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[Chapitre VIII] Kepler




Dreadcast...
Année 319 depuis la fondation...





"I want hear it from your lips, what's it worth shining for ?
Nevermind your thirst, nevermind the curses you utter vacantly"




Vingtième cycle minutaire, de la vingtième heure, résonne le cor du courroux du Griffon. Son cri s'engouffre dans les rues, noyant les passants, inondant les façades des tombeaux de verre vibrant a l'unisson. De pourpre se teint ton smog, précédant l'ire qu'il annonce en grand spectacle pour tous ces spectateurs creux, et avides d'un rien de frissons... Toute la journée, les vieux relais d'informations avaient dégueulés les mises en gardes des agents Impériaux tentant vainement de jauger dans leurs petits esprits la puissance incalculable qu'abritent si secrètement nos murs, autant d'armes qui ne sauraient visiblement être confiés a nous autres enfants.

Affluent les annonces sur les canaux de l'AITL, se mêlant de recommandations et d'idiotie, ou perlent les faux prophète et les prêtres de la fin du monde. Mais le fait est qu'aucun ne semble savoir ce qui a aujourd'hui déclenché la colère de la ville organique, prouvant une fois de plus qu'elle a un dessein a part entière qui nous échappe bien trop souvent. Nous ne sommes, après tout, rien de plus que des insectes grouillant sur sa peau, s'accaparant ce que l'on peut de son corps malade est mourant dans une futile tentative de courir après le soleil une Honora de plus.

Lentement, l'ombre du smog se dissipe a ses yeux sous la vive lueur qui s'agglutine sur l'immense mur Sud-Est, rivalisant sans grand mal avec la tour d'habitation qu'elle occupe. Le vif éclairage rouge s'engouffre par les nombreuses baies-vitrées de sa suite, repeignant son petit monde d'écarlate, assainissant finalement toutes nuances, toutes teintes, pour ne plus rien offrir qu'un univers binaire... Ordonné. Ses doigts peinent dans ce nouvel univers a s'emparer de l'une de ses cigarettes sous cet absence de perspective, tandis qu'elle tourne sa silhouette découpée d'une nette ombre sur le mur vers ce panorama atypique du centre-ville.



"All we are is all we are...
transcendental animals."



Et pourtant, cela n'émeut pas l'enfant sauvage. Son regard mordoré se perd sur cette étendu fantasmagorique composée de barres d’obsidienne sur un tableau de sang, ironique personnification de l'Héritage de l'Humanité qui ne saurait le voir alors qu'elle le contemple, de tous ses yeux rivés sur cet instant de tension. Ses doigts épousent la paroi de verre froide, comme ultime barrière la séparant d'une pseudo-symbolique divine venue rappeler a tous et a toutes de la fragilité de leur existence, allouée au bon vouloir de leurs Seigneurs et Maître digitaux, frappée par une seule chose : Son désintérêt.

A nouveau, les immortels dansent dans les coulisses, et jouent avec nos ficelles. Piégés dans notre prison de béton, nous nous satisfaisons depuis trop longtemps de ce théatre d'ombre qui se joue pour nos mirettes, que nous buvons pour masquer la cruelle vérité de notre odieuse longévité... Nous sommes tous déjà morts. Véritable petite troupe d'âmes en peine, prêtent a se jeter corps et âmes sur le moindre os a ronger qu'on nous jette, pour nous mener a droite ou a gauche, selon ce qui les arrange le mieux sur l'instant, bien trop prêts a se complaire dans la servitude a peine le premier venu secoue devant nous notre prochain "fixe".

Que ne ferions-nous pas pour un peu d'agitation. Pour un peu de crainte... Pour se sentir vivant ? Que ne ferions-nous pas pour tromper cet ennui qui nous dévore, qui nous rappelle a chaque instant de la fadeur de notre existence, du mensonge de notre immortalité ? Alors nous regardons tous vers le mur, attirés par cette lumière vive qui nous attire a elle comme les insectes que nous sommes, en promesse d'un peu de frisson, d'un peu de peur... Mais surtout d'un peu de vie.
Et enfin, dans un grondement de tonnerre, nos invisibles Maîtres tirent sur notre laisse pour nous ramener docilement a eux.


Comme si Kepler venait de tousser, toute la cité s'ébranle dans un flash divin, peignant d'un blanc faussement virginale Dreadcast entière pour appuyer d'un doigt vengeur sa justice sur la tour Typhex, sciant le bâtiment en deux dans une violence sans précédent. Le plus grand feu d'artifice jamais tiré, la plus grande preuve de force jamais déployée, un véritable festin d'endocrine rushant a travers les veines des milliers d'habitants tel un second souffle...
Et pourtant jamais ne s'était-elle sentie aussi...




A quoi bon se sentir vivante, si pour cela un quartier devait disparaître ? A quoi bon se sentir vivante, si dans la vie offerte elle ne savait même plus qui elle était ? Quand tout ce qui l'entoure n'est plus que décor factice, et silhouettes interchangeable ? Plaisirs avortés et journées sans lendemain... Quel avenir y'a t'il dans une cité ne connaissant pas la mort, comme moteur d'action a la vie ? Lorsque tous les plans s'achèvent, lorsque toutes les ambitions meurent a ses pieds. Ou va t'on, lorsque l'on a trop vécu, et qu'il n'y a plus aucun chemin devant soi ?

Ou était passée l'enfant sauvage, qui ne voulait rien de plus que de détruire ce qui avait été fait ? Être l'iconoclaste que l'on attendait d'elle, la profanatrice des miracles apportés, des promesses prononcées ? Comment trouver plaisir a la décadence quand celle-ci n'a pas besoin de vous pour se faire ? Quand il n'y a plus besoin d'apporter le poison dans les veines déjà surchargées ? Quand la cité n'a plus besoin de vous pour s'extirper de sa lente agonie dans un songe plus doux ?

Qui est-on alors, lorsque l'on vit au delà de sa mort ? Au delà de soi ? Lorsque l'on réalise son impuissance face a l'entropie de l'existence qui rythme chaque pulsation de Kepler, projetant toujours plus loin l'Humanité sur la route de son inévitable extinction, dans une inertie divinement parfaite. Est-on dès lors destinés; maudits même, par Hujan a la survie seule, faute d'adhérer a leurs croyances ? A la torture d'exister, sans vouloir se résoudre a disparaître ?

Peu a peu les appareils électroniques reviennent a eux après cette symphonie de destruction, nappant a présent l'Ouest de la ville d'un imposant nuage de poussière voletant au vent. Rapidement, les messages affluent dans l'euphorie de l'instant, sans prendre une seule seconde pour pondérer l’événement. Le désarroi, l'excitation, la crainte, viennent pleuvoir sur chacun comme autant de chaines qui les maintiennent au sol, dans l'illusion d'importance que la cité s'échine a créer dans leurs subconscients, afin de s'assurer de la fidélité de leurs clients, déjà prêts a tout pour leur prochaine dose... Allant se ruer sur les ruines radioactives d'un bâtiment dont nombre d'entre eux n'avaient jamais eu conscience de l'existence jusqu'à a se jour, pour murmurer leurs prières inconscientes a leurs fausses divinités; s'avilissant pour un rien d'exceptionnel dans leur éternelle tourmente.

Mais déjà sa carcasse s'effondre dans son lit, le regard se perdant sur la douceur des néons bleutés retrouvés, peignant chacune des irrégularité du plafond de sa suite, comme autant de récifs et de collines, de crevasses et d'imperfections la faisant rêver d'autres horizons... La faisant rêver de plus que ce subterfuge de vie, cette simulation d'existence contrôlée qu'on lui autorise sous couvert de sa tacite acceptation des règles. Jamais satisfaite de ce qui est, les pensées toujours perdues dans ce qui pourrait être.

Car au delà de son plafond est le ciel. Au delà de ces murs, de cette jungle, est Kepler... Au delà de tout ce décorum, au delà de cette guerre artificielle, de ces craintes et ces joies manufacturées, s'étend un univers vaste et indifférent aux piètres simulacres qui ponctuent leurs vies, dans un chaos magnifique, fourmillant d'une vie vraie et pure... Si lointaine.
Peut-être, qui sait, un jour si elle survie assez longtemps... Verra t'elle au delà de tous les mensonges de Dreadcast, Kepler.




"Who wouldn't want to disappear ?
But I'm still here, I am still here..."







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Crédits :
[Images : Neuromaencer]
[Citations : Scissorlips - Rishloo]
[Titre : Acius]

◊ Commentaires

  • Casey (491☆) Le 15 Septembre 2020
    Ces textes qu'on apprécie toujours après une relecture, car les détails foisonnent. Et -en bon amateur de détails- j'appose une étoile bien méritée.