 : Castel
« Entrez donc, Monsieur vous attend. »
Le majordome, un vieillard souriant en costume trois pièces, s’effaça pour laisser place au nouvel arrivant. L’antichambre du manoir était pour le moins intimidante. L’architecture et les couleurs dominantes restaient fidèles aux normes de l’ouest du secteur impérial : un opus africanum modernisé, alternant moellons de pierre et piliers taillés, le tout recouvert par endroits d’un parement pyramidal rouge et doré. Le sol était tapissé de velours avec par endroit des dalles de marbres aux motifs abstraits, plutôt étranges, et c’était là que l’observation devenait déstabilisante, car il y avait définitivement quelque chose qui ne tournait pas rond dans la décoration des lieux.
L’invité leva le nez et vit un lustre d’acier qui devait bien peser la moitié d’une tonne. Il représentait un objet à quatre dimensions, sorte d’hyper polygone obtenu par un usage savant de techniques trompe-l’œil. Il était difficile de le regarder trop longtemps sans sentir une sorte de vertige. Les grands escaliers centraux, quant à eux, défiaient la symétrie, pourtant très appréciée dans le secteur. En fait, les marches donnaient l’impression d’être orientées vers le haut puis… vers le bas, il aurait juré. C’était difficile à expliquer, le tout formait une boucle improbable sans transition logique, par un effet d’optique qui semblait reposer sur l’exploitation de la lumière provenant du lustre, le contraste entre le sol, les faces horizontales des marches et leurs faces verticales, et certainement un jeu de miroirs. Il mit un moment pour remarquer la supercherie. D’autres mystères attendaient certainement d’être décelés dans cet étrange hall, mais le majordome interrompit la séance d’observation.
« Je vais prendre votre veste. Bien, suivez-moi donc. »
Après avoir gravi les marches, non sans une certaine précaution - malgré les apparences, elles menaient bien en fin de compte à l’étage supérieur- ils s’avancèrent dans un large couloir dont le sol était recouvert des mêmes motifs abstraits qu’à l’entrée du manoir, puis ils tournèrent sur la droite, et passèrent une porte boisée déjà ouverte. C’était une salle de lecture calme et confortable, avec une petite véranda donnant sur une cour intérieure. Dehors, il faisait plutôt sombre, un orage se préparait au dessus du smog. Au centre de la cour, une fontaine représentant un ruban de Möbius était traversée par quatre jets d’eau qui suivaient des trajectoires sinueuses entre les arêtes de la sculpture, contrôlés par un dispositif électrostatique, l’invité conjectura.
Dans l’un des fauteuils de la pièce, non-loin d’une cheminée au cœur de laquelle crépitait un feu de farinium bleu électrique, le maître des lieux attendait calmement. C’était un homme d’apparence jeune, dans les dernières années de sa vingtaine, aux cheveux blonds platine, imberbe, et vêtu d’un costume beige très formel et de gants blancs. Une figure qui n’était pas inconnue de la majorité du secteur, car l’habileté de Castel Serté dans les affaires l’avait déjà propulsé plusieurs fois dans les brèves du DCN. Les corporations se l’arrachaient, mais jusqu’à maintenant, il avait surtout travaillé en freelance. Le majordome toussa, accompagné de l’invité, l’hôte se leva avec un grand sourire et lui tendit la main.
« Monsieur Palab, un plaisir de vous accueillir en ma demeure et de vous rencontrer enfin en personne. » Il empoigna fermement la main du Noble récemment destitué.
« Plaisir partagé. Mon esprit est quelque peu retourné par l’originalité de cet endroit. »
Castel rendit un sourire qui se voulait chaleureux, mais son regard insensible et ses iris de la même couleur que le feu de cheminée donnaient plutôt le résultat inverse.
« J’espère ne pas avoir déclenché une migraine ? »
Selim parvenait encore à garder son tact malgré l’aspect déstabilisant de la situation.
« A vrai dire, j’ai été architecte avant de me dédier à l’économie, et je pense avoir mis à jour quelques unes de vos ruses. Par exemple, le lustre. Ce sont des miroirs divergents, pas vrai ? »
« Non, c’est une question de bon angle et de bonne fréquence vibratoire. »
Il haussa un sourcil, feignant l’amusement.
« Ça dépasse mes compétences. Vous êtes un homme d’esprit et de goût. Vous feriez un excellent noble, si l’on jugeait les hommes à leur demeure. »
« Asseyez-vous, Selim. Je peux vous appeler Selim ? Appelez-moi Castel, au passage. »
Ils s’installèrent sur deux grands fauteuils qui se faisaient face au coin du feu. Le servant avait quitté la pièce en verrouillant la porte derrière lui, sans prendre de précaution particulière en dehors de sa discrétion naturelle.
« Comment faut-il juger un homme ? »
« Pardon ?», répliqua Selim, qui se sentait un peu moins à l’aise.
Castel resta silencieux. L’invité avala sa salive. Il fit le rapprochement entre la question impromptue et ce qu’il avait déclaré un peu avant, et échappa un « ah », avant d’hésiter quelques secondes pour répondre.
« A ses intentions, je dirais. »
« Vous n’accordez donc pas autant d’importance aux apparences que vous ne le laissiez croire ? » répliqua le jeune homme d’affaires, pour qui la discussion semblait banale.
« Tout dépend de ce que vous entendez par apparences. Pour déceler les intentions d’une personne, nous sommes forcés d’observer ses actes. En revanche, la manière de s’habiller ou de décorer sa maison ne révèle rien sur les intentions d’une personne selon moi. »
« Quels critères utilisez-vous pour déterminer si une action est représentative des intentions d’un homme, ou sans rapport ? »
Malgré son expérience au Conseil de la Noblesse, Selim ne pouvait pas maintenir le regard. Une peur irrationnelle et incontrôlable grandissait en lui, sans qu'il ne puisse l'expliquer. Ses phrases se faisaient plus courtes, ses mots plus réfléchis.
« Une question de bon sens. C’est quelque chose d’implicite. »
« J’aime beaucoup votre façon de penser. » dit Castel, avec un sourire.
Il versa une boisson gazeuse dans deux verres, et en offrit un à son invité. Castel était réputé pour son intolérance à un grand nombre d’aliments et de boissons, ce qui contribuait à sa réputation de grande fortune extravagante.
« Quelle est votre opinion sur le sujet ? » Interrogea Selim, réorientant l’attention sur son interlocuteur.
« Plus nuancée. Je pense que tous les éléments peuvent être pris en compte à un certain degré. »
Il fit un grand geste du bras, pointant dans une direction générale.
« La demeure, par exemple. C’est un sanctuaire. Un homme cherche le confort lorsqu’il est chez lui, et la manière dont il dépeint son sanctuaire en dit long sur sa vision du monde. Certains préfèrent s’entourer de ce qu’ils aiment, d’autres, les individus soumis plus souvent au stress extérieur, généralement, préfèrent un foyer en contraste avec leur environnement quotidien. Il faut prendre en compte notre complexité, nos nuances. C’est ce qui fait de nous des Humains, après tout. »
« Dans ce cas, en voyant ce ‘sanctuaire’… je pourrais en déduire que vous avez horreur de la normalité, à moins que vous ne soyez quelqu’un de tordu, le genre manipulateur, voire même un brin sadique. » déclara Selim, un peu plus confortable maintenant qu’il n’était plus le seul à être jugé.
« Touché. »
L’invité fut parcouru d’un frisson.
Castel rit.
« Alors », dit Selim, « dîtes-moi ce que vous attendez d’un homme hier influent, mais dont la carrière vient d’être réduite à néant. »
« J’aimerais marquer l’Histoire, avec votre aide. »
L’ex-Délégué de la DAI observa autour de lui : la bibliothèque luxueuse, le feu chimique, la véranda donnant sur le jardin, et le ciel parcouru à l’instant par le claquement sec de la foudre.
« Je ne vais pas vous mentir… le contexte s’y prête. »
Les deux individus procédèrent ensuite à la fondation de la West Corporation, et prirent le contrôle du tiers du secteur privé en dix ans, grâce à l’association de leurs talents et de leurs réseaux de relations.
Piégé sur le toit d’une banque sudiste, il se préparait pour sa mort, un revolver chargé mais probablement non-fonctionnel dans la main, celui qu’il avait récupéré sur le cadavre desséché d’un détective privé un peu plus tôt. Les rôdeurs se rassemblaient sur les toits voisins, ils attendaient que le lampadaire de sécurité s’éteigne pour de bon. Celui-ci clignotait fortement, puisant avec peine dans les dernières réserves locales d’énergie.
Le Cryogénisé pouvait apercevoir certains de ses prédateurs dans la pénombre : des créatures de cauchemar, à la peau pâle et aux longues griffes, aux visages jadis humains, mais déformés par des années de cannibalisme et de vie en meute. Evitant les zones éclairées, ils tournaient, affamés, et murmuraient entre-eux, lui semblait-il, mais peut-être n’étaient-ce que des hallucinations. Cette demi-heure de cavale l’avait épuisé.
Sa seule compagnie était le droïde volant dans la remise, ce petit poubelloïde qui lui avait permis d’activer la lumière d’urgence en passant par une sorte de réseau matriciel privé, lui offrant ainsi le luxe de repousser sa mort de quelques minutes et d’apprécier ses derniers instants dans la fraicheur des sommets de la basse-ville.
Adossé à la paroi de tôle, il observait Dreadcast la morte. Ses toits en ruines, lugubres, ressortaient de manière irréelle, éclairés par ces étranges lampadaires repartis inégalement dans les différents quartiers, seule arme contre la horde de mangeurs d’hommes qui contrôlait à présent les rues. Mis à part les bruits de rôdeurs bien trop proches, c’était le calme plat dans le secteur. Non, ce n’était pas son monde. Il n’attendait rien de cette cité fantôme plongée dans une nuit éternelle. Le futur était une déception et il n’aurait jamais du miser dessus. Il n’aurait jamais du abandonner son époque et se lancer dans une telle aventure. De la pure lâcheté.
Son plus grand regret était de ne pas pouvoir briser le cou de Castel et ainsi venger ses compagnons tous tués en cryo-sommeil, mais ce traître mourrait bien un jour de toute manière, comme tout le monde, si ce n’était pas déjà le cas. Quant à lui, Selim Palab, rémanence d’une époque révolue, il était prêt à partir. Il accueillerait les anges de la mort à bras ouverts… sauf le bras qui tenait l’arme. Celui-là, il en aurait besoin.
Mais quelques instants avant que l’obscurité ne reprenne son droit, un intercom intégré au robot se mit à crépiter. Une voix narquoise, des instructions.
Le toit de la Bourse qui Trouille fut alors plongé dans le noir. Lorsque la meute de rôdeurs affamés envahit les lieux, il n’y avait plus personne pour les accueillir. Un piètre festin eut tout de même lieu, car ils décidèrent de dévorer le plus faible d’entre eux pour oublier leur défaite.
Informations sur l'article
Rémanence (inutilisable ingame)
23 Mars 2017
1610√
12☆
6◊
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◊ Commentaires
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Line~46018 (137☆) Le 24 Mars 2017
Immersif. Extrêmement frustrant également, un univers qu'on aimerait voir dans Dreadcast. -
Zartam (851☆) Le 24 Mars 2017
C'est un peu comme ça que ça se passait quand on était invité dans le manoir de Stilicon... sauf que Castel est moins flippant. -
Line~46018 (137☆) Le 24 Mars 2017
... Le manoir de Stilicon... Que de souvenirs rien que dans la lecture du livre RP ... -
Valion~36896 (366☆) Le 25 Mars 2017
Underrated -
Grypium~23119 (248☆) Le 28 Mars 2017
Best lore bro, tu réussis à me faire rêver. -
Dall (211☆) Le 15 Décembre 2022
Rah l'angoisse ! On est en 346 ! Dans 4 mois on va savoir si Castel fera parler de lui dans le DCN ou pas !
Heureusement qu'on est prévenus, on pourra l'abattre avant qu'il encule tout le monde !