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La Dame Écarlate

La Dame Écarlate

San Francisco, Californie, le 17 avril 1906.
C'est contre toute raison, et autant que ma fébrilité me le permet, que j'écris ce que je n'oserai dire, par crainte qu'on ne m'aliène avant que je puisse mener à bien la tâche qui m'incombe. Je ne peux vous demander de croire à ce qui va suivre, en ces temps de sciences nouvelles, ni ai-je besoin de le faire. Les événements de cette nuit se chargeront de me donner raison, ou au contraire de prouver ma folie. Il est toutefois de ma responsabilité, dans l'éventualité de mon échec, de laisser une trace, de tenter de décrire l'indicible horreur à laquelle je m'apprête à faire face.
Ma vie fut bouleversée, à l'aube de ma quinzième année, quand prit fin celle de mon grand père, William Derleth, auguste professeur en sciences occultes de la prestigieuse Miskatonic University d'Arkham. Mon affection pour le vieille homme était d'autant plus grande que ma mère, dotée d'un pragmatisme moderne en réaction aux excentricités de son père, ne m'autorisait que rarement à le visiter. Il avait, disait-elle, peu à peu sombré dans une sénilité prématurée, du fait de ses recherches insensées, et craignait qu'il n'entraîne avec lui mon esprit impressionnable dans sa réalité bizarre et fantasque.
Ce fut donc à l'insu de sa fille que, sur son lit de mort, il me confia son journal, posant sur moi un regard d'une gravité que je ne lui connaissais pas. Aucun mot n'avait accompagné son lègue, dont seule l'expression de pitié à mon égard trahit, à posteriori, la signification.
Quelques semaines après son départ j'osai enfin m'y plonger, rongé par la curiosité de découvrir quelque mystère séculaire allaient au fil de ses pages. Aussi, fus-je d'abord autant déçu que pétri d'incompréhension, quand en lieu et place d'occultes secrets, j’eus entre les mains de nombreuses coupures de presse tristement rationnelles (certaines si vieilles qu'elles menaçaient de s’effriter sous mes doigts), faisant la lumière sur une obsession pour les grands incendies ; drames si conventionnels des cités à travers l'Histoire.


Combien je regrette aujourd'hui de n'avoir pas simplement cru, comme ma mère, que la décrépitude avait eu raison son esprit. Si je recopie certains passages de ce journal maudit, que vous trouverez joint à ce testament après cette nuit que je prédis funeste, c'est pour me donner la force d'achever l’œuvre de mon aïeul.

Arkham, 20 septembre 1871.
Enfin ! Après des années de recherches infructueuses, je l'ai finalement trouvée ! J'ai fait transféré les fonds nécessaire à Aleister (louée soit sa chance) pour qu'il l'achète à cette galerie et loue un entrepôt assez discret pour son étude. La toile a été rebaptisée “La Dame Écarlate”, mais a signé son origine, comme attendu, par la mort de son propriétaire. Je dois me hâter dans mes préparatifs pour rejoindre Aleister à Chicago au plus vite.

Chicago, 28 septembre 1871.
Quelle folie s'est emparée d'Aleister ?! Je lui avais pourtant donné des instructions très claires : recouvrir la toile et ne pas s'en approcher jusqu'à mon arrivée. Son influence morbide s'est déjà manifestée : il semble légèrement anémié, et sa vitalité diminuée. Madame O'Leary, qui habite la maison en face de l'entrepôt qu'elle nous loue, m'assure qu'il n'a touché aucun des repas qu'elle a déposés à sa porte depuis plusieurs jours.
Il me jure que ce ne sont que les nerfs, mais les rêves qu'il me décrit laissent peu de place au doute. C'est bien elle. “Lilith”, “La Sorcière de Sang”, parmi les nombreux noms qui ont été donnés à cette peinture millénaire. Je note son état exceptionnel de conservation ; selon Aleister elle s'est même rafraîchie depuis qu'il l'a en sa possession.

3 octobre 1871.
L'état physique autant que la condition mentale de mon étudiant se dégradent de jours en jours, à ma grande inquiétude autant qu'à mon étonnement. Il oscille entre catatonie et rêves éveillés. Je devrais l'écarter de cette toile, aussi loin que possible, mais je ne peux m'y résoudre. Elle semble lui donner accès à une dimension inimaginable, et à chaque fois qu'il tente de me la décrire, c'est dans une “langue” gutturale, hors de notre monde, dont chaque phonème impie fait trembler mon être. Sa main semble guidée par une entité étrangère, quand il noircit feuillet après feuillet de symboles défiant toute logique.
Entre la “Dame Écarlate” et lui, j'entrevois parfois l'air vibrer de tentacules intangibles, comme formés dans l'éther. Est-ce que je deviens moi aussi fou, sous cette influence hérétique ?

5 octobre 1871.
Quelle folie s'est emparée de moi ? J'espérais que la connexion d'Aleister avec la toile me donnerait la clé de sa destruction. Mais je n'ai fait que le condamner aux limbes et damner mon âme. Rien dans mes recherches ne faisait état d'un processus aussi rapide. Cela aurait dû prendre des années ! Et la Sorcière, mon dieu, semble rajeunir à mesure qu'il dépérit. Est-ce qu'elle sent, connaît mes intentions ? Je recherche en désespoir de cause une réponse, une solution, dans cet ouvrage maudit qu'est l'Unaussprechtlichen Kulten. C'est notre dernière chance.

8 octobre 1871.
Ce sont peut-être mes derniers mots. Tous mes espoirs reposent dans le feu alchimique de Yith. J'ai été contraint de maîtriser Aleister, hors de contrôle.

12 octobre 1871, Chicago.
Seigneur, qu'ai-je fais... Quelle vanité de m'être attaqué à EUX et leur... portail. Le rituel... Aleister, ce pauvre bougre, il m'en a empêché. Un feu a pris, mais aucun feu terrestre n'aurait pu la toucher. J'ai dû fuir, fuir devant son rire d'outre-monde. Mon dieu, ce rire. Et Aleister riait avec elle, insufflant une force surnaturelle aux flammes. L'enfer sur Terre. La ville est une ruine. J'ai eu la force de braver les braises dans l'espoir de retrouver la Dame. Elle a disparu, une nouvelle fois.
On accuse à tort cette pauvre Madame O'Leary. Mais comment oserais-je les convaincre de leur erreur ?

Alors que je m'étais convaincu depuis bien longtemps du délire maniaque de William Derleth, je l'ai vue. Au hasard de mes flâneries dans les rues de San Francisco, j'ai trouvé le chemin de la Dame Écarlate, terrifiante de majesté. L'antiquaire qui la possède semble ployer sous le poids de plus d'années qu'elle n'a vécues. Elle dit rêver d'indescriptibles cités cyclopéennes, qui s'élèvent à la lumière des premières étoiles...
Et cette nuit, par le truchement d'une horrible plaisanterie cosmique, ou d'une vengeance ourdie à l'encontre de ma lignée, c'est à moi qu'incombera la terrible tâche d'invoquer le feu de Yith. Puissiez-vous me pardonner si j'échoue.

C.A. Smith

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Tentative modeste d'hommage à l'un de mes auteurs préférés smiley

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[FORUM] Écris-moi un mouton
28 Avril 2016
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