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Le Glaive de l'Empire - Genesis


LE GLAIVE DE L'EMPIRE

Episode I : Genesis

Tous les jours, à l’heure de sortie des grandes entreprises, un flot de marée humaine venait s’ajouter à la masse compacte des hères dépourvus de toutes obligations temporelles qui vivaient et mourraient à même la rue.

On ne pouvait cependant pas les mélanger, leurs habits, leurs gestuelles, tout les différenciait, des logements de luxes aux taudis insalubres.

Genesis, fidèle à son habitude, ne pouvait s’empêcher de regarder ce spectacle étrange, ces gens si lointains de sa condition et de ses préoccupations. Epuisée d’avoir fouillé près d’une dizaine de cycles, couverte d’une boue épaisse qui rendait indiscernable la couleur de ses vêtements.

Elle ne manquait pas de volonté, non, mais tout semblait lui échapper. Profitant de la disparition de son compagnon, son proprio la pressait de payer ses loyers avec une insistance redoublée, sans jamais manquer de lui glisser qu'il pourrait l'aider à gagner quelques crédits supplémentaires. Ce vieux rapace lubrique espérait la faire travailler dans l’un de ses bordels crasseux, qui font de la mort un espoir de délivrance.

Ce soir-là, Genesis était au bout du rouleau. Le poids de sa vie misérable lui affaissait les épaules, lui tordait les intestins, lui donnait envie de vomir. Quand elle se retrouva chez elle, devant la glace de sa salle de bain, dans son état pitoyable, elle se mit à pleurer. Pleurer d’impuissance devant ce monde qui ne lui autoriserait jamais le droit de vivre dignement, pleurer devant sa faiblesse, pleurer de rage contre cette humanité qui en manquait tant.

Elle hurla alors sa colère, et son poing parti tout seul pour briser ce reflet humiliant de sa propre déchéance.

Les morceaux de verre s’éparpillèrent autour d’elle.

De sa main entaillée coula du sang. Elle se souvint.

Milan était rentré dans un sale état. Une rixe avec deux kobolds pour un deal d’armes volées qui avait mal tourné. Comme à chaque fois c’était elle qui s’en occupait.

Il se taisait, serrait les dents, mais elle voyait bien qu’il dégustait, ses blessures étaient profondes. Elle l’avait désinfecté sans le ménager, pour bien lui faire réaliser qu’encore une fois il n’était pas passé loin.

— T'as un vrai talent pour rafistoler Gen', lui dit-il le visage tendu, tu devrais t’enrôler, en faire ton métier, au lieu de perdre ton temps avec moi.

Genesis tira un peu plus fort sur l’aiguille pour serrer un point. Elle savait qu’il avait raison, mais elle l’aimait.

— Arrête de dire des bêtises, qui s'occuperait de tes petits imprévus si je partais, avant de lui couper le fil entre ses dents pour lui arracher une dernière grimace.

L’humaine restait figée devant la glace brisée.

Un jour, Milan ne revint pas. Elle le comprit plus tard, il s’était fourré dans une histoire trop grande pour lui, et sa puce lui fut cramée. Elle avait alors oublié ces moments passés, pour les enfouir dans un recoin de sa mémoire afin de les rendre muets.

À présent, seule dans sa salle de bain minable, elle assimilait enfin qu’il ne reviendrait jamais, et qu’en souvenir, pour réaliser son ultime souhait, elle devait saisir cette opportunité. Pour elle, pour lui, afin de briser ce cauchemar, cette inexistence, qui finirait par la faire chuter dans la noirceur du secteur, dont la souillure imprègne les âmes sans espoir de rédemption.

Le lendemain, Genesis avait tiré ses tresses brunes en arrière pour former un chignon discret et couvert sa tête d’une casquette, revêtue d’un blouson et enfilée sur un tee-shirt jean basket très ordinaire. De petite taille, on ne pouvait pas dire qu’elle était belle ni le contraire. Elle avait abandonné l'idée de se mettre en valeur en passant ses journées les deux pieds dans la boue les paumes écorchées à force de manier la pelle.

Jour pluvieux, orage incandescent à la charge magnétique élevée, le ciel grondait comme un ultime rempart qui tentait de s’interposer à son changement de vie.
Trempée jusqu’aux os, elle s’était présentée au bureau de recrutement.

« Le militarium recrute, combattant, tireur, docteur, deckeur, vous aussi rejoignez ses rangs et devenez ce que vous avez toujours rêvé d’être, sous la bannière de l’unité des soldats de l’Empire »

On lui avait fourni tout un tas de formulaires à remplir. Mal à l’aise devant les questions concernant son expérience professionnelle, elle laissait échapper des soupirs conscients de son manque de compétence.

Après un rapide examen médical pour contrôler la présence d’une éventuelle mutation génétique non autorisée, elle s’était vu remettre un billet de validation. Bout de papier très ordinaire qui correspondait mal à ses attentes, couvert d’un énorme coup de tampon qui laissait apparaître en lettres capitales rouge son nouveau statut «RECRUE ».

C’est avec ce simple document qu’elle se présenta dans l’enceinte du Militarium. C’était presque gagné, pensait-elle en essayant de se rassurer. Une pression terrible pesait sur ses épaules, elle savait qu’elle ne supporterait pas d’échouer, et risquait de sombrer à jamais si elle voyait, au seuil de cet espoir, les portes devant elle se refermer.


À suivre.

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