EDC de Milla~66111

L'oreille collée contre ma poitrine, elle écoutait, sourcils froncés, plissant le nez comme à sa si charmante habitude.
Elle avait déjà oublié le rat, les morsures, les griffures et son traumatisme post-cuve, cédant facilement à sa curiosité quasiment maladive.

Quelque chose la dérangeait, lui paraissait inconcevable, en tout cas assez intriguant pour être à ce point intrusive, elle qui ne supportait, en temps normal, aucun contact physique.

"Mais enfin, Milla ! Ton cœur ?"

... C'est vrai.
Pas de battement.
Il est bien là pourtant, dans son cocon protecteur de polymères et d'acier, muré dans un mutisme imposé.
Il bat normalement, serein. Le système le dit, et jusqu'à preuve du contraire, ne m'a jamais mentit. Il Me rassure, me balance ses chiffres sur ma rétine.
J'ai bien un cœur, mais il est silencieux.

Était-ce si important ? J'ai vécu jusqu'à cet instant sans me poser la question.

Quand à mon tour, j'ai écouté le sien, j'ai découvert cette mélopée ténue et cyclique, si faible, si fragile, mais si reposante, si tangible.

"Tu l'entends, le tien ?"
"Parfois, oui, quand il bat fort, en cas de stress ou d'effort. Ça tambourine dans mes oreilles."

Dès lors, cette absence que je n'avais jamais prise en compte, à défaut de référence, s'était mué en manque.
Écouter, tendre l'oreille, faire silence.
Rien, pas le moindre battement.
Un manque troublant, déchirant.
Rapidement, un besoin, presque vital, de combler ce vide terrifiant.

J'ai déjà assez d'angoisse et de phobie à affronter.

Alors, à défaut d'entendre le mien, j'écoute ceux des autres, quand ils le veulent.
Autant dire qu'ils sont peu nombreux.
Pour le reste, je l'imagine, je le fantasme.
Brodant la rythmique, me basant, probablement de manière erronée sur la voix de celui qu'il fait vivre, mais aussi sur son caractère.

Celui-ci est rapide, tonitruant.
Celui-là calme et mesuré.
Un autre est discret mais peut se muer en tempête impétueuse.

Très vite, chaque visage avait pour moi sa propre musique interne, sa propre cadence...

Mais le mien restait irrémédiablement silencieux.

Le sortir de son coffre, l'exposer à mes oreilles ?
Je pourrais.
En exposant ainsi ce qui me terrifie le plus, en même temps : ce que je suis, sous cette peau.
Métal.
Plastique.
Chiffres.
Données.
Protocole.
Programme.

Mais à force de déambuler, de vagabonder, attentive, à l'écoute, j'ai découvert, au fil des avenues, au sein des décombres, un autre tempo.
Faible.
Dis-harmonieux.
Le cœur du secteur.
On se ressemble, le secteur et moi.
Hybride, défectueux, déchiré, branlant.
Un amalgame de matière instable.
Pourtant, même fragile et malade, je l'entends.
Il n'attends qu'une impulsion, une fibrillation pour repartir.
Pour nous donner la cadence, afin de nouveau battre à l'unisson.

Mon palpitant est toujours silencieux.
Peu importe.
Je laisse celui du secteur battre à ma place.