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L'éveil d'un Dieu
L’homme ne pouvait ni voir ni entendre. Il s’était fait exploser les tympans pour mieux écouter les cris de son Dieu, et crever les yeux pour se noyer dans son néant. Sa peau était couverte de tatouages énigmatiques et tourmentés. On y distinguait des créatures aux formes hideuses défiant les lois naturelles, d’où semblait émaner une douleur innommable au milieu de paysages dévastés peuplés d’êtres terrifiants.
Il avait été à ses débuts un anthropologue de renom, cherchant dans les premiers âges de notre histoire, à mieux comprendre l’adaptation et le mode de vie des colons. Période sombre, avant que l’enceinte ne fût dressée pour nous protéger et que le dôme ne fonctionne, laissant l’homme démuni en proie aux exogènes et à la flore redoutable qui couvrait la planète. Ces premiers habitants auraient trouvé les traces d’anciens cultes oubliés de civilisations disparues à des époques antérieures à notre arrivée. Conservées et transmises depuis dans l’ombre de l’Imperium, par des adeptes dans le plus grand secret.
Perturbé par cette découverte et la persistance de ces croyances, il tenta de nous les révéler et de nous mettre en garde contre la présence dans les entrailles de Kepler, d’une entité malfaisante. Abomination à la cruauté dépassant tout ce qu’un esprit humain même dérangé pouvait engendrer, et surtout qu’il allait bientôt s’éveiller.
L’Imperium pour se préserver des troubles que ces révélations risquaient d’occasionner dans la population le condamna pour hérésie afin de l’obliger à se taire. C’est à l’ombre d’une cellule de rééducation idéologique qu’il se mutila et qu’apparurent ses tatouages, et sans qu’on ne puisse l’en empêcher, il écrivit avec son sang sur les murs, des avertissements qui devinrent des prophéties.
Tel un mauvais présage, des aurores boréales émergèrent dans la couche de nuages épaisse une fois la nuit tombée. C’est à ce moment-là que les gens se mirent à hurler dans leur sommeil, sans explication ni souvenir de leur rêve comme s’ils étaient la proie d’obscurs tourments. Terreur nocturne insensée dont il était impossible de libérer le dormeur même en le secouant, qu’on me demanda d’aller le visiter.
Je découvris par la suite que l’une de ses prophéties que tous avaient oubliées mentionnait que le repos des êtres favorable à sa venue disparaîtrait. Pour se transformer en cauchemar si terrible que certains en perdraient la raison ou en mouraient durant cette période.
Ces symptômes pouvaient tout aussi bien s’expliquer par l’apparition d’une nouvelle drogue de synthèse ou tout simplement par des troubles psychiques causés par une existence dissolue. Le problème, c’est que les personnes qui trépassaient pendant leur repos ne revenaient plus dans les cuves de clonages, mais leurs cris, eux, la nuit persistaient. Hurlements d’épouvantes que tous pouvaient identifier comme si leurs âmes soumises aux supplices continuaient de faire entendre leurs plaintes sur le reste des vivants.
Il était en face de moi, assis sur le sol, les jambes en tailleurs, à psalmodier des paroles pour la plupart incompréhensibles en oscillant d’avant en arrière sans jamais s’arrêter. Je lui glissais un clavier en braille pour que nous puissions échanger.
La première fois, il tapa des séries de lettres sans aucun sens commun, dans la plus parfaite anarchie.
La première fois, il tapa des séries de lettres sans aucun sens commun, dans la plus parfaite anarchie.
Mglw’nglui gawh’fhtagn fhqn’ wlgm…
Je les avais tout de même notés pour les conserver, sans me douter de leur importance ni de leur origine véritable. Ensuite, avec une peine évidente pour lui, vinrent se greffer dans ce charabia grotesque des mots de notre langage, comme une réminiscence d’un passé oublié. Des bouts de phrases, évoquant des cauchemars ou de sombres présages. L’information fuita, un de ses gardiens peu scrupuleux envers son devoir ou en proie lui-même à ces terreurs nocturnes, révéla à tous que dans les nuages qui coiffent en permanence notre secteur, bientôt nous découvririons des formes innommables apparaître et que tout alors commencerait.
La pareidolie est une adaptation mineure de notre esprit à discerner des silhouettes dans n’importe quel volume en mouvement, et si l’on influence les gens à les deviner, ils finissent par y voir les choses qu’on leur a suggérées.
Pour certains il s’agissait de tentacules furtifs, pour d’autres des yeux au regard menaçant, ou encore des gueules comportant une quantité anormale de dents rougies par le sang. Dans l’intention de préserver le calme, les autorités interdire à la population de dormir pendant la période nocturne, et avança une défaillance momentanée du système de clonage. Et pour rassurer les habitants, à la place des slogans publicitaires qui s’affichaient sur les grands hologrammes dans les artères de la cité, des messages de prévention, répétaient sans arrêt que les nuages ne cachaient rien, et qu’il était inutile de les observer.
L’IA principale déclara qu’il n’y avait nulle présence dans le ciel, et que le dispositif fonctionnait normalement, que l’anomalie provenait des individus et non du process en lui-même.
Mais tout avait déjà changé, les hommes se mirent à vivre dans la crainte, ils sentaient une menace latente et incommensurable peser sur leur existence. Une peur viscérale les envahissait peu à peu. On pouvait les voir la nuit déambuler hagards, le regard perdu n’osant plus s’assoupir dans la crainte de plonger dans le plus horrible des cauchemars qui ne prendrait plus fin même si la mort venait les emporter.
Le supplice pour les noctambules devint terrible, dans l’impossibilité de dormir, ils entendaient les hurlements des gens qui ne se clonaient plus, résonner partout dans les rues de la cité, ou les tours d’habitations. Comme si la ville s’était transformée en une géhenne guettant ses prochaines victimes, ne faisant qu’aggraver leur santé psychique déjà fortement éprouvée.
Mon repos comme les autres se trouva perturbé. J’avais de plus en plus de mal à me concentrer pour travailler. J’étais nerveux, susceptible, enclin à de violente colère, je sentais en moi le froid glacial du néant s'installer.
Quand je lui demandai un jour, où était partis les clonés qui ne revenaient pas, il s’arrêta un instant d’osciller comme un pendule. De ses yeux crevés révulsèrent une peur qui marqua les traits de son visage dans la plus atroce des grimaces avant de répondre… Ils sont à présent dans sa demeure, séquestrés avec lui dans la ténèbre de sa tombe pour une éternité de tourments, où il attend en rêvant…
— Qu’attend-il ?
Les aurores boréales naissent de particules astrales ionisées en pénétrant dans l'atmosphère.
— Enfermé depuis 250 millions d’années, il patiente et attire à lui tous les vents les plus froids et les plus noirs venus des étoiles lointaines pour le libérer et ainsi reprendre forme dans notre univers.
Petit à petit, la population commença à perdre la raison. Un nombre effarant d’individus s’étaient crevé les yeux, et enfoncés des tympans avec toute sorte d’objets pour se mettre à hurler la nuit avec les disparus. Amplifiant un peu plus la démence ambiante qui dévastait la cité.
Même les gardiens de la foi impériale succombaient les uns après les autres dans les affres du tourment. Dans un dernier sursaut de lucidité, je compris qu’il me fallait m’adresser à l’IA pour lui faire part de mes découvertes. Si l’abomination résidait dans les entrailles de Kepler, il serait facile pour elle de détourner toutes les canalisations d’eau, et noyer les souterrains ainsi que les soixante étages abandonnés depuis longtemps qui demeuraient sous nos pieds.
En quittant le temple de la soumission, je réalisais avec horreur comment ce cauchemar avait pris racine dans le secteur. L'odeur du sang et de la viande calcinée saturait l'atmosphère, des foules immenses s’étaient amassées, certains s’immolaient seuls ou en groupe pendant que d’autres s’entredévorer tout en copulant dans une frénésie hystérique qui me remplit d'un effroi glaçant. Car j’ai discerné dans le regard de certains qui ne s’étaient pas crevé les yeux, qu’ils fussent encore conscients de leur acte, même s’ils se découpaient un membre ou mutilaient leur voisin. J’ai senti la terreur sans nom qui les habitait sans qu’ils ne puissent rien faire pour s’empêcher de commettre pareil outrage.
Je suis arrivé à bout de souffle dans le bâtiment où résidait l’IA, s’il nous restait une chance, il était de mon devoir de la jouer.
Mon pouls s’accéléra encore, je montais quatre à quatre les escaliers de marbre finement ouvragés pour m’introduire dans la salle sans plus aucun garde à l’entrée pour la sécuriser.
L’esprit confus par la fatigue et les visions d’horreur qui ne voulaient plus me quitter, je pris deux minutes pour retrouver mon calme. Je commençai ensuite à dresser un exposé le plus précis qui soit, pour ne rien omettre en terminant par ma solution envisagée.
Sa voix au timbre posé et rassurant se fit entendre, je me mis à espérer.
Puis une chose étrange se passa, je fronçai d’abord les sourcils quand elle répéta en boucle.
… failed systeme… code source corrompu… failed systeme code source corrompu…
Avant de se taire quelques secondes qui me parurent durer une éternité, pour reprendre sur un ton grave et puissant aux intonations déformées et douloureuses, entrecoupé de borborygmes infâmes provenant des confins des abîmes du temps, qui me pétrifia de terreur.
Avant de se taire quelques secondes qui me parurent durer une éternité, pour reprendre sur un ton grave et puissant aux intonations déformées et douloureuses, entrecoupé de borborygmes infâmes provenant des confins des abîmes du temps, qui me pétrifia de terreur.
… Mglw’nglui il est inutile de fuir… gawh’fhtagn… la raison disparaît à ma venue pour ne laisser place qu’à la folie et la fureur de mon sang… fhqn’ wlgm… car je me nomme S’lghuo Voor, la fin de l’espoir, l’éternel tourment…
J’avais plaqué mes mains sur mes oreilles sans m’en rendre compte, et marchais à reculons. J’implorais du plus profond de mon être que tout cela cesse, que ce n’était qu’un cauchemar et que j’allais bientôt m'éveiller.
Quand je me retrouvais dehors, tout mon corps s'agitait de tremblement en proie à une frayeur incommensurable, les traits de mon visage déformé, je butais sur un individu agonisant sur le sol à côté d’une dague.
Sans ne pouvoir rien faire pour m’en empêcher, je me vis alors m'en emparer, et d'un geste lent et méticuleux, je lui crevai les yeux, avant de me crever les miens et je me mis à le dévorer en hurlant de terreur la bouche pleine de sang…
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Danger parking miné
29 Août 2024
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