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GLITCH: Les Grandes Marches #1 sur #3
Les triples soleils balayaient le plateau du canyon des Gueulards avec des rayons à dominante émeraude et saphir. L'horizon n'existait pas lorsqu'il faisait jour, l'Illusion donnait le sentiment d'évoluer dans une sphère saturée forçant le regard à s'accrocher à la rare végétation et à tous les reliefs. L'on pouvait se perdre aisément dans cette partie du globe, le chemin pour arriver jusqu'ici en coupant à travers la tempête Infinie n'était pas encore officiellement tracé.
Märteuk et Banjeera contemplèrent le fruit de leur perdition sous les verres ronds de leur cagoule en cuir. Celle de Märkteuk avait un verre rouge rubis et l'autre néon-rose, le cuir, tanné en laboratoire, était la peau violette d'un Juuri. Celle de Banjeera était en cuir synthétique, bleu ciel comme le reste de son pyjama. Nouvellement arrivée, Banjeera ne pouvait pas prétendre à autre chose que l'équipement bas de gamme, celui de bienvenue.
À peine sortie du centre d'Arrivée, fondue dans la masse d'un millier de nouveaux comme elle, Banjeera sortit de la rue de Béron et marcha vers l'est, au hasard. Avec la carte holographique qu'on lui avait donné en arrivant elle ne pouvait pas se perdre. Elle fut rapidement abordée par Märteuk, un Nain à la dégaine louche, custom comme un paria, qui avait le don de dire ce que tu voulais entendre; et ce talent d'embobineur était enfoui sous cent kilos de muscles pour un mètre trente de malice.
Le Nain, de forme presque carré, était immonde à regarder. Ses muscles se torsadaient dans une prouesse technique, si bien que l'on pouvait le confondre avec un amas d'hydrauliques; et lorsqu'il s'asseyait et qu'il enfouissait sa tête entre ses épaules, il ressemblait à un rocher de couleur cuivre. Banjeera s'était assise dessus par mégarde, complètement rincée d'avoir traversé la moitié de la ville en à peine cinq minutes, en pensant à un siège art déco chelou. Pas un Nain qui parle.
« Il existe, par delà les murs, des richesses que tous veulent s'approprier, mais je n'en ai cure. Il y a plus grand encore pour les vieilles vies centenaires comme moi : un nom que je dois continuer de tailler dans le marbre. Si tu m'accompagnes tu pourras graver le tien en dessous du mien. Tu disposeras alors d'un savoir Infini et lorsque tu reviendras, tu graviras aisément les Grandes Marches. »
Banjeera n'était pas sûre de comprendre tout ce charabia de bienvenue, mais elle avait signé pour l'Aventure. Elle ne voulait pas suivre la masse dans le processus d'intégration, elle se sentait assez maline pour sauter quelques étapes et monter en haut des Grandes Marches. Outrilienne de création, elle pouvait survivre dans les environnements difficiles et ainsi jouer les exploratrices. Le Nain proposait de sortir et de lui fournir le nécessaire pour survivre, là, dehors, à l'extérieur des Murs. C'était ça ou trouver un travail de bienvenue, dans une usine de bienvenue, dans un quartier de bienvenue.
Ils arrivèrent assez facilement à proximité de la tempête Infinie, en traversant un dédale d'égoûts, de conduits d'aérations, de gaines techniques et d'une forêt tropicale luxuriante. La forêt était peuplée d'une faune haute au garrot et mortelle. La peau de cuivre de Märteuk les sauvèrent à de multiples reprises. Il était bon guide, évitait la plupart des dangers et surtout lorsque le danger le suivait, il pouvait le traverser, tanker comme il disait sans sa prose habituelle, et atteindre ainsi un endroit plus favorable, hors de danger. Les bêtes reculaient alors et retournaient s'embusquer dans les buissons. Märteuk saignait peu et Banjeera mis cela sur le compte des pilules bleues qu'il n'arrêtait pas d'avaler depuis qu'ils avaient quitté la Ville.
À l'orée de la forêt se tenait la tempête Infinie. Une tempête de sable qui ne s'arrêtait jamais, où l'on pouvait se perdre définitivement, sans possibilité de retour. La traversée de la tempête fut longue et laborieuse, mais Märteuk était très méthodique et chaque fois que Banjeera s'écroulait de fatigue, grignotée par le sable, il la tirait d'affaire. Ils tournaient en rond, mais cela n'avait pas d'importance pour le Nain, au contraire même tourner en rond leur permettrait de ne plus tourner en rond. À n'y rien comprendre, mais il avait raison : ils sortirent finalement de la tempête pour atteindre le canyon des Gueulards.***
Ils étaient en haut du canyon, en bord de plateau, exactement comme il l'avait prévu. Märteuk avait sacrifié beaucoup de nouveaux arrivants comme Banjeera avant d'arriver là et bien plus encore, au delà, sur le plateau nu où d'impitoyables snipers attendaient patiemment que des importuns traversent. Il fallait passer par le canyon, remonter la source de la rivière qui s'en écoulait et ainsi atteindre le temple des Créateurs. De cette façon, Märteuk espérait terminer sa gravure et que son nom soit dans toutes les Écritures.
Il regardait le canyon, les bras croisés sur son imposante poitrine, lorsque l'agente Hibbins désactiva un camouflage optique et apparut dans son dos, le laser d'un fusil d'assaut braqué sur ses reins. Le fusil était bardé d'accessoires : lampe-torche, viseur laser, viseur holographique, chargeur extensible, poignée verticale, poignée horizontale, pare-soleil, mini-bouclier amovible pour protéger le tireur ; une véritable arme de mort.
« Police Impériale! Vous êtes en état d'arrestation Märteuk! »
L'humaine cracha un reste de pilules bleues par terre en guise de ponctuation.
« Va te faire foutre Natalia, la loi ne s'applique pas en dehors du secteur et tu le sais. » répondit le Nain, sans bouger d'un pouce, conscient qu'à cette distance il avait toutes les chances de finir couper en deux, sans retour possible.
« Pour toi c'est Natalia Hibbins De la Rose Sibylline Moncréa Kloutis Nausea Pyrotis. »
Le Nain leva les yeux au ciel, consterné par le sérieux de la flic.
« Je t'obsède, hein ? » poursuivit le nain « Regarde jusqu'où tu vas : le berceau de la Création, là où tout a commencé et au lieu de baver devant cette vue, tu baves devant ma mort. Tu es ici pour me tuer pour de bon, n'est-ce pas ? T'as même piqué le flingue du délégué pour ça à ce que je vois. »
« Et toi ? Utiliser la protection des nouveaux arrivants pour te guider dans la tempête, quelle bassesse. »
Märteuk tourna lentement la tête vers Banjeera : de quelle côté était-elle vraiment ? De la flic ? Impossible, Banjeera était toute fraîche d'à peine dix minutes lorsqu'il l'avait abordée. Le CdO était une institution hardcore, mais pas au point d'élaborer ce genre d'opérations. Natalia agissait seule, animée par une vieille vengeance.
Banjeera était confuse, mais les instructions de Märteuk pendant le voyage était claire : si une troisième personne se pointe tu dégoupilles cette grenade et tu la jettes.
Lorsque la grenade roula au pied de Natalia, elle s'allongea instinctivement de tout son long, devant la grenade, protégée par le bouclier amovible de son arme. L'explosion ne lui causa aucune égratignure. Cela offrit à Märteuk la seconde nécessaire pour passer derrière elle, un marteau de guerre à la main.
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