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Chroniques de la Forge - I - Un jour de plus.

Son corps en tension, il dépose sa paume sur la gardienne silencieuse. Son contact est froid mais sans comparaison avec l'assaut inquisiteur qu'elle mène aussitôt. Implacable, la tablette luminescente dissèque son être, viol son intimité, forte de l'autorité dont elle se sent investie. Elle sonde les lignes de sa main, les battements de son cœur, les circonvolutions des doubles hélices qui le caractérise. Si elle le pouvait elle appliquerait sa logique glaciale à son âme, y plantant griffes et crocs pour la saisir, une maldrill affamée de vérité, flairant l'usurpateur. Une éternité se passe avant qu'elle ne se rétracte. Résignée elle émet un discret son synthétique, une plainte, ne trouvant nulle raison valable de lui refuser l'accès au sanctuaire. Une petite luciole bleue vacille, l'autorisant à poursuivre la procédure. Sa fébrilité trahit sa crainte de faillir à sa tâche, sa raison d'être. Elle reste en embuscade, attendant le faux pas pour bondir, déchiqueter les faux-semblants et, impérieuse, assurer l'intégrité du lieu. Le vieux vautour essaye de la rassurer par les caresses de ses doigts qui instinctivement trouvent le chemin de la séquence attendue. À contrecœur elle abdique. Seul témoin de sa capitulation : l'embrasement de la luciole, incandescente, agonisant dans sa fixité bleutée, avant de s'éteindre définitivement.
Un mugissement résonne alors. Nul ne saurait dire s'il s'agit d'une dernière manifestation de rage du dispositif de sécurité ou du grondement d'un terrible monstre de fer obligé à sortir de sa torpeur. Cette créature tapie dans l'ombre actionne quelques invisibles mécanismes, tire de toutes ses forces une lourde chaîne. L'immense sceau métallique, haut de deux étages et plus large encore lutte de tout son poids. Le monstre l'emporte, centimètre par centimètre. Strident, métal contre métal, la lutte est néanmoins âpre. Leurs cris et gémissements résonnent alors dans la rue. La porte résiste en vain, elle a déjà perdu, mais têtue, s'obstine.
Les premières lueurs du jour dardent leurs tentacules par l'interstice créé, sondant l'épaisseur de l'obscurité, comme on teste d'un crochet et quelques feintes son adversaire dans le combat à venir. Mais le smog, fluide et rampant les devance. Il se rue, conquérant, jouissant d'outrepasser les contrôles, visiteur inattendu, non voulu, non autorisé. Le frère de la nuit envahit l'espace comme la lave vomie d'un volcan. Dans son armure fantomatique, d'un geste ample de sa cape vaporeuse, il entreprend de protéger des flèches incandescentes et présomptueuses celle qui se croyait jusqu'alors orpheline. Son voile protecteur se distend pour couvrir l'immensité. Il le découvre infini. Peut-être, réalise t'il soudain, aurait-il du prendre la mesure du combat à mener avant de s'y jeter tout entier. Ce chevalier des causes perdues s'étire à n'en plus finir, naviguant entre les stalagmites qui hérissent la grotte. À l'est, enfin, il atteint la limite. La froide paroi métallique l'en gratifie d'une morsure. Il se rétracte, se liquéfie de surprise, de douleur et de peur, y laissant parts de lui-même, légion de gouttelettes qui en hérissent désormais la surface. Son propre sang qui le trahira, accrochant, réfléchissant et sublimant la plus petite parcelle d'Espoir. Reste l'ouest. À sa conquête, il s'épuise, il sait qu'il n'opposera désormais qu'un voile diaphane pour toute résistance. Il n'est plus que l'ombre de lui-même. Il comprend qu'il n'a dupé personne, qu'il n'a pu pénétrer dans ce temple que grâce à son innocuité, prévue, anticipée. Dans un dernier sursaut, baroud d'honneur, il se lance à l'assaut de la seule âme présente, déchaînant ce qui lui reste de forces, hurlant sa rage, son désespoir, son impuissance. Les plumes du vautour frémissent imperceptiblement.
Chape de plomb jusque là immobile, les ténèbres s'animent, vibrent de douleur, pleurant le vain sacrifice. Ce désemparement signe leur perte. Ne lui accordant aucun sursis, le feu les embrases de toute part. Mêlés les uns aux autres, cette immolation s'apparente à une danse. Sachant la bataille perdue, l'obscurité se retranche dans le moindre recoin, comme autant de poches d'encre, se préparant à écrire sa revanche. Sûre de sa victoire finale, elle attends, elle qui fut là avant le temps et qui lui survivra. Au fur et à mesure de son reflux, de nouveaux paysages se dévoilent. Ce qui fut stalagmite devient cathédrale étincelante, cube métallique aux arrêtés émoussées, arsenal pour d'autres guerres plus dérisoires encore.
La lourde porte termine enfin son ascension dans les derniers fracas d'acier, résonnant tel des cors d'airain annonçant le triomphe d'un jour nouveau. Un léger tic agite une paupière du vautour, un léger frisson parcourt son échine, trahissant sa conscience des luttes qui viennent de se jouer, annonciatrices d'autres à venir. Du prix à payer pour qu'aujourd'hui encore la Forge vive.

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Je ne me suis jamais essayé jusque là à une écriture "imagée", me contentant des lieux où je me sentais à l'aise : du discours et de la parodie. Un bouquin m'a inspiré et poussé à prendre le risque. J'espère que ça fait le taf, je pense en faire un ou deux autres pour rendre hommage à cette usine, la faire vivre un peu. La mise en page est sommaire, je ne voulais pas mettre des images qui prendraient le pas sur celles que j'essaye de construire. Bonne lecture

Informations sur l'article

La Forge
21 Juillet 2024
220√  10 0

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