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Abduction
Valéri regardait les images défiler dans sa télé sans qu’aucun son ne vienne le perturber. Cela lui donnait la sensation de se sentir moins seul, et retirait tout attrait aux messages publicitaires qui tournaient en boucle.
Il s’étira afin de reprendre possession de son corps, délassé après une douche qu’il avait fait durer plus que de raison. À sa décharge il n’avait pas eu d’eau chaude depuis trois jours. Comme tous les habitants du sud, il subissait les restrictions d’énergie. Le régime avait beau affirmer que les coupures s’opéraient de manière égale dans toutes les zones dortoirs, il n’en croyait pas un mot.
Il était presque 16 ch, le chauffage tournait à fond, et comme un bon survivaliste urbain, il avait pris le temps de remplir assez de bouteilles et de container d'eau pour tenir durant la prochaine panne. Son conapt retrouvait pendant ces courts laps de temps un confort qu’il chérissait, seule ombre au tableau, il devait partir sous peu aller bosser.
C’était toujours ainsi, pensa-t-il en regardant à travers la fenêtre de sa tour au neuvième étage. Dehors la condensation du sol se mêlait à la brume du plafond atmosphérique et donnait l’impression d’un cycle heure plus avancé, ce qui n’empêchait pas les rues et avenues de grouiller de monde.
On finissait par s’habituer à tout.
La surpopulation, la pollution, les coupures d'eau et d’électricité, comme le bruit des chaussures à talon de la connasse du dessus des la nuit tombée, se dit-il épargné par ses horaires décalés, une heptade sur deux.
Il ne l’avait jamais rencontré, mais estimait que pour user de pareil artifice, elle devait tapiner. En banlieues aucune femme ne portait de souliers à talon, les siens ne devaient jamais voir la lumière du jour, et pourtant un doute subsistait sur son activité.
Elle logeait au dixième, ses clients devaient une fois arriver devant sa porte cracher leurs poumons sur le palier avant d’avoir le temps d’ôter leur pantalon. Lui qui devait en gravir neuf au quotidien savait de quoi il parlait. Il n’était pas un sportif accompli ni n’entretenait de culte de son corps, mais n’usait jamais de drogue ni d’alcool. Ce qui pour l’époque actuelle le classait dans une catégorie très réduite d’individus, et pourtant, les neuf étages, il les sentait passer.
Il termina de se préparer, éteignit les lumières et laissa le chauffage à fond. Ça durerait le temps que ça durerait, pensa-t-il, et avec un peu de chance il restera de la chaleur à son retour, puis ferma la porte derrière lui pour enfiler les escaliers dans une descente spiralée. Les ascenseurs étaient devenus trop risqués, même s’il y avait du courant à l’instant présent, il pouvait disparaître à tout moment. Les dépanneurs ne se déplaçaient plus depuis bien belle lurette pour venir en sortir les imprudents. Il fallait attendre que le secteur soit à nouveau alimenté, ce qui pouvait s’étirer sur plusieurs jours dans les cas extrêmes.
Il laissa le point de son corps l’entraîner, pour lui faire survoler les marches à vive allure, traversa les deux sas de sécurité, pour déboucher enfin dehors. Une fois sur le macadam direction l’arrêt de bus, pour rallier un RER, puis changer deux fois de correspondance.
C’était le deuxième la plus délicate, comme si s’approcher du cœur de l’étoile s’apparenter à glisser dans un entonnoir, le goulot finalisant l’arrivée n’était pas ce que l’on pouvait qualifier de confortable. À l’intérieur, on pouvait y sentir les effluves corporels de la moitié du wagon.
Tout le monde se tenait comme il pouvait, compressait le temps du voyage, le bruit de la rame voilait les râles des usagers mécontents. De nombreuses personnes s’équipaient de masques, pour leur rendre l’épreuve moins pénible, mais aussi moins risquée. Les pertes de connaissance avaient beaucoup diminué depuis que les fabricants jamais à court d’imagination proposaient de nouvelles gammes de plus en plus perfectionnées. Apport, d’oxygène, rajout de parfum, voire de molécules pour tous les petits bobos ou besoins de chacun. Aide à la mémoire, restauration d’un organe, ou légère euphorisation de l’utilisateur. Enfin, ça, c’était la propagande des industriels, se dit Valéri en observant un modèle inédit sur le visage d’un gars en face de lui.
Le freinage brutal de la rame les fit tous se crisper. Tension collective qui rendait l’instant plus grave, juste avant l’ouverture libératrice des portes, qui laissait le troupeau s’extraire de cette machinerie métallique insupportable.
Il rejoignait, ensuite, d’un pas pressé l’ensemble de la foule qui se dirigeait vers les sorties pour retrouver la lumière terne du début de soirée. Son périple à lui n’était pas encore terminé, il lui fallait atteindre la dernière navette pour l’amener à destination, c’est-à-dire au seul mégamarché, le Megraptor. Des millions de mètres carrés de rayon, 110K employés, et plusieurs millions de clients quotidien. Une usine à gaz qui tournait 7 jours sur 7, 22ch par jour, voire plus pour les périodes de fêtes ou de promos survitaminées inventées par les industriels pour gonfler leur chiffre.
Un temple pour des fidèles accros à la consommation, c’est ici que travaillait Valéri Mirabo agent de sécurité.
C’est ce qu’on pouvait lire sur son badge quand il le scannait à l’entrée du personnel pour rejoindre le vestiaire. Là, il lui restait juste le temps de se changer, de traverser un long couloir avant de se retrouver dans le magasin avec ses odeurs fictives, ses chants publicitaires assommants, peuplé de sa faune compacte qui ne désemplissait jamais.
Son poste de travail se situait à l’entrée ouest 220 b, devant les portails automatiques, à la frontière entre la galerie marchande et le centre commercial. Un box équipé d’une multitude d’écrans retransmettait en temps réel les images diffusaient par les caméras-espions, qui patrouilllaient en mode chien truffier.
C'est ici que sa journée débutée.
Informations sur l'article
Danger parking miné
22 Septembre 2024
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