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L'Assemblée Funèbre
Nuit, fin de journée. Il était temps d'aller dormir.
3/320.3, matin.
Un réveil en cuve. Les dix premières fois, j'étais effrayé. Mais maintenant, je suis vieux. Au fil des décennies, l'habitude, la résignation, avaient pris le pas, et je ne tardais plus à retrouver l'air libre. Peu m'importais toujours le motif. Vengeance, contrat, attaque gratuite, visite de rebelle... l'important était de retrouver rapidement mes forces. Dans un vague rêve avant ma mort, il me sembla avoir reconnu un orc rebelle. Soit, pensais-je. Mon cercle avait cédé, il était temps d'aller voir les dégâts.
Cycle 8. Je me retrouvais non pas seul, comme je m'y attendais, mais dans un groupe de nouveaux clones, dont je m'éloignais au plus tôt. Les gens me lassent. Ils pérorent sans fin sur les causes de leur mort, comme s'ils n'avaient aucune responsabilité qui les attendent au dehors. L'attaque a dû être massive, pensais-je. Peu importait, ce n'était pas la première fois. M'extirpant de la masse, je m'éclipsais au plus vite hors du centre. Nul ne me retint, occupés qu'ils étaient, soit à spéculer sur le nombre d'assaillants, soit à se trainer avec une lenteur extrême. Ils n'eurent d'ailleurs pas l'occasion de m'aborder. Je ne pris pas le temps de reconnaitre les visages. Il ne me tardait que de commencer ma journée de travail ordinaire et de m'y laisser flotter jusqu'au soir.
Porté par mon élan, ce n'est que dans la rue que je pris la mesure du problème. Dehors, personne. Tout était noir, éteint. Les façades lumineuses éclairées ad vitam ne racolaient plus le chaland. Un coup d’œil à mon TP m'appris que le réseau impérial était indisponible. Black out. Il fallut un temps à mes yeux pour s'habituer. Je continuais à marcher. Surtout ne pas s'attarder. Dans l'obscurité, les ombres omniprésentes formaient des chimères, plus effrayantes encore que les créatures immortelles que je pouvais rencontrer au hasard d'un croisement. Dans le lointain, une silhouette masquée par le smog se découpa un instant. Aucune chance que ce soit un impérialiste. Je pressais le pas, et entrait dans un cercle au hasard devant moi, l'un de ces vieux bâtiments que vous passeriez d'ordinaire sans voir. L'entrée était libre comme un SAS éventré. L'intérieur était poussiéreux, l'air empli d'humidité. Depuis combien de temps n'avait-il pas servi? Je parcourais rapidement les pièces vides, accompagné par l'écho de mes pas sur le sol dallé. Les ténèbres, et rien de plus. Tombant sur des panneaux holo, et malgré ma faiblesse extrême, j'entrepris de les réparer. Une très, très vieille habitude. L'un d'eux me renseigna sur la nature du lieu, le CIIC, ou plus simplement un refuge d'ingénieur! J'y vis une facétie du destin, qui offrait un abri sûr à celui qui avait tant étudié la science. Au bout d'un long moment, certain que personne ne viendrait dans ce lieu oublié, je m'installais sur un vieux divan et pris le temps de lire mes messages.
Peu à peu, je pris conscience de la gravité de la situation. J'avais par miracle réussi à sortir du centre de clonage, à la faveur de la distraction des geôliers, mais pour les autres, les choses en allaient autrement. Tandis que je me remettais, je suivais pas à pas le fil des évènements. J'appris que mon clone épouvantablement faible, qui ne retrouvait pas sa vigueur au fil du temps, n'était pas un cas isolé. C'était le sort que nous partagions tous, nous qui avions été tués dans un secteur sans énergie. J'appris aussi que la démocratie est une bien mauvaise chose, et que quelle que soit la situation, les gens réclament des leaders. Les vieilles rancœurs, l'anxiété, l'attentisme, et les petites lâchetés se battaient entre elles pour bloquer les discussions. Et puis, en milieu d'après-midi, le leader attendu fit son apparition. Non pas "le", mais "la", en fait, Hazel, pour un temps auto-érigée en femelle Alpha. Si son plan avait des chances de succès incertaines, il avait le mérite d'exister, et peu à peu l'espoir collectif revint sous l'égide de la chef charismatique. Avec ses paroles inspirantes, ses cheveux roux et sa peau jeune, difficile de croire qu'elle était plus vieille que moi. Ce n'est en tout cas pas moi qui lui ferait remarquer.
Ayant entretemps réussi, au péril d'une nouvelle traversée dans le noir, à rejoindre mon domicile anonyme, c'est depuis mon lit que je lisais à présent la fin des hostilités et le renouveau sectoriel. Là, sous la couverture, je ne pouvais que spéculer sur le déroulement de la bataille. Aussi je l'inventais à ma façon, au fil des ordres lus. Il m'apparut en esprit des images fugaces de clones à la peau grise, au bord de la mort ultime, arpentant en nombre d'une démarche trainante les bâtiments et les rues sombres, obligés de parler à voix basse dans leurs coms pour ne pas être entendus des forces d'occupation. Je les vis en songe se ruer de toute leur lenteur sur les rebelles, tenant à peine leurs armes inutiles, leurs vêtements déchirés de la veille, dans un murmure de voix fatiguées mais haineuses qui allait s'amplifiant. Les hostis, submergés par le nombre, finissaient par succomber malgré les pertes infligées dans les rangs serrés, sous les coups de ceux qui, cachés au milieu, n'avaient pas subis l'outrage de la mort temporaire. Les impériaux étaient revenus de la cuve pour se venger de leurs assassins, histoire commune si elle n'avait pas concernée cette fois des centaines de personnes.
Bien après, le calme revenu, je répondis comme d'autres à l'injonction collective, et débarrassais mes coffres d'une tenue informatique promise à l'inaction prolongée, incité que j'étais par la promesse d'une indemnisation gouvernementale. Non pas que je ne l'aurai pas fait sans cela, mais la motivation en aurait été bien inférieure, et peut-être n'aurait-je pas jeté tout le lot. Ma journée de travail étant à mettre aux profits et pertes, je me hâtais d'un pas de vieille tortue agonisante vers mes appartements, la démarche ponctuée par les coups de canne rythmiques sur le sol. Les lumières artificielles rayonnaient à nouveau, rendant comme de coutume la nuit plus brillante que le jour. Une nouvelle journée presque ordinaire venait de s'achever sur le secteur Un, mon secteur.
Il était temps d'aller dormir.
Informations sur l'article
Moments malheureux
20 Octobre 2020
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