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EDC de Halinna~20755

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Ab intestat

L'apparence requiert art et finesse ; la vérité, calme et simplicité.
Kant
Donne-moi ce qu'il te reste,
Donne-moi ce que jamais l'on ne te demande...
Elle attend, son fusil de précision au creux des bras. Depuis la hauteur de l'édifice, l’environnement bétonné s'étend à perte de vue, grandiose paysage dévasté. Un bref regard sur le champ de tir, plusieurs cibles se dessinent, elle vérifie sa lunette de visée, puis dépose l’affût du canon dans l'interstice entre deux blocs de maçonnerie, le mauvais chiffon empoussiéré qui le dissimule crisse infimement. Elle s'allonge à même le sol rugueux, épaule son arme et vise.

Je ne demande pas le repos, ni la tranquillité,
Ni celle de l'âme, ni celle du corps,,,
Un cycle, deux cycles, le temps s'écoule lentement, elle attend. Trois cycles, quatre cycles, la posture la meurtrie, elle poursuit sa garde. Les cibles inconscientes du danger vont et viennent. Quelques cycles de plus, d'une main endolorie elle palpe son bras armé, relâchant à peine son doigt de la détente pour se prémunir de tout spasme tandis qu'elle effleure la plaie béante d'un combat passé. Un étendard impérial imbibé de sang, relique antique, retient les chairs. Un tir, un seul et le recul de l'arme rouvrirait l'hémorragie.

Donne-lui la gloire qui est ton présent,
Accorde-moi l'ombre anonyme et funeste...
Le viseur s'attarde sur une cible qui semble familière. Son cœur se serre, sa respiration la trahit, la visée se fait imprécise, la ligne de mire danse sur ses émotions. Il n'est plus, cela ne peut être... Et elle ? Qui est-elle ? Question lancinante et assassine. Elle connaît la réponse, sa réponse, une parmi d'autres. Un nom, une personnalité, un être, tout et si peu. Certains de se prendre pour des divinités telluriques aussitôt qu'ils accrochent la vie de l'autre à leur viseur. Cette jouissance morbide ne l'effleurait même pas, elle savait n'être qu'un pan de néant.

Je ne demande pas la richesse,
Ni le succès, ni même la santé...
Est-il seulement besoin d'espérer vaincre pour se battre ? Qu'importe le future lorsque le présent ordonne ! Certains agissent pour l'argent, d'autres pour le pouvoir, d'autres encore pour la gloire impérissable. L'argent et le pouvoir ne sont jamais que des moyens, s'y accrocher pour leurs valeurs intrinsèques n'est qu'un signe de corruption. Quant à la gloire elle n'est que récompense et ne saurait être un objectif. Vanité que de chercher autre chose que son devoir, simplement faire ce qui doit être fait dans l'honneur. Cependant a vivre par son devoir, on meurt pour son devoir...

Donne-moi ce qu'il te reste
Donne-moi ce que jamais l'on ne te demande...
Le calme l'habitait de nouveau, le souffle lent, la visée assurée. Les formes s'affairaient, toujours aussi inconscientes du danger. Un bruissement soudain la trouble, elle se détourne de son arme, observe derrière l’épaulière éraflée de son armure tactique. Un insecte non loin, rien de plus, par dessus son bras elle observe encore un instant. Ton sur ton, la grisaille du sol bétonné et sa cape crayeuse, un bref sourire, étrange et séduisante mise en abîme d'une poussière sur une autre. Elle se détourne finalement puis reprend sa patiente observation.

Je veux l'insécurité et l'inquiétude,
Je veux la tourmente et le combat
Et que tu me les donnes définitivement...
Une seconde ses yeux se ferment et c'est pourtant une éternité qui défile, seule à errer dans la jungle vers l'objectif de ses vœux. Solitude trompeuse, sans être imprudente, elle fut surprise. Déjà la créature se jette sur elle, la projette contre un thallophyte non loin qui expulse aussitôt ses spores. Elle se reprend, s'écarte vivement, cherche son arme tandis qu'à nouveau la créature charge. Elle l'évite d'une roulade sur l'humus, puis sort son épée. Une nouvelle passade s'annonce. Cette fois, elle frappe, le monstre rugit tandis que la lame énergétique se coince dans ses chairs. La bête l'arrache sans ménagement dans un rugissement de douleur. De nouveau désarmée, la jeune femme court chercher le salut de son fusil. Trop tard, le monstre est là, ses crocs s'enfoncent dans son bras pénétrant l'armure comme une vulgaire feuille. Elle hurle, la douleur est atroce. Sa main libre cherche, trouve, puis plante une longue dague effilée à travers le torse du monstre. Il chancelle, relâche sa prise. La jeune femme fait quelque pas en arrière, engourdie par sa blessure. L'animal tombe dans un bruit sourd. Courte victoire, il ne se faut que d'un instant avant que l’aventurière blessée ne voit sa vision se troubler, quelques pas ivres, elle chancelle à son tour puis s'affaisse, adossée à un arbre. Elle ferme alors les yeux s’efforçant de contenir son émotion, sa peur, sa douleur. Une inspiration, elle rouvre les yeux. Le petit groupe en contrebas semble sur le point de partir.

Que je sois sûre de les avoir toujours,
Car je n'aurais pas toujours la force de te les demander...
Elle observe, en silence, résignée, le devoir impose des sacrifices, y comprit le sien. Bien heureux sont ceux qui ne répondent que d'eux même, qui ne sauraient même remarquer la souffrance des autres. N'abandonner personne en acceptant l'évidence de l'être soi-même. Honorer ses paroles et ses actes d'une loyauté sans reconnaissance. Accepter la trahison en récompense de la fidélité. Faire son devoir pour les autres sans rien en espérer. Elle le sait, son nom est Personne, Personne l'appellent ses parents, Personne l'appellent ses autres camarades*. Et pourtant, elle les aime plus qu'elle ne saurait le dire. Elle le crierait si elle s'en sentait le droit. Mais son devoir, funeste compagnon l'oblige, il faut se refuser à ce qu'appelle son cœur.

Donne-moi ce qu'il te reste,
Donne-moi ce dont les autres ne veulent pas,
Mais donne-moi aussi le courage, la force et la foi...
Exauce-moi Imperator...
Comme son ultime espoir les cibles disparaissent, plus grandes de leur réussite, plus nobles de leur engagement. Elle reste, seule, le chagrin l'étreint étouffant dans sa gorge un souffle désormais condamné. Ne reste plus d'autre alternative que le devoir, elle l'attend pour une nouvelle danse, létale. Il apparaît soudain, le prédateur qui suit le troupeau, un parmi d'autres, surement, mais le sien. Elle retient son souffle, bloque sa respiration. Elle vise lentement la chose en mouvement, rapide, trop rapide. Bientôt hors de portée, et si c'était vain ?
Qu'importe... elle tire.
La balle atteint le monstre, il chute dans le silence de la distance. La jeune femme se laisse alors rouler sur le coté jusqu'à finir sur le dos. Elle sourit, pour elle même, son devoir accompli, une créature est morte ce soir, elle se vide de son sang sur le béton. C'est tout ce qui compte en cet instant...
Elle sent la chaleur de son sang couler le long de son bras...
Oui, une créature est morte ce soir, mais laquelle ?
Une larme, un murmure inaudible pour l’éden de ses voeux puis le silence.

Une seconde, une minute, un instant...
Non, il n'est pas encore temps...
Est-ce donc sa propre voix ? Combien de temps sans l'entendre ? Sans s'entendre soi-même, cloîtrée dans son propre silence ? Une voix d'outre-tombe, d'outre monde, mais une voix, bénédiction de l'ouïe.
Un battement des paupières écarte les ténèbres qui déjà la berçaient. De sa main valide, elle cherche à sa taille, rompt le silence radio. Dans un dernier effort, elle énonce les coordonnées de sa position.
Il est trop curieux pour ne pas venir... Elle l’espère du moins.
Aut pati aut mori
Vivre !
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Divagations adaptées à l'univers, autour de la Priére du para de André Zirnheld.
*chant IX, Odyssée, Homère
Modeste hommage aux expéditionnaires observés de lointaines limbes.

◊ Commentaires

  • N2CV (82☆) Le 16 Septembre 2013
    Joli récit..
  • Ladoria~7869 (221☆) Le 16 Septembre 2013
    Petite lecture pendant la pause midi, une autre à celle du goûter.
    Deux moments sympathiques.
  • Kinchaka~27073 (1094☆) Le 16 Septembre 2013
    Une lecture durant une file d'attente...on a des vies de malade avec Ladoria.
  • Halinna~20755 (60☆) Le 16 Septembre 2013
    Aigre-doux est le terme, cette thématique du retour oscille entre espoir et renoncement. Ce texte lui-même a fluctué sur les sentiments mêlés à ce sujet, entre volonté et doute. smiley
    Bref, mes excuses vont aux expéditionnaires de n'avoir su tendre la main à leur RP. Je gage cependant que Stilicon aura pu répondre à leurs attentes. La chose n'était pas mûre de mon coté...
  • Kambei~7880 (255☆) Le 17 Septembre 2013
    Pas grave, tu prendras le prochain train!