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📜 L’anguille électrique 📜
Juchée sur un tabouret, je m'amuse devant le miroir rectangulaire de la salle de bains. Du bout de l’index, je trace un coeur transpercé d’une flèche dont la pointe émoussée est affinée par mon ongle. « Arrête de faire n’importe quoi ! Tu vas laisser des traces de doigts sur la glace. » me gronde maman.
Le miroir glousse quand je me mets à frotter ma bêtise avec mon mouchoir brodé. Le vague reflet d’une sirène élancée m’hypnotise, dessinant des arabesques sur sa peau laiteuse avec le savon. Un seul battement de paupières risquerait de la faire disparaître. Je retiens mon souffle pour arrêter le temps mais rien n’y fait : en quelques secondes, la buée dissimule l’apparition. J’expire l’air de mes poumons et je colle mes lèvres à la silhouette floue.
Le clapotis de l’eau derrière moi me rappelle à la réalité. Je me retourne avec lenteur : la tête de maman surnage fièrement sur l’épais coussin de mousse vanillée. Je saute du tabouret, remonte les manches évasées de ma robe pourpre et lui décoche un sourire enjôleur pour éluder la question qui me vient à l’esprit : plongerait-elle pour venir me sauver de la noyade ou me jetterait-elle une bouée ?
Assise en équilibre sur le rebord de la baignoire, je me penche, explorant les fonds marins d’une main hésitante. M’abandonnant à la chaleur enveloppante de l’eau, mes joues s’empourprent tandis que mes doigts effleurent la chair tendre et rebondie. Je me laisse étourdir par les vapeurs parfumées et j’entends des milliers de bulles me rappeler combien mes intentions sont mauvaises.
L’interdiction de caresser cette peau de pêche rend mon désir irrépressible, vorace. J’abats la paume de ma main contre l’émail de la baignoire pour temporiser mon impatience. Les éclaboussures dérangent maman : « As-tu fini de barboter ? »
Elle me redresse d’un geste brusque, brandit le gant de toilette que j’ai malicieusement évité de trouver et le tord énergiquement. « Frotte-moi le dos correctement, cette fois ! » Elle pince les lèvres, s’agenouille, se retient au robinet et fait le dos rond comme un chat.
La gorge nouée, je glisse la main dans le gant de toilette magenta, j’y frotte le savon et je caresse langoureusement ses épaules osseuses. L’onctuosité de mes gestes l’exaspère, elle me ridiculise : « Limace. » La tête enfoncée entre ses genoux, elle ne voit pas mon oeil noir. Je lui obéis car je n’ai pas envie d’arrêter le jeu.
Les paupières baissées, j’en réinvente les règles : j’aurai besoin d’une éponge (le gant de toilette), d’un feutre (le savon), d’une ardoise (le dos de maman). J’enlèverai le bouchon pour évacuer une grande partie de l’eau. Il faudra deviner mes dessins, les yeux fermés.
L’un sera un papillon. Si maman se trompe, je pourrai choisir une nouvelle zone : le ventre. L’autre représentera une demi-lune. Maman n’aura pas droit à un joker. Si elle ne devine pas que j’ai dessiné la poche d’un kangourou et la première lettre de mon prénom, elle aura un gage : me laisser enfouir le visage dans sa poitrine moelleuse. C’est moi, qui déciderai de mettre fin au jeu.
Quand j’ouvre les yeux, je vois maman résignée, les bras enserrant ses genoux telle une enfant battue. Qui a fouetté son dos meurtri ? J’ai une sensation de pincements sur la peau, la tête qui tourne et je m’obstine à croire que j’ai péché. Je m’en veux terriblement et les larmes me montent aux yeux. Je me mords la lèvre inférieure jusqu’au sang, atterrée par ma lâcheté. Tandis que la tension devient insoutenable, je me penche pour poser sur les zones irritées des pansements avec mes lèvres brûlantes.
Étonnée, maman relève la tête et se retourne avec colère. Elle m’arrache le gant de toilette des mains, me repousse sèchement ; elle se rallonge, ferme les yeux et lâche avec mépris : « Ça ne sert à rien que tu me frottes le dos, tu t’y prends gauchement. Je ne vais plus te le demander ! »
Confuse, je lui assure que je ne la décevrai plus. « Tu te crois parfaite, peut-être ? » renchérit-elle d’un ton railleur après avoir remarqué l’état de ma robe.
Elle s’assoupit dans l’eau attiédie, peu soucieuse de ma torpeur. Dans l’expectative, je scrute sa bouche avare de mots consolateurs, mes jambes flageolant dans le silence sévère.
Frappée par un accès de haine, j’enlève ma robe aux manches trempées, la jetant ensuite dans la corbeille à linge sale. J’ouvre lentement le tiroir de la commode pour y extraire une anguille électrique vindicative. Je branche sa queue dans la prise au-dessus de la baignoire. Je tire maman de sa langueur avant de déclarer d’un ton péremptoire : « Je ne me crois pas parfaite, je le suis ! ».
J’appuie sur le bouton enclenchant la soufflerie du sèche-cheveux, me détournant pour ne pas croiser deux yeux exorbités de terreur ; j’ordonne à l’anguille électrique de transmettre à maman l’intensité de ma douleur.
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Informations sur l'article
Antichambre
18 Août 2016
1378√
7☆
3â—Š
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â—Š Commentaires
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Brume~52251 (2☆) Le 18 Août 2016
Je ne lis que depuis récemment t'ai écrit et franchement bravo.
L'ambiance me prend aux tripes et maintenant dès que je peux lire un de tes textes, je le fais sans hésiter.
N'étoile Kob' -
Saudade~63038 (40☆) Le 19 Août 2016
Bien que je n'ai rien contre enrichir mon vocabulaire, je préfère ce genre d'articles.
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Jay (577☆) Le 24 Août 2016
Tu connais mon avis