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XXV. Jusqu'où iriez vous ?

XXV. Jusqu'où iriez vous ?
« Vous êtes fort Oeclyde »
L’horizon mue devant ses yeux, alors que l’obscurité gagne la ville en début de soirée. Les néons incandescents inondent les rues de leurs lumières éblouissantes. Du haut de sa tour d’ivoire, l’ébène observait la lente déliquescence du monde dans lequel il tentait de survivre.
Vivre n’est plus le mot, quand on connaît la vérité. Celle immuable, implacable, foudroyante.
Son silence laissait présager mille et une pensées. Prenait-il conscience de sa propre destinée ? Celle d’être une voix discordante dans le paysage ?
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.. Ivre de vie et de joie. Éméché par le devoir, ému par le désir, aviné par le poids de ses responsabilités. Il regardait alors son verre, qu’il tenait dans sa paume. Le skiwi n’avait même plus la même saveur, s’égalisant dans une gnole venue des profondeurs de la terre.
Que pouvait-il faire ? Changer le monde ? Il l’avait déjà fait plusieurs fois. Voulait-il le refaire ? Oui, mais à quel prix ?
Il lâcha son verre qui vint s’écraser au sol dans un fracas détonnant.
Il s’agenouilla, prenant dans sa paume l’un des fragments et le serra si fort que des perles de sang coulèrent au sol. Son regard se perdait dans les débris, vaste métaphore de l’empire qu’il avait dirigé. Il a vu s'élever les tours, qu'il avait bâties de ses mains, s’effondrer tel un château de cartes.
« Qu’ont-ils fait ? » Se disait Pied Noir, meurtri par la douleur profonde qui faisait tressaillir son âme. « Où est ma foi ?! » sa tête criait des pensées insondables, lui hurlant de tout détruire pour tout reconstruire. La dissidence n’était-elle finalement qu’une question de statut social ?
Alors il frappa la vitre, une fois, deux fois, trois fois, tentant d’évacuer sa peine, sa haine, sa rage.
« Tu me manques Z » cette pensée profondément nostalgique lui fit bouillir soudainement le sang. Il lâcha des jurons. Sa hargne gagnait ses tempes, sa main rougissait, saignait à mesure que des bris de vitre perçaient son derme.
Cette pensée ne parvenait pas à quitter son esprit. Où était-il ? Était-il encore en vie ? Il ne peut pas mourir, il est trop intelligent pour ça, se disait-il fréquemment. Pourquoi ne le contactait-il pas ? Il avait besoin de lui, de son aide, de son frère.
« Et toi.. Toi.. H, pourquoi dois-je toujours passer derrière toi… » son poing s’écrasait encore, et encore, brisant alors ses phalanges.
Il l'aimait, elle était son évidence. Mais il ne parvenait pas à l'aider, à la comprendre..
« J’aimerais tant que tu sois là.. P.. » Il s’effondra à genoux face à la vitre, la main meurtrie par une telle violence.
Son regard se perdit une dernière fois, imaginant la rousse à coté de lui.. D'une main délicate, elle la poserait simplement sur son épaule pour le réconforter, ils n'avaient pas besoin de se parler.. ils se comprenaient, tout simplement. Mais le froid l'avait amené si loin.
La vitre montrait quelques signes de faiblesse, mais tenait.
Il comprit enfin.
« Fluctuat nec mergitur »  Il est battu par les flots, mais ne sombre pas . C’était ça la solution.
La vitre ne tombera jamais et elle le protégera de la chute. Mais elle ne fera jamais plus que ce qu’elle est, être une fenêtre. Tout s’éclaire subitement. L’Imperium n’est qu’un socle, l’Humanité le dirigera dans la voie qui lui paraît la plus cohérente.
Contemplant la baie endommagée, les néons lui paraissaient subitement plus doux, plus agréables. La vie grouillante lui inspirait un profond sentiment de culpabilité. Avait-il fait assez ? Rentrerait-il dans l’Histoire ? Retiendrons seulement la baie brisée ?
Quelque temps avant, Pied noir s’était rendu à une entrevue.
L’homme aux origines inconnues lui faisait face. Le noiraud lui fit fasse accompagné, mais il ne parut jamais aussi seul, voile solitaire dans le vent qui faisait braquer son navire. Puis il sut soudainement la vérité mortifère.
Horrifié, désœuvré, blasé, il n’existait d’adjectif assez fort pour rendre hommage à l’intensité de la scène. Toutes les vérités commencent inlassablement à peser sur ses épaules, alors que les flots s’abattent.
Et dans la tempête, un phare d'ambre vint lui indiquer le chemin. Un simple regard, un nouvel espoir de ne pas sombrer dans la pénombre.
Quelque chose était né, la flamme incandescente vint subtilement lui faire reprendre le bon chemin.
Devant cette même vue, d’une ville en décrépitude. Mais s’en dégageait une douceur sucrée, presque enivrante. Il n’avait pas lâché son verre cette fois ci. Sa main paraissait comme neuve, son verbe galant venait accompagner la conversation. Il se retourna pour la regarder, elle, ce fruit interdit. Voilà longtemps qu’il n’avait pas ressenti cela.
Son passager noir l’avait quitté.
Il ne pouvait tenir seul le monde dans sa main.
Alors il s’approcha. Elle dit, le scrutant de son regard ambré « Je ne devrais pas, mais j’ai envie de vous embrasser »
Un geste fugace, un tendre moment, et enfin, le poids des responsabilités qui revient, inlassablement.
Raison se presse alors de questionner Pied noir.
« Et vous Oeclyde, jusqu’où iriez vous pour sauver l’Imperium ? »
« J'irai au bout du monde pour Elle. »
« Qui est-elle ? L'Humanité ? »
« Elle est l'Humanité. »

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