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Lieutenant Figaro#2 — Pas de Quartier

Dans l'épisode précédent, le lieutenant Figaro découvre un meurtre définitif de clone, sans arme du crime. La victime, Cyrielle la légaliste, n'est autre que la fille adoptive de la puissante famille Akarris, dont le père officie comme Président du Conseil de la Noblesse.
Après un entretien houleux entre Figaro et Lord Akarris, le lieutenant décide d'aller enquêter sur la défaillance de la puce APM, secondé de l'agent H2CD, un androïde du Cercle de l'Orient.
Leurs pas les mènent droit vers la Basse-Ville.
_________________________
# Episode 2
Pas de Quartier
https://www.youtube.com/watch?v=NRI_8PUXx2A
Générique en musique
« Une petite puce de crédits ? Une p'tite puce de crédits, m'sieur ?
— Oh attendez, je dois avoir ça... »
Le lieutenant Figaro fouille machinalement les poches de son pardessus. Sa grimace concentrée laisse de marbre l'androïde qui le seconde ; son masque anonyme ne lui renvoyant que son reflet. Au terme de secondes de recherches qui semblèrent interminables, le gobelin lance au mendiant la puce promise, et le salue d'un signe de main tout en tirant sur son cigare.
« Vous ne pouvez pas vous arrêter à chaque fois qu'on vous fait la manche, explique neutrement H2CD.
— Ah, vraiment ? Pourquoi ça ?
— Des clones laissés pour compte, le cerveau grillé par la drogue, nous allons en trouver à chaque coin de rue. Nous sommes en pleine Basse-Ville, lieutenant. Si le Quartier découvre que deux flics se baladent sur son territoire, vous pouvez dire bonjour à la cuve. »
Mâchonnant son cigare, le gobelin étire en toute réponse un sourire désolé. Trente mètres plus loin, un autre vagabond interpèle les deux hommes. En voyant l'officier de police se tâter de ses mains maigres à la recherche de ses avoirs, H2CD vrombit d'une tonalité électronique grave et agacée.
« Lieutenant Figaro, vous ne m'écoutez pas.
— Oh, pardon, s'excuse aussitôt le gobelin rabougri. Ma femme dit toujours que j'ai une très forte empathie pour les gens...
— Je ne sais pas ce que vous dit votre femme sur la crise énergétique, grésille l'androïde, mais si la Commissaire voit nos noms dans la nécrologie et qu'elle apprend l'inutilité du pourquoi et du comment de notre cuve, c'est elle qui va bientôt vous inquiéter.
— Vous avez raison H2CD. Continuons notre route. Je n'avais plus de petite monnaie de toute façon.
— Très bien. »
H2CD n'avait pas menti. Immortelle ou non, la métahumanité connaissait tout autant la misère qu'aux siècles primordiaux où les murs n'étaient pas encore érigés. L'alimentation en énergie dans la Basse-Ville y était plus faible, plus incertaine. Les publicités holographiques grésillaient sur certaines façades, alors que des tas d'immondices recouvraient l'ensemble des trottoirs ; résultat d'une politique de chasse aux glaneurs menée par le quartier, qui avait drastiquement limité le recyclage.
Après un temps de silence à déambuler dans les rues étroites Sud, l'androïde reprend finalement la parole.
« Je me suis emporté, excusez-moi. Cet endroit me met le processeur en surchauffe. Est-ce que vous pouvez me parler de votre contact ? Savoir un peu mieux notre destination m'aidera à limiter le stress sur mes circuits.
— Oh, s'exclame le lieutenant, bien entendu. Vous voyez, il y a une petite dizaine d'années, j'étais sur une enquête sur un sabotage au centre de clonage... et il y avait ce scientifique, un certain Markov, qui m'avait rendu une fière chandelle pour trouver le saboteur.
— J'imagine qu'il s'y connaissait bien, pour que vous lui fassiez autant confiance.
— Le meilleur des meilleurs... enfin, selon moi, je n'y connais pas grand chose en technologie. Quoi qu'il en soit, il a quitté les institutions impériales pour ouvrir sa boutique en Basse-Ville il y a quelques années, et de ce que j'en sais... —
— Taisez-vous.
— Vous vouliez pas savoir mon histoire ? », demande avec perplexité le gobelin.
Un geste de H2CD l'intime toutefois au silence. Dégainant son magnum, l'unité d'intervention se retourne à moitié en inspectant la rue derrière eux. Le smog, l'obscurité et les nombreux déchets fumants obstruent la ruelle de tant d'éléments parasites, que Figaro ne parvient pas à discerner quoi que ce soit dans cette direction. Le suspens se prolonge sur une longue minute de plus profond silence avant que l'androïde n'abaisse à nouveau ses épaules, mains toujours sur la crosse de son arme.
« Nous sommes suivis.
— Vraiment ? Vous êtes sûr de ça ?
— Positif à 100%. Mais l'individu s'est échappé. Mes capteurs ne perçoivent plus rien.
— Vous pensez que le Quartier nous a déjà repérés ?, s'inquiète aussitôt le gobelin, sourcils froncés.
— Je ne sais pas. C'est encore loin, votre contact ?
— Deux pâtés de maison.
— Hâtons-nous. »
Pour Figaro, un homme aurait pu le suivre, une armée, ou rien du tout ni personne, la sensation aurait à présent été la même. En marchant à pas accélérés, le gobelin ne peut s'empêcher de jeter des coups d'oeil nerveux par dessus son épaule. La face anonyme de son binôme, à côté, ne l'aide pas à se rasséréner. Après un temps qui lui semble interminable à suivre les indications de sa petite carte portative, c'est un véritable soulagement qui le traverse à la vue de la pancarte holographique « Markov Tek », un bras cybernétique jouant du biceps sur ses deux frames d'animation.
Le local miteux, verrouillé par un digicode quadratique à faire pâlir un vautour, s'allume à leur approche. Au plafond, une caméra reliée à une imposante mitrailleuse s'abaisse sur le duo, faisant grésiller un juron à l'androïde. Levant ses mains en l'air avec toute l'amabilité possible en pareille situation, Figaro interpèle le digicode.
« Je suis à la recherche de Markov. C'est pour une affaire personnelle.
— Qui le demande ?, répond une voix abrupte.
— Un très bon ami. »
Un silence se met à flotter sur la scène, l'iris de la caméra se dilatant dans la direction des deux représentants du Cercle de l'Orient. Le son d'un rire gras sature l'interface du digicode.
« Dîtes-moi pas que c'est pas vrai. Le petit cadet du Cercle...
— Lieutenant, en fait. Le temps passe vite.
— Ah, oh... et c'est qui, ton copain sans gueule ?
— On peut dire, hésite Figaro, que c'est mon assurance vie. J'ai quelque chose de très spécial à te montrer, Markov. J'aimerais beaucoup pouvoir entrer... et que tu désactives la mitrailleuse. Parler du bon vieux temps. Tout cela. Ça te semble possible, mon vieil ami ? »
Pour toute réponse, un déclic intervient. Le loquet de la porte, désenclenché, laisse à présent celle-ci grand ouverte. Les deux flics, après avoir échangé un regard, n'en attendent pas davantage pour pénétrer dans le bâtiment.
Le hall d'entrée, véritable salle d'exposition de la cybernétique, se compose d'une pièce de taille correcte aux vitrines nombreuses. Des bras cybernétiques de tous modèles y apparaissent, parfois renforcés, parfois armés de canons intégrés. Ailleurs, des yeux hautes technologie et autres joyeusetés s'exposent au regard du passant. Deux salles numérotées, sur la droite, laissent deviner aux petits écritaux médicaux qu'il s'agit de salles d'opération clandestines.
« Figaro, mon petit fouille merde préféré ! », tonitrue une voix sur la gauche. La porte ouverte sur un bureau ressemblant à s'y méprendre à l'atelier fou d'un nain, le matériel empilé de toute part sur des racks aux murs. Un nain, en l'occurence, est penché sur son bureau, biceps à l'air, invitant les deux flics à rentrer. S'exécutant, le gobelin pare sa trogne d'un sourire amène.
« Comme je le disais, le temps passe vite, Markov. Et je vois qu'il t'as rendu prudent, c'est un véritable bunker cet endroit, dis voir.
— Fig', Fig'... ce n'est pas à toi que je vais apprendre que les temps sont durs. Ça canarde de partout dans la basse-ville. Le Quartier nous rend la vie difficile. Ce qui m'amène à me demander pourquoi deux agents du Cercle risqueraient leur clone dans le coin, pour voir un pauvre technicien en cybernétique... »
Le nain s'accoude, un sourire colgate sur son visage. Son oeil cybernétique, équipé d'une lentille longue pour le travail fin des prothèses, fixe ses hôtes. H2CD se contente de rester immobile pour sa part, peu à son aise dans l'échange. Souriant à l'androïde, le gobelin s'apprête à allumer un nouveau cigare lorsque le nain lui tend sa main métallique, crachant une flamme de son pouce. Haussant les sourcils, le gobelin souffle avec sa fumée un rire.
« Vraiment pratique, toute cette technologie, fascinant. À vrai dire, j'aurais un service à te demander, Markov. J'aimerais savoir comment une puce APM a pu être désactivée de manière externe, c'est à dire que sans être endommagée, elle ne fonctionnerait plus.
— Dis-moi Figaro, tu ne verserais pas dans la science fiction, des fois ?
— Ma femme dit toujours que j'ai beaucoup d'imagination... H2CD peut te transmettre les métadonnées de la puce. Je crois que ça te permettra de faire une première analyse. »
De toute évidence, l'androïde semble réticent à transmettre des pièces à conviction au technicien. Prenant sur lui, l'agent tapote néanmoins une séquence d'instructions sur l'interface de son bras. Le nain, voyant que l'histoire n'a rien d'une plaisanterie, commence aussitôt à se frotter la barbe avec intérêt, regardant l'écran holo qui s'affiche aussitôt sur son bureau.
« Eh bien ça alors... Vous ne vous payiez pas ma tête. Architecture intacte, interfaces réseau opérationnelles... Il n'y a qu'un petit élément qui cloche.
— Un élément, comment ça ?, interroge le gobelin en tirant sur son cigare.
— Votre bonhomme... femme, même, de ce que je lis. Elle a eu un problème avec les IA ?
— Pas que je sache, non. Quelque chose d'inhabituel ?
— Une puce qui est blacklistée du centre du clonage, pour sûr que c'est inhabituel ! »
H2CD et le lieutenant échangent un regard perplexe. Le gobelin se penche un peu vers le nain, mesurant son propos.
« Elle ne peut plus revenir en cuve parce que le centre l'a bannie ?
— C'est exactement ça. Ce sont des cas très rares, je croyais même que c'était une légende, jusqu'à présent... mais votre Cyrielle est morte pour de bon car son accès clonage est refusé.
— Et tu as une idée de ce qui aurait pu provoquer ça ? Ce n'est pas anodin, cette histoire. Vraiment pas anodin.
— D'une manière ou d'une autre, les IAs ont dû se sentir menacées. Pourquoi ? J'en ai foutrement pas la moindre idée. Mais ça, c'est ton problème à toi. »
Le silence s'installe un moment sur la pièce. Dépité, Figaro se masse la tempe avant de dévisager son collègue, soupirant.
« Ça ne nous avance pas beaucoup tout ça... mais merci pour ces informations. On ne va pas te déranger plus longtemps Markov, il faut qu'on fasse notre rapport. Les routines de policiers, tu comprends... »
Il ne faut pas bien longtemps pour que les deux acolytes se dirigent à nouveau vers la sortie, sans s'apercevoir que le nain derrière eux continue de taper au clavier de son écran holographique. En ouvrant la porte menant à l'extérieur, H2CD émet un grésillement d'irritation.
« Et maintenant ? Vous voulez interroger qui, Thallys ? Ce nain s'est payé notre tête, lieutenant. Cyrielle avait un casier irréprochable. Je l'ai vérifié moi-même.
— Absolument H2CD, mais...
— Nous devrions retourner au manoir, et reprendre point par point les éléments de l'enquête.
— D'accord, mais...
— Qu'est-ce qu'il y a ? »
En tournant la tête vers Figaro, l'androïde réalise que celui-ci fixe quelque chose par delà son épaule. De fait, cinq loubards bien armés, orcs et trolls pour la majorité, débarquent à pas lents de la ruelle voisine, encerclant bientôt les pauvres agents. En faisant un pas en arrière, Figaro se rend rapidement compte que la porte s'est refermée derrière eux, verrouillée.
« Markov ? J'aurais besoin que tu nous ouvres un cycle minute...
— Désolé mon pote, mais comme je t'ai dit, les temps sont difficiles. Le Quartier fait la loi ici. Je n'ai pas eu d'autre choix que de les prévenir. Ça n'a rien de personnel.
— Quel enfoiré », peste l'androïde en cherchant son magnum du bout des doigts.
Alors que les voyous en face commencent à montrer leur dentition menaçante et leurs fusils chargés, une dernière silhouette fait son apparition, dans une tenue excentrique et rétro qui détonne des vestes en synthécuir l'entourant.
« Célestine, maugrée l'androïde en reconnaissant la criminelle. J'aimerais pouvoir changer la loi pour vous foutre au trou ad vitam aeternam.
— Les androïdes, soupire la malfrat, chargeant son fusil lincoln. Si zélés. Si mécaniquement stupides.
— Écoutez, Célestine, intervient le plus aimablement possible le gobelin. Nous ne souhaitions pas vous froisser en passant sur votre territoire. C'est une erreur de notre part, restons-en là et disons que nous sommes quittes ?
— Mais lieutenant... ce sont des petites frappes, on ne va pas s'écraser devant ces rebus de la société ? », s'insurge l'agent robotique.
Le regard que lance Figaro à son acolyte ne traduit qu'une fraction de son profond dépit pré-mortem. En moins de temps qu'il n'en faut pour dire « feu », la fusillade retentit entre les taudis, les ruelles s'éclairant du canon des armes à feu, et de la lueur narguante de l'enseigne Markov Tek, le cybernétique branché...
*
* *

« ... seuls, en pleine basse-ville, pour courir après les revendeurs de camelote. Avez-vous la moindre idée de ce que va dire la ville en voyant le nom de deux crétins d'agents dans la nécrologie, avec le Quartier qui se paye notre tête sur l'AITL ? »
Cela faisait bien 20 cycles minutes que la Commissaire kobold Dashana passait un savon aux deux flics. Pâle et la peau humide, Figaro arbore le visage des bons jours des jeunes camés en manque, tandis qu'H2CD, à côté, semble parfois prit de moments d'absence. La cuve n'est jamais tendre pour un clone.
« Excusez, Commissaire, répond mollement Figaro. Je sais que tout ça doit vous mettre sur le qui-vive, mais les informations qu'H2CD et moi avons pu récolter sont précieuses pour l'enquête. »
L'androïde tourne lentement sa tête vers le gobelin, avec l'air de celui ne voyant pas du tout de quoi il est question.
« ... Vous voyez, d'une part, la piste sur Cyrielle semble se creuser. Il y a quelque chose sur son passé que nous n'avons pas découvert, et qui a pu provoquer ou être utilisé pour provoquer son blocage du centre de clonage.
— Vous pensez tout de même à une action criminelle, donc ?
— J'en suis intimement convaincu... et la présence détectée par H2CD qui nous prenait en filature continue de m'en convaincre formellement.
— Soyons pragmatiques, lieutenant. En pleine basse-ville, il y a toutes les chances que ce soit le Quartier qui vous ait suivi. La preuve, il vous est tombés dessus, raisonne la Commissaire.
— Eh bien, justement,... si vous relisez bien notre rapport, vous constaterez que le Quartier n'est intervenu qu'après la dénonciation de Markov. Il me semble donc que cet inconnu n'ait pas alerté le Quartier, et ne fasse pas partie de ce gang.
— Ce sont des hypothèses, lieutenant.
— Oh, reprend le gobelin, mais soyez assurée qu'elles me semblent tout à fait pertinentes. D'ailleurs, je peux vous émettre une nouvelle pensée, Commissaire : le Quartier n'a rien à voir dans l'histoire du meurtre de Cyrielle. »
H2CD émet un grésillement étrange signifiant qu'il a tenté de prendre la parole. Son système de communication étant encore en train de récupérer, celui-ci se contente donc de croiser les bras, attendant l'explication.
« Vous voyez, si le Quartier possédait une manière de désactiver le clonage des gens... je pense que l'agent H2CD ici présent aurait été définitivement tué par Célestine, qui ne semble pas le porter dans son coeur. Au contraire de ça, nous avons eu droit à une simple cuve : banale, standarde, et sans plus de conséquences que ma nausée actuelle.
— Mais ce sont encore des hypothèses, intervient encore une fois la Commissaire. Laissez-moi vous apprendre quelque chose que vous ne savez pas, lieutenant, et vous sidérer un peu. Je peux moi vous trouver qui est le meurtrier ou le complice de ce meurtre.
— Euh, vraiment ? »
Un écran holo s'affiche lorsque la kobold télécharge le dernier avis de recherche : Lyann, la jeune nemo intra filleule de Lady Akarris.
« Elle a disparu depuis 48ch, s'explique la Commissaire. Juste après que vous ayez interrogé Lord Akarris et que vous soyez partis faire les idiots sur le territoire du Quartier... alors, lieutenant, vous allez me dire que vous aviez émis l'hypothèse que ce soit elle, mh ? »
En face, Figaro reste muré dans le silence. Sourcils froncés, le gobelin prend un certain temps pour rallumer son cigare, la mine perplexe et renfrognée. Quelque chose dans ce nouveau rebondissement semble l'interloquer, ne pas rentrer dans les cases initialement prévues.
« Non, Commissaire... je dois avouer que vous m'avez dépassé. Oui, vous m'avez dépassé. »
Le gobelin se relève, émettant un salut aux deux présents en se frottant la mâchoire d'un air évasif.
« Si ça ne vous dérange pas, je vais retourner au manoir.
— Encore ? Nous avons déjà fouillé les lieux. La nemo intra n'y est pas.
— Oui, oui... certainement. Mais j'ai encore quelques petits détails manquants dans ma tête que je voudrais éclaircir avec Lord et Lady Akarris. Et comme vous le savez, Commissaire...
... J'attache une grande importance aux petits détails. »

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Feuilleton policier
23 Février 2019
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