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EDC de Phylène

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- Le monde.


Au sommet d'un immeuble décatis, il arrosait avec Amour, les oeufs d'écureuils qu'il allait cueillir en bas, tout en bas des murs, tout en bas des vestiges, à la racine des immeubles, et des toutes premières vies. Rembourré d'une combinaison d'un orange trop criard, et sur sa tête, couronné d'un masque à gaz, qui le faisait ressembler à une de ses odieuses guêpes qui tuent dans l'oeuf les plus précieuses des demandes vivaces.

L'odieux butineur d'un arrosoir en guenille, vaquait du plus gros au plus modeste, caressait sans vergognes les oeufs qui poussaient. Ces énormes citrouilles, chatoyaient par intermittence, comme les cuves d'organiques au repos, de mille couleurs qui éclairaient le ciel et donnaient à ce seul immeuble, une ambiance d'onde boréale.

Ils n'éclosent jamais, et finissent entre les joues barbares de ses sujets, ceux qui attendent avidement en bas, tout en bas de cet immeuble, la gueule grande ouverte, et qui veulent qu'on les nourrissent. Il n'était pas étranger du mal qu'il faisait, à la populace ébahis, qui ne perdait pas une miette des cosses qui s'échouaient, tout en bas à ses pieds.

Alors pourquoi continuer ? Pourquoi sans cesse, descendre cette ribambelle d'escaliers, traverser les champs d'autrefois, les cendres et les ruines, pour voler à la bête, ses centaines d'oeufs, les bichonner des années, les polir, et les redonner à la plèbe gourmande qui n'attend que d'eux se gaver ?

L'histoire commence, au sommet d'un immeuble miteux, dans un oeuf au teint séditieux, à l'ardeur si vivace qu'il cria " J'ai une âme ! " un instant avant de mourir. La butineuse le soulevait à bras le corps, toute préparée à l'envoyer valser sur les têtes démoniaques des avidités grossières qui paradaient en bas.

" Quel est ton nom ? " Me demanda -t-il en me secouant comme un pruneau.

" Je suis Ariane, la lieuse de monde, ouvre moi et je saurais te couvrir de ce qui te manque. "

S'il ne se posait aucune question à mon sujet, il me reposait à terre, comme la mater s'occupe du fils avec tendresse. Je restais alors ainsi quarante jours, à l'abris du regard d'un homme qui ne se souvenait plus que la vie n'exista pas sous la forme délétère de fantômes décharnés. Quarante jours de jeûne pour les malheureux qui firent entendre leur voix d'outre-tombes, appelant sans jamais cesser à la bidoche qui leur manquait. Mais Ludwig ne devait plus jamais leur remettre à manger, du moins, pour un temps.

Je m'éveillais ainsi quarante jours plus tard, me glissant hors de ma prison organique, et là, j'observais le monde tel qu'il devait rester encore longtemps. Le ciel était noir, et à perte de vue vrombissait un orage constant. Parfois une lumière, d'une éphémère beauté embrasait la poussière et tombait sur une tour qui s'écroulait sous sa fureur. Je ne m’émerveillais pas, ni ne m'apeurais de voir deux yeux globuleux de mon sauveur et bourreau.

Tout homme sensé, m'aurait pris sous son aile, protégé et aimé, mais Ludwig n'appartenait plus à notre race depuis des années. Ainsi éclot, il pouvait retourner à sa tâche première, nourrir la plèbe, qui des jours durant avait attendu son bon vouloir, sans jamais rien faire que l'appeler. Je passais des années à observer l'homme, ou la bête, qui ne décrochait qu'une maigre palabre, un pâle souffle mortifère. Jamais ne décrochait son masque, ni ne quittait sa combinaison. Je le suivais des années durant, apprenais ses manières, tirais profit de ses enseignements muets.

Dix ans durant, je me nourrissais d'eau de pluie, d'insectes parasites, de fruits pourris tombés au bas de nos escaliers. Jamais ne m'aventurais plus loin que de trois pas sa stature, jusqu’à connaître nos chemins par cœur. Un jour, pourtant, nous prîmes un chemin différent. Je le tirais par la manche, et l'entraînais par un chemin annexe, certaine qu'il était un raccourcis. Il ne me dit rien, mais je suis certaine qu'il connaissait la ville bien mieux que moi. Il se laissait donc guider jusqu’à une pente. Sûre de moi, je l'entraînais plus haut, jusqu’à trouver enfin nos escaliers. Je lui souriais, lui lançant un " Tu vois. " d'une arrogante jeunesse.

Tout en haut de l'arche, nous trouvâmes un jardin, le même butin à prendre et à lancer à une foule avide, glutineuse et sordide, qui appelait sans cesse sa nourrice, comme prient certains aujourd'hui, les genoux dans la poussière. Mais ce n'était pas Ludwig qu'ils appelaient.

" Eric ! " Criaient-ils... "Eric ! " criaient-ils sans cesser.

Et Eric lançait, sans jamais cesser, les galets nourriciers. Ce qu'il advint ensuite, je n'ai pas le droit d'en parler, car un sombre secret nous lie tous à nos sujets. Du haut de nos montagnes, nous sommes rattachés à la plèbe qui en bas, nous supplient de leur donner le manger. Nous ne sommes ni dieux ni maîtres, nous ne sommes, ni sujets ni laquais. Nous sommes les jardiniers de la terre, ceux que vous avez oublié.

Ceux qui transgressent les règles sont voués au déchet et ne reparaissent jamais si ce n'est sous la forme viciée, sans protection aucune contre le ciel ombrageux, car c'est le ciel qui donne et la vie et la mort.


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