EDC de Wagram~66564
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Merci John (Non référencé)
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« John... laisse-moi souffler un peu... »
Ça venait du cœur. Ou des tripes. Du cœur de mes tripes. A ce moment donné, je voyais encore à peu près trouble, à peu près vague, devant moi, la silhouette qui dansait, qui trépignait. Je tournais avec le monde et mes joues brûlaient : je devais vraiment avoir une sale gueule. Et l’autre qui ricanait... Il devait jouir de me voir enfin parler pour lui demander une pause l’air de rien, comme si on était en pleine partie de squash au Club des Gentlemen. Ça avait fait son petit effet, on aurait dit. Et, si j’avais pas eu la bouche en sang et les tempes écrasées, j’aurais savouré. Lui, il entendait l’ironie, ma petite signature de fierté en plein drame. Il ricanait de me prendre encore pour un dur. S’il avait su. S’il avait su ce que cette phrase, ces quelques mots, ces souffles articulés m’avaient coûté.
Quand ils m’ont descendu sous ce bâtiment, y’a trois jours, j’avais bien senti que cette fois, le John, il déconnait pas. Pas de réception impressionnante avec le Patron, pas de doucereuse menace ou de petit rictus qui en dit long dans un silence pesant. J’avais déjà pris des coups dans la tronche, dans le bide, des taquets dans les jambes et des bleus à l’âme. J’avais déjà eu affaire à leurs faces de bites et je m’en étais toujours sorti, par la parlotte, d’un sourire, avec mépris. Et le Patron avait toujours donné l’impression d’apprécier chez moi ce qui me rapprochait de son propre caractère. Un caractère d’enculé, de tête brûlée. Là, à les voir dans cette cave, trois contre le mur, immobiles, sourire aux lèvres sur leurs bouches brumeuses, et l’autre tapette qui s’amuse en gigotant, en me tournant autour... là, c’est sûr, y’a du changement.
J’ai déjà remboursé. Avec du retard, ouais. Mais j’ai remboursé. Les premières heures, les premiers coups de latte dans les dents, les premières bourrasques de phalanges dans mes côtes, j’ai eu un doute. Mais j’ai remboursé, j’en suis sûr. Je comprenais pas trop ce qui m’arrivait. Mais j’ai affiché comme un con ma belle figure imberbe, celle qui cache depuis toujours mon sourire à tomber et mes yeux brillants. Maintenant que la tempête s'est levée et que l'ouragan est sur moi, mes yeux brillent mais c’est plus la même chanson. Et mon sourire est tombé... littéralement. John, John, John... laisse-moi souffler. Ils m’ont laissé attaché, la première nuit, toute la nuit, sur cette chaise qui me rentre dedans... je fusionne avec elle, je sens tout mon corps et raidi et mou sur ce plateau ignoble. Elle est là depuis toujours mais je ne la sens vraiment que depuis deux jours. Une chaise... on y pense pas. Mais quand t’es assis dans ta pisse et dans ta peur, que le Patron est loin et que tu ne comptes plus les coups... la chaise, c’est ton meilleur ami, qui te soutient, qui te maintient, qui te soupire dans le cou en te prenant dans ses bras pour te rassurer, qui regarde sans juger. C’est ton pire ennemi, aussi, qui te soutient pendant que John ajuste son poing fermé sur tes brisures de corps en miettes, qui te maintient bien droit en imprimant la marque du dossier en métal dans ton dos nu, qui te soupire des insultes en te coinçant dans ses bras, pour te perdre, qui regarde sans bouger.
J’ai levé les yeux et John a hésité. Je devais vraiment pas être beau à voir. Trois jours et ils ont toujours pas visé les couilles. Ils ont pas sorti les aiguilles ni la perceuse. Ils sont restés sobres mais ils ont insisté, à tour de rôle. Et je sais qu’après John, c’est le retour du gros musclé... il m’a tellement dérouillé que la première séance avec lui, alors qu’il me prescrivait un traitement de choc, trois doses matin, midi et soir, en haut, au milieu et en bas, dans le nez, l’estomac et les tibias, il m’a tellement dérouillé que je suis tombé dans les pommes. Le bonheur. J’ai plus rien senti pendant quelques minutes. J’étais loin et je souriais sans morfler. Et elle était là, dans l’herbe avec moi, sa main sur ma joue, à me caresser tendrement. Quand j’ai repris mes esprits, la caresse sur ma joue était toujours là. Mais le malade qui se tenait face à mon corps déjà en charpie, c’était pas Sarah. Il m’a caressé, oh oui. Et tendrement. Je savais qu’il allait revenir, après la séance de John. John, il parle, surtout. Et c’est un vicelard. Il se rappelle la cicatrice dans le cou et la broche sur la cuisse : alors il les vise, poing bien ferme. Je sens tout et je sens plus rien...
Il savait que c’était pas mon genre de demander une pause. Mais là, quoi, ils allaient me crever. Tuez-moi ! Tuez-moi ! que j’avais envie de gueuler. Mais j’ai pu que souffler une connerie... ils m’avaient détruit mais ma fierté débile, elle, elle était toujours là. Un peu calmée mais... là. Ce qui m’a fini, c’est que je venais de comprendre. Mes mains ne bougeaient plus, dans mon dos ; mes épaules se sont durcies et j’ai senti une douleur terrible me courir des omoplates aux aisselles. Y’avait déjà deux heures qu’ils avaient resserré les liens sur mes poignets et mon cerveau avait intégré que je n’avais plus que des avant-bras terminés par un doigt unique et bleu. Ma phrase a claqué juste avant une gifle qu’était déjà en l’air, prête à me fondre sur la gueule, et le John, ça l’a surpris. Ou soulagé. Il a du lire dans mes yeux pochés, sur mes pommettes fendues, que je venais de comprendre. Il devait attendre ça depuis des heures... J’avais vu, quand je voyais encore clair, qu’il était pas vraiment en forme ou en phase avec cette petite sauterie qu’on m’imposait. Il frappait quand même. Il me tournait autour en ricanant quand même.
Le Patron avait dû donner des ordres nets. Mais ça puait la déprime dans sa voix, à John. J’ai légèrement remué les pieds et j’ai craché ma supplique ridicule. Je venais de comprendre. De me rappeler. De saisir. Tous ces coups. Toutes ces questions idiotes. J’avais remboursé. Mais c’était pas le problème. Et c’était typique du Patron, ça ouais, de me faire payer un petit supplément. Je comprenais pas pourquoi. Mais là je comprenais. Et j’ai senti cette goutte froide et visqueuse s’échapper d’un pore de ma nuque, se frayer un chemin sur l’épiderme aux picots dressés, louvoyant lentement en me rayant le dos d’une fraîcheur dégueulasse, jusqu’à mes dernières lombaires en bosse... C’est sur ce chemin humide que je me suis vu moi-même, ahanant, assis dans cette pièce miteuse, cerné bien plus que par des gros bras qui me roulaient dessus, coincé entre le passé inviolable et l’inaccessible avenir d’après les douleurs. Il me faisait payer un petit supplément, le Patron, et je venais de comprendre pourquoi en suivant une goutte, la main de John comme prochain battement d’un décompte d’ultimatum. J’ai stoppé sa main d’une phrase et ça m’a presque plus étonné que lui.
Il avait approché sa main si vite de ma bouche, je voyais tellement plus rien que je crois que j’ai sursauté. Il m’a glissé une clope tordue dans la bouche et la seule chose à laquelle j’ai pensé pendant un quart de seconde c’est si j’allais être capable de fumer alors que je n’arrivais plus à respirer. Mais faut croire que fumer est plus naturel que respirer. Il a allumé la clope et j’ai vu qu’il avait compris que j’avais compris. Tout ça à cause d’elle. J’ai pas dit un mot mais j’ai cru le voir opiner, la bouche légèrement ourlée, un sourire presque amical. Dix ans qu’on se fréquente avec John. Et toujours dans des moments où je merde. Le Patron l’a bien formé, à la dure. Il le tanne, il lui chie dessus en permanence... il doit aimer ça, le John, c’est toujours ce que j’ai pensé. Depuis trois jours qu’ils nous relevaient, ma chaise et moi, tous ces cons frappaient parce qu’on leur avait dit de frapper. Mais John, lui, il savait. Il avait pitié. La balle de .45 que je lui avais mis dans le bras y’a cinq ans, les insultes qu’on s’était toujours envoyé comme des politesses de vieux messieurs, les quelques baffes du passé... tout ça, il avait l’air de le mettre en parenthèse. Il savait. Il savait et il frappait quand même. Tout ça à cause d’elle. Je venais de comprendre.
J’ai soufflé un peu. Un peu rauque, un peu brouillard. Mais j’ai soufflé un peu. Merci John.
◊ Commentaires
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Wagram~66564 (5☆) Le 11 Mars 2017
Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire.