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Orion City Blues I

Le battement sourd du sang harcèle mes tempes et je constate dans un soupir que je traine les lambeaux de ma gueule de bois de la veille. Avec une féroce obstination, je maintiens mes paupières fermées, de peur de me faire cueillir par la lumière crue de la pièce et que mon mal de tronche y voit un encouragement à redoubler d’effort pour me pousser au suicide. Puis doucement ma mémoire émerge, je recolle avec lenteur les évènements m’ayant conduit là.
A tâtons, je récupère le stylo d’injection intradermique dans le tiroir de la table de chevet et m’administre une dose du cocktail anti-gueule de bois made in UC directement dans le cou. Après une profonde inspiration et dans un grognement sourd, j’enfourche ma mauvaise humeur et daigne enfin ouvrir les yeux sur le plafond fissuré de l’appartement dans lequel je me suis réfugié. Il suffit de quelques secondes au produit miracle d’Ana pour se diffuser en vagues chaudes dans mon corps. Je me redresse enfin, débarrassé de la douleur.
Ajoutant ma touche de chaos dans mes cheveux d’une main lasse, je gagne le miroir brisé trônant au-dessus du petit lavabo pour constater, non sans dépit qu’hier soir, je n’ai pas dû aimer y voir ma gueule. Distraitement, j’active le jet de la douche, réglant la température au plus chaud, puis après m’être débarrassé de mes vêtements, témoins bien trop explicites de l’agitation de la nuit dernière, je me glisse sous l’eau brûlante pour m’y abandonner avec un frisson de plaisir. Je ferme les yeux et me focalise sur mon esprit, l’enjoignant doucement à se mettre en ordre de bataille.
De longues minutes plus tard, je franchis l’entrée du petit immeuble ayant abrité mon naufrage, un bref sourire ourle mes lèvres.
16h36, la veille.
Orion la sombre, Orion et son smog crasseux habillant les rues du secteur d’un linceul retenant une fraîcheur morbide conférant à ses rues étroites des faux-airs de chambres froides. Engoncé dans mon trenchcoat, borsalino vissé sur le crâne, je dominais la rue, le regard glissant sur les étals et échoppes l’égrainant, tel un prédateur impassible traquant sa prochaine proie.
Quelques instants auparavant, je paressais dans mon fauteuil un verre à la main, mes yeux s’accrochant aux larmes que j’arrachais d’une lente valse au skiwi millésimé que je gardais précieusement dans un coffre pour de rares occasions, et aujourd’hui l’ennui était à la fête. Mon esprit captivé par l’arc-en-ciel éthylique et bercé par la musique de la pluie battant la fenêtre, me tirait doucement vers la torpeur, quand le reflet rougeoyant du clignotement de mon communicateur vint troubler mon verre. Simple et explicite, le message se parait malgré tout d’une aura d’incertitude. Mon rendez-vous était accepté, une bonne chose, mais le moment venu, serais-je capable de faire le bon choix ?
Avant tout, il me fallait régler mes affaires en suspens, et en premier lieu, celle avec la cible que j’avais en mire.
Je tirais de ma poche un cigare que j’étêtais d’un coup de croc précis avant de le caler entre mes lèvres. D’un geste fluide, j’allumais contre le chambranle une allumette pour la porter ensuite quelques secondes au contact de l’ensmoggeur. Renonçant à la sacrifier à la pluie, j’en observais la vacillante flamme lutter pour sa survie en une course effrénée contre le temps sur une planche la conduisant irrémédiablement vers son agonie. Dérisoire vengeance, le feu me mordit le bout des doigts. Je pris le temps d’en apprécier la brève douleur, seule sensation capable de se frayer un chemin dans mon existence actuelle. J’abandonnais le cadavre encore fumant de l’allumette dans mon sillage alors que je dévalais le perron en fourrant les poings dans mes poches pour fondre sur ma proie, le stand ambulant de brochettes d’écureuil le plus réputé du quartier. Tel le squale fendant le sable de Galibran, je sillonnais la foule, droit sur mon objectif résolu à ne supporter ni obstacle ni contre-temps.
Les gens de ma trempe sont souvent sujet à des rixes, et malgré une solide réputation, il y a toujours un inconscient prêt à tenter de briller pour un court instant de gloire. Aujourd’hui n’y faisait pas exception, tout à mes pensées, je ne le vis pas de suite se porter sur mon chemin et malgré des réflexes affûtés par de multiples affrontements, je le percutais tout de même de l’épaule, stoppant sa course. Peu préparé à un tel choc, mon désormais adversaire recula en dressant devant moi une pitoyable garde que je traversais avec aisance. L’étau de ma main se referma sur sa gorge et malgré ses tentatives pour y échapper, et il ne put que vociférer alors que j’abattais avec une précision chirurgicale mon poing une bonne quinzaine de fois sur son visage, maculant les murs avoisinants de son sang. En quelques secondes, l’histoire était réglée et je laissais derrière moi le corps inerte de l’audacieux.
Trophée en bouche et pix en main, je me faufilais à nouveau dans les rues délabrées pour honorer mon rendez-vous avant l’ultime rencontre.
Dans mon métier, il est important de savoir conserver l’anonymat de nos clients, nous appellerons donc ma commanditaire, Miss S. Tout avait commencé une semaine auparavant, par une de ces habituelles matinées pluvieuses. Je me souvenais m’être dit ce jour-là que Thalys, par ses larmes, tentait de laver la cité de ses péchés. Perdu dans mes pensées à détailler l’anatomie déformée des rues par le prisme de la pluie, je ne perçus l’intrusion dans mon bureau que lorsque, par un délicat tapotement de griffes sur le secrétaire trônant à l’entrée, elle signala sa présence. Elle se tenait là, dans l’entrée, fine silhouette gracile et immobile, à moitié drapée d’ombres, les mains ramenées devant elle, lui procurant une timide et déférente posture d’attente. A mon invitation, elle embrassa la lumière de quelques enjambées et dévoila un profil et une démarche féline propre à certains kobolds. Parée d’un élégant tailleur Bijela épousant parfaitement ses formes, elle prit place dans le fauteuil que je lui désignais et croisa ses jambes avec élégance avant de poser son regard doré sur moi avec une désarmante franchise.
« Monsieur Kröm, j’aimerais que vous me trouviez ceci. »
Elle poussa devant elle un bout de papier replié sur lequel étaient griffonnés quelques mots que je lus à plusieurs reprises avant de la regarder.
« J’imagine que ça doit rester entre nous, mademoiselle ? »
Elle opina du chef en réponse et me détailla avec curiosité lorsque je laissais se consumer la preuve de sa commande dans le cendrier à mes côtés. Elle sanctionna mon geste d’un sourire satisfait dévoilant des crocs acérés, puis se leva pour s’incliner brièvement.
« Je reprendrai contact avec vous pour la remise en main propre, monsieur Kröm. »
Je la regardai disparaître songeur, déjà à l’affaire qu’elle venait de me confier. Lui donner satisfaction avec un tel délai ne serait pas facile, mais il était hors de question que je renonce.
Des kilomètres de bitumes avalés, quelques pattes graissées et une volée de dents arrachées plus tard, le colis était en ma possession.
A l’heure dite, je poussais la porte du petit établissement où Miss S. m’avait donné rendez-vous. D’un rapide coup d’œil, je repérais la kobolde et traversais la salle sous le regard de quelques habitués pour m’installer face à elle. Élégante sans trop en faire dans un ensemble jupe tailleur, elle m’attendait confortablement adossée au dossier de sa chaise, mains posées sur ses cuisses, une lueur, que dans un premier temps je jaugeai, espiègle dans le regard. Sa voix chaleureusement rauque trancha le voile de musique élimé pour me tirer un sourire.
« Bonjour, monsieur Kröm, avez-vous apporté ma… commande ? »
J’opinais un salut doublé d’un acquiescement et je glissais une main dans mon imper pour en sortir un petit paquet que je posais sur la table devant moi avant de le pousser de deux doigts en direction de ma cliente.
« Ce fut moins facile à trouver que ce que je pensais, Miss. »
S’emparant du colis avec avidité, elle le décacheta pour en humer le contenu délicatement. Sa queue, jusque-là disciplinée, se dressa et frissonna sous l’odeur. Ce que j’avais pris pour de l’espièglerie était en fait de la gourmandise.
« Vous y êtes pourtant parvenu, monsieur Kröm, mes félicitations ! »
Elle me tendit une CP en retour et m’offrit un sourire satisfait, me congédiant par la même occasion.
« Je ne manquerai pas de refaire appel à vos services pour ma prochaine dégustation d’herbe, monsieur Kröm. »
Je me levais pour tourner les talons ne lui adressant qu’un vague signe de la main pour toute réponse.
La pluie avait cessé et un vent humide fouetta mon visage, portant à mes narines les relents de la ville nappées d’humidité. Ensmoggeur calé au coin des lèvres, j’observais un instant le ballet de reflets et de réverbérations dans les flaques, puis je me remis en mouvement pour prendre le chemin de mon ultime rendez-vous. Un T-Cast plus tard, j’approchais de ma destination, le CdC. Tel un cœur d’ombres et d’acier, il alimentait les rues de la cité de son flots métronomique de monitorés et parfois d’éveillés y insufflant un vie disparate et chaotique.
A nouveau, je marquais une pause, il me restait quelques minutes avant l’heure fatidique et il était temps que j’affronte les questions auxquelles je n’avais pas encore souhaité chercher de réponses. Ressassant les évènements qui m’avaient conduit là, je m’adossais à un mur, mon regard embrassant les contours de ce lieu de vie, de mort et de renouveau parfois. que serait-il pour moi après ce soir ? Quelle part de moi allait mourir ? Quelque chose la remplacerait-elle ou finirais-je à jamais amputé ? Tout ça était vain, tergiverser ne mènerait à rien, alors en bon Troll je cessais ces mille questions pour me propulser du mur jusqu’à la bouche béante et monstrueuse que formait l’entrée aseptisée du Centre de Clonage.
Quelques minutes plus tard, je me retrouvais face à un petit homme, lunettes finement cerclées posées sur le nez, qui prit de longues minutes à consulter mon dossier sur un holodeck. Je le détaillais alors qu’il dépeçait ma vie à chaque changement de page, traquant en vain la moindre émotion dans ses traits grisâtres. Enfin, il leva les yeux sur moi, me sondant ce qui me parût une éternité, puis la question claqua, d’une voix lasse et désincarnée.
« Vous êtes bien certain de vouloir faire ça ? »
Je gardais le silence quelques secondes, je sentais mon esprit se figer, le temps se distordre, retenant ce moment à l’excès pour me torturer plus longuement. Et merde, tiens ! Je soufflais bruyamment et opinais du chef, déglutissant avant de répondre d’une voix serrée d’angoisse.
« Oui.»
Il était temps d’en finir définitivement avec cette moustache.

Informations sur l'article

Dérives d'un troll philosophe et démembreur à ses heures perdues (parce que faut pas déconner)
18 Juin 2023
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◊ Commentaires

  • Luz (32☆) Le 18 Juin 2023
    (Tu resteras dans nos cœurs, moustachette ! :- p)
  • Kröm (93☆) Le 18 Juin 2023
    @Luz ce sont malheureusement toujours les meilleurs qui partent en premier ! Nous garderons une pensée émue pout tous ces poils sacrifiés au nom d'une cause qui les dépasse.
  • Haven (62☆) Le 18 Juin 2023
    « Je gardais le silence quelques secondes, je sentais mon esprit se figer, le temps se distordre, retenant ce moment à l’excès pour me torturer plus longuement » magistrale comparaison après ma lecture. Quelle chute !
  • Kröm (93☆) Le 18 Juin 2023
    @Haven : Au propre comme au figuré..
  • Flèche (246☆) Le 18 Juin 2023
    Noooooooooooooooooon 😞
  • Sha-Sha (87☆) Le 18 Juin 2023
    *
  • Tadzio (0☆) Le 18 Juin 2023
    L'art du suspense... Terrible.
    Miss S se drogue, honteux !
    Moi je le préfère sans moustaches ! 😁
  • Einor (43☆) Le 18 Juin 2023
    Choquée, déçue.