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VII. M'man
Sa voix résonnait en elle, inlassablement. L'autre voix, derrière, faisait écho.
M'man. Un mot irréel qui avait flirté avec son existence dès sa jeunesse. Enfant surprise, découverte fortuite. Destins liés, déchirés par la vie. Eloignés l'un de l'autre, son Fils avait fait sa vie, et elle, disparaissait pour réapparaitre, fantôme sans importance dans la cité. Elle le regardait grandir de loin, alignant les noms qui n'étaient pas le sien derrière le prénom qu'elle lui avait choisi, grimpant dans la hiérarchie qu'elle avait renié pour une raison déjà perdue dans le temps. Puis la cryogénie les a emporté tous les deux, parfois côte à côte, parfois silencieusement, sans un mot pour l'autre, famille brisée, l'oubli.
Elle n'avait pas été une bonne mère. En réalité, elle ne l'était même plus, pour lui. Mais, elle l'accepta. Qu'y avait-il d'autre à faire ? Elle l'avait failli, trahi son rôle de mère. Elle ne méritait que ça.
Maman. Une réalité plus ancrée, prononcé par un jeune plein d'ambitions. Elle n'avait pas voulu, repoussé ce titre qui lui évoquait un passé raté, repoussé cette sensation de prendre à nouveau le rôle d'une figure maternelle. Mais c'était plus fort qu'elle. Elle l'a laissé faire, laissé prononcer ce mot pour l'appeler, à nouveau. Et alors, elle l'appela fils, et le mot provoquait en elle un douloureux rappel, un regret profond, une épine dans son coeur meurtri par les années, et la joie grandissante était étouffée par la culpabilité. Comment osait-elle ainsi le remplacer ?
Mauvaise mère, mauvaise mère, abandonnant ceux qui la considéraient comme tel. Pourtant, elle voulait s'accrocher, cette fois-ci. Mais c'est le fils, qui décrocha.
Un jour, remontant les couloirs sombres vers leur nid, la porte grande ouverte fit sombrer son coeur droit dans son estomac. Les rubalises du Cercle de l'Orient le firent remonter jusqu'à ses lèvres. Elle courut à l'intérieur pour découvrir le néant d'un nid vide, sans son oisillon.
Sa puce a été détruite, madame. Nous sommes désolés.
Désolés. Il était parti, du jour au lendemain, parti à jamais là d'où on ne revenait pas. Sans un mot. Sans fumée avant le feu de la mort. Elle lui parlait encore la veille.
Mauvaise mère, mauvaise mère, incapable de rendre son fils heureux.
Et puis le deuil, et puis l'alcool, et puis la routine d'une existence morne, sans descendance pour récupérer son héritage inexistant. Jusqu'à la lumière, celle de notification de son communicateur, et un nom. Celui du Fils. De retour, triomphant, pardonnant sa mère trainant encore son tas de viande dans les parages. Liens retrouvés, le fil qui reliait leurs coeurs se retissa peu à peu. Peut-être pouvait-elle faire mieux, cette fois. Peut-être pourrait-elle lui demander qu'il porte son nom.
Mais la vie, fusse-t-elle cruelle ou tristement hasardeuse, ne voulait pas son bonheur. Il ne l'avait jamais voulu, ou elle se l'était toujours refusé.
Un message, un docteur, une nouvelle, une journée trop courte, la faute à son sommeil décalé de la ville, décalé avec la vie.
Son Fils allait mal. En fait, il n'allait plus du tout.
Le bloc était vide, éclairé comme un paradis dans lequel sa conscience se trouvait peut-être déjà. Allongé sur la table, il souriait presque, paisible, tandis que la mère s'arrachait le coeur. Coulèrent les larmes et les regrets sur le torse de l'inconscient. Broyèrent ses mains la sienne, inerte et déjà froide, présage de ce qui l'attendait. Murmura la mère des mots d'adieu inacceptables, alors qu'ils venaient de se retrouver.
Mauvaise mère, mauvaise mère, inapte à le sauver.
Jamais elle ne pourrait lui demander de redevenir un Valachenko. Jamais elle ne pourrait faire en sorte qu'il soit fier de l'avoir comme mère. Jamais elle ne pourrait rattraper le temps perdu. Elle avait tout raté, oublié, abandonné, elle l'avait laissé vivre, reculé en arrière plan pour qu'il grandisse, loin d'elle, l'ancienne inconnue, la vieille sans médaille et sans histoire. Elle avait mis son amour de côté, effacé, cadenassé, oublié loin dans un coeur cerclé de fer.
Elle l'aimait. Maintenant, il était trop tard. Il n'y avait que ses pleurs pour la noyer.
Les yeux ouverts, soulignés par des cernes violacés comme un coup bleu dans son âme, la mère s'était levée, aussi lourde que Kepler, pour découvrir qu'ils l'avaient emporté. Ils ne l'avaient même pas réveillée, alors qu'elle était là, juste à côté. Une si mauvaise mère, qu'elle ne fut même pas là pour lui dire au revoir, inconsciente par une ivresse provoquée.
Mauvaise mère, mauvaise mère. Deux silhouettes se cotoient dans l'ombre de sa peine. Mauvaise mère, mauvais mère, elle ne mérite pas ton rôle.
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Informations sur l'article
La Laide Époque
27 Juin 2024
235√
17☆
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◊ Commentaires
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Dall (210☆) Le 28 Juin 2024
Et quel.le vieux/vieille peut s'en targuer, d'avoir été bon parent, quand tout le monde finit par reroll ? :o
Keur !