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14. Effet Mnemos
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Ils sont là, tous ou presque, dans ce T-Cast au sud de la ville, réunis dans une joyeuse confusion qui se voudrait ordonnée. Ils se pressent dans l'espace clos et réduit, se bousculent un peu, échangent quelques adieux avec leurs proches. Une légère angoisse étreint de façon palpable le cœur de ceux qui restent. Ceux qui partent, eux, sont davantage concentrés, réprimant leur excitation ou leur tension pour la plupart, hormis celui qui a l'intention de laisser son nom dans l'histoire et qui "grandiloque". Mais n'est pas héros qui veut..
Et puis, c'est l'heure. Rabattant leurs visières, après une dernière vérification matérielle, enfin, ils avancent. Un homme puis un autre. Un pas, puis un autre...
//...Et encore un pas. Ils avancent dans la lumière. Aveuglante. Au cœur des ruines. Un frisson sur la nuque. L'échine est glaciale. L'air est brulant...
... Partout, la poussière. Les squelettes de bâtiments, des gravats ou des murs plus ou moins debout, cachant les ombres pétrifiées d'une vie ancienne, figée, solidifiée dans le silence... Le silence? Non, c'est une impression... Les bruits ne sont juste pas les mêmes. Au loin, un cri ou un glapissement ou un brame ou.. Le sifflement du vent qui s'insinue dans une frondaison lointaine, se coule entre deux blocs minéraux...
Un mur... Des traces laissées dessus... Sa main qui l'effleure et pose sa marque sur le béton.... Brûlant... L'odeur... "ATTENTION!"... Un flot de braise se déverse sur eux comme une mort liquide qui les submerge... Bondir hors d'atteinte. Survivre... Ils se roulent au sol loin de la vague mortelle... Orange... Il brûle. Elle aussi... Un hurlement... Adrénaline... Le cœur qui palpite, prêt à exploser... Le chaleur est dense, l'air se brouille et se fait mirage. Décomposition optique. Effet de chaleur... //
Ça pour avoir eu chaud... La gynoïde referme le briquet dans un claquement sec, étouffant la flamme. Faire du feu pour éloigner le danger, ça sonne comme de l'ironie, maintenant. Autour d'elle, personne n'a visiblement remarqué sa respiration qui s'est accélérée, les gouttes de sueur qui ont perlé à son front, sa main qui s'est mise à trembler. C'est pourtant devenu si courant depuis leur retour. Ces réflexes de combat, la main qui se porte machinalement vers son arme ou qui cherche un rouleau de ruban adhésif comme si sa survie immédiate en dépendait. Le post-trauma d'une amnésique privée de sa raison d'avoir peur...
Glissant de son tabouret, elle s'éloigne du monde gris et tranquille des hommes sans mort pour aller rejoindre un refuge quelque part en ville... Prendre une douche. L'eau contre le feu. Laver la sueur froide et acre...
Il sourit... Ils s'amusent ensemble. Elle lui projette de l'eau au visage "Hey! Tu veux me noyer...?!". Il rit mais son rire se brise et son regard à elle se perd. Au delà de lui, de la paroi de la douche, au-delà de DreadCast... L'eau...
// ... Jusqu'au cou. Il se noie. Non, elle... Ligotée, elle étouffe. La liane l'étrangle. La corde tire sur son bassin. La tentacule lui enserre la jambe. Elle se débat. Elle panique et frappe. Dans l'eau sombre, les choses s'agitent, à la fois vives et molles... Elle tabasse encore. Une de moins. Son bras gauche est libre pour pouvoir mieux frapper, encore et encore. Soudain il est là. Sa gorge est libre. "Calme toi. Je suis là..." Mais le sourire disparait... Le cadavre dans les bras, elle nage... Il est trop tard, il est mort, mais elle nage... La kobold panique... mais il faut nager... atteindre la rive... la sortie du boyau obscur... Sortir... de l'air... //
Elle halète, cherchant de l'air... respirer... Son ami la regarde et pince sa lèvre en silence. Il sait aussi. Ils parlent parfois... Mais de quoi au juste? De rien... Car ils ne savent plus rien. Devdas a parfois des flashs. Zartam semble rester quasiment insensible à ses tests et ses stimulations. Quant à Theolf, il a carrément paumé trois jours de sa vie n'en gardant qu'une cicatrice inexpliquée... La cicatrice... La... l'ar... Non rien. Elle ne sait plus. Un voile, peut-être... Un voile de soie? Un nid de soie pour un outrilien endormi... Une cheville gonflée... Alors qu'ils attendent au Militarium que ce putain de sas cède ou non selon l'emmerdement de ceux d'en face, elle fixe des yeux celle d'Arcanta. Ils en ont parlé... Sa cheville, le délire, le regard de Sernine, ses bras... Elle soupire et ses yeux se posent sur le drapeau de l'Imperium...
//... Les drapeaux, là dans cette "pièce"... L'endroit est sombre, sous-terrain... Des silhouettes et des cadavres, des marcheurs endormis et des dormeurs qui ne vivent plus... La visière de Zartam qui n'en finit pas de se fendiller... Rien n'y fait. Elle déroule et dévide ses mètres de chatterton qu'elle enroule autour du casque, puis autour du visage, du cou... Elle l'enroule encore mais non, la visière se fendille encore... Alors elle entoure sa tête cramée, ses yeux fous, sa bouche qui crie... Mais la fissure s'étend... Et il crie encore... Rien à faire... Obstinément, elle continue pour que la fissure s'arrête, pour que le cri s'arrête, mais la visière se casse encore, et encore, et encore... et les yeux de Zartam sont emplis de feu... Et il hurle... //
... Et elle hurle. Encore un cauchemar qui réveille celui contre lequel elle est roulée en boule. Celui-là l'écoute, essaie de la comprendre mais il ne sait rien. Il ne connait rien de ses cauchemars atroces, il n'a rien vécu de cette peur primale qui prend les tripes et glace le sang, de la terreur silencieuse et tapie dans l'ombre verte. Il n'imagine pas le gigantisme ou le minuscule, la forme, le son, la couleur que peut prendre le danger omniprésent. Ni surtout la mort, la vraie mort, qui ici n'est plus qu'une théorie, une légende d'un autre siècle, un mythe et dont eux sont revenus, mais pas indemnes.
Peu importe, l'empire reconnaissant les remerciera...
Une cérémonie intime pour un "hommage" discret, étouffé. La vaseline passée "après", pour le coup, ça glisse pas mieux mais on se tait et on accepte "après coup". Le prix du silence. Le prix de l'oubli. Le prix du danger... Est-ce que ta putain de vie vaut cinquante plaques, Stilicon? Aux dernières nouvelles, ta mort en valait trente-cinq. La morale est sauve. Mais pas ma mémoire, fils de... l'Imperium. Drapeau. Contrôle. Pas rugir. Pas craquer. Baisse les yeux, gentille impérialiste... Et tandis que l'ambassadrice "éprouvée" fait des gentils sourires et refile du pognon, la gynoïde jette un regard nerveux par dessus son épaule. Ses yeux se posent sur la main de Ladoria qui tripote nerveusement les plantes en plastique placées derrière eux. Un réflexe : pousser doucement la kobold ...
// ... pour l'encourager gentiment à avancer. La doc est fascinée, curieuse, attirée par la végétation. Elle veut regarder, toucher, photographier, prélever. Mais le danger rôde, partout. Végétal, animal, minéral... Tout peut brutalement s'animer, devenir piège... Des yeux jaunes les suivent... Dans chaque ombre, chaque recoins, ils sont là, luisant dans une obscurité d'émeraude qui se fait plus dense. Soudain le sol s'ouvre.... Des milliers de pattes... des yeux rubis... des bras, des branches... Une gueule s'ouvre dans les feuilles... des crocs qui se referment sur sa gorge ... Il boit, s'abreuve, la vide... Elle lui donne sa vie... Il la prend... Elle va crever... Debout! Ramasse ton arme et bats-toi!... Avec fureur, elle abat sa lourde lame encore, et frappe, cogne, coupe, tranche... puis ses poings, ses gants, qui pulvérisent le verre, le caisson, elle étouffe... Sortir... Elle frappe encore... Le sang gicle... Elle continue... Une jambe dans l'herbe... Un bras arraché... Une bouillie humaine... La lumière... Le sang partout. Elle y nage. La rivière de corps, l'odeur, la putréfaction, l'horreur...Sortir... De l'air... Briser le verre... Le vert. Et dans le vert, le rouge... Rouge... Rouge et... noir.
Rideau. //
Le gris. Le silence. Le calme.
Elle essaie de se souvenir, un peu plus, chaque jour....
Le rouge, le vert... le rouge... Les couleurs d'une apocalypse, peut-être...
Au delà de sa mémoire en miettes, noyée, brisée, ses peintures ne sont plus que la projection de ses cauchemars. Plus que jamais, des souvenirs flous qui la hantent et ne prennent que l'apparence terrible d'un grand vide, un abime, au fond duquel il ne reste que la peur...
Memento Mori.
Memento ...
Memento ...
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Informations sur l'article
L-X : Réminiscences d'une gynoïde.
20 Août 2012
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Personnages cités
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Arcanta (18☆)
Zyeux d'chat -
Zartam (851☆)
Le fou blanc
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◊ Commentaires
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Jack~25139 (1225☆) Le 22 Août 2012
Style d'écriture toujours aussi unique et appréciable.
Une alternance du calme a l'enfer qui fait monter le cardio.
Un putain de réel talent.
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Jack~25139 (1225☆) Le 22 Août 2012
Et une retransmission des traumatisme post-combat a coupé le souffle. -
Alleria~1906 (107☆) Le 24 Août 2012
Excellent jonglage entre le su, le non su, les flashes et les conséquences d'une épreuve qui aurait du être inoubliable. Bravo