EDC de Swan~3150

Le brouillard qui plane au dehors est aussi ennuyant et étouffant que ce putain de nain qui ne cesse de me bouffer la main. Ces poils de barbe écorchent mes paumes soigneusement hydratées chaque matin par mes soins. J’ai le sentiment qu’il me bave dessus et je dois faire un effort extraordinaire pour ne pas grimacer de dégoût devant ses sourires, lui laissant croire que je suis toute à lui. Et là, tout de suite, j’en rêve de ce brouillard. Je n’ai qu’une envie, et c’est celle de renverser l’imbécile de mes escarpins pour prendre une bouffée de pollution.

J’entends nettement les exclamations, les rires, et les prémices d’engueulade du bar depuis mon bureau. J’espère bientôt entendre des coups de feu pour me donner une excuse d’échapper à cette bouche repoussante, qui malheureusement n’est pas aussi petite que ces ridicules êtres que sont les nains, qui commence à monter le long de mon bras d’humaine d’un geste brusque. Une grimace pointe le bout de son nez au coin de mes lèvres, je le sens, mais il est absorbé par ma peau. Il s’arrête pourtant soudainement. Je respire légèrement sous le corset noir de ma robe.

- Vous êtes toujours aussi délicieuse, Miss Invidia. Et ces yeux gris…
- C’est parce que vous savez toujours aussi bien apprécier ma valeur, Lord Quanzar.
- Et quelle est-elle ?

Le nain avait toujours été un rapide. Et ce n’était pas plus mal étant donné mon dégoût pour lui. J’ai toujours détesté les hommes de plus petite taille. Malgré leur attirance pour la grandeur, ils n’ont jamais su satisfaire la mienne.

- Toujours la même.
- Vous allez m’achever par cette attente.
- Loin de moi cette idée.

Je reprends délicatement possession de ma main et me lève du fauteuil de velours rouge et imposant qui, j’en ai souvent l’impression, me sert tel le trône d’une Ambassadrice. Une grande Ambassadrice. Celle de la débauche et de la vengeance, en la mémoire d’Hujan Enclism. Je sens la main du nain passer sur la longue chevelure noire qui retombe dans le bas de mon dos. Je dissimule une grimace tant bien que mal alors que je me dirige vers la porte et pose ma main sur la poignée.

- Apportez-moi sa tête, et je vous donnerai chaque parcelle de mon corps pour assouvir vos fantasmes.
- Vous êtes toujours aussi dure en affaires, Miss.

Il ricane un peu, balançant ridiculement sa tête d’avant en arrière. Je me retiens de le gifler, pensant à tout ce qu’il peut m’apporter si je me contrôle jusqu’au bout de mon plan. Il me regarde à nouveau, très sérieusement.

- Vous voulez une tête, et j’ai besoin de vider la mienne en attendant pour répondre à vos exigences… et pas seulement ma tête.

J’ai appris l’art de retenir mes nausées depuis longtemps à présent. Une qualité essentielle pour survivre dans le milieu qui m’a accueilli avant et encore après la déchéance. Le nain affiche un sourire carnassier auquel je répondrai volontiers par deux balles de revolver, une dans chaque œil. J’ouvre la porte donnant sur le bar et le brouhaha qui s’en échappe. Je jette un œil, observant chacune des serveuses, mais je sais déjà qui s’occupera du nain. Aucune d’entre elles, bien aussi débauchées qu’elles soient, ne veulent mettre le Haut Dignitaire dans leur plumard. Elles en ont peur car c’est aussi un Inquisiteur. Aucune, sauf la petite NI, Mitsy. Elle ne sait encore rien et elle n’a pas encore le droit de dire non ou elle sait qu’elle retournera dans son T-Cast désaffecté, où les drogués et les violeurs se réunissent le soir, ramenant leur proie ou leur Kronatium et autre Synthécoke.

- Mitsy! Ici!

La petite vautour s’avance timidement vers nous, tandis que les autres filles dévisagent le nain un instant. Il leur suffit d’un regard foudroyant de leur patronne pour passer à autre chose. La seule chose que je trouve appréciable dans ce métier. Mitsy se présente devant nous, droite comme un piquet. Ses cheveux flamboyants dissimulent un tempérament plutôt calme qui me convient parfaitement. Ses plumes blanches rajoutent de la pureté à l’image qu’on peut se faire d’elle dans une rue de la Haute-Ville. Pour quiconque se sent attiré par sa race, elle représente l’excellence même de la beauté avec ses longs cils qui réchauffent le cœur des hommes d’un seul battement. Le nain ne s’y trompe apparemment pas non plus. Je le vois sourire largement.

- Lord, Mitsy va vous conduire à l’étage. N’est-ce pas, Mitsy?

La belle hoche doucement la tête. J’aime quand elles sont si dociles encore. Je la regarde emmener le noble, lance un dernier regard à la salle, puis referme la porte du bureau derrière moi. Le calme revient peu à peu dans mon esprit. Je soupire de soulagement.

- Qu’en est-il du plan, ma Lady?

Je sursaute légèrement, avant de fermer les yeux, rassurée. Sa voix chaude, sensuelle, et aimante arrive à point nommé. Mais cette manie de passer par la cour extérieure pour pénétrer sournoisement mon bureau continue de m’exaspérer. Mais qu’importe, il est là. L’elfe, aux courts cheveux bruns mettant en valeur ses oreilles, sort de l’ombre, arborant un sourire impérial qui me coupe toujours autant le souffle. Il est ma faiblesse, je le déteste autant que je l’aime pour cela. Il s’avance, alors que je suis toujours collée à la porte, faisant abstraction des bruits dans le bar. Je n’entends plus que le bruit de sa veste en cuir au fur et à mesure de ses pas.

- Je n’ai encore rien à célébrer… le nain prend son temps.
- Un Alte Nobilis qui prend son temps… étrange!
- Cela n'a rien de drôle... il doit quand même bien y avoir quelque chose pour faire tomber l’autre abruti! Il ne mérite pas sa vie paisible après ce qu’il m’a fait!
- Ne t’inquiète pas. On y arrivera, ensemble. Toujours.

Il sourit malicieusement, s’approchant lentement de moi. Je sais que je ne vais pas tarder à frémir de tout mon corps, et je me mords la lèvre d’avance.

- Il a surtout le bras long. Merde. Un Alte Nobilis. Il sait ce qu’il a à faire!

L’elfe si séducteur fait un bond silencieux vers moi, plaquant son index sur mes lèvres colorées d’un rouge pourpre, pour faire taire mon impatience. Je tente de retenir un frisson en plongeant mes yeux dans son regard vert. Il sourit en coin et place ensuite ses mains insidieuses sur mes hanches. Il se penche alors vers mon oreille, et me murmure "Chuuuuut…", tout en faisant délicatement remonter ma robe noire.

- Parfois, il faut prendre son temps… pour savourer…

Je ferme les yeux, frémissant d’avance devant sa fourberie.

- Et si ça peut te rassurer… je sais ce que je dois faire, moi.

L’elfe attrape ma nuque d’une main, et presse fougueusement ses lèvres contre les miennes en attrapant fermement ma jambe. Alors, j’oublie un instant le jeu de la vengeance pour celui de l’amour, car si le plaisir du premier se fait attendre, celui du deuxième est le seul à pouvoir combler pleinement mon impatience. Temporairement.

A suivre...