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Que le temps file


« C'est un grand moment. »
« Tu devrais le fêter, vraiment. »
« Ca n'arrive pas tous les jours, profites-en. »
« Ce n'est pas si compliqué à organiser tu sais, il suffit de rassembler les personnes que tu aimes, celles qui comptent pour toi, et passer un bon moment ensemble. »


« Oui. Oui. J'essayerais. »


C'était tellement plus facile de dire que l'on ne sait pas, que ce n'est pas notre truc, que l'organisation laisse à désirer. Que l'on ne sait pas, et surtout que l'on n'a jamais su. Cette excuse pour les conventions sociales était utilisable quand on est NI, dans les jeunes années, celles qui découvrent les liens de toutes sortes, ou jusque plus tard si l'on est un vautour paraît-il, avec tout le cliché que cela peut parfois véhiculer. Certains avaient cette chance, mais quand bien même l'excuse était réelle, elle n'avait plus l'impression de pouvoir l'utiliser depuis longtemps : on ne la croyait plus, elle qu'on avait trop vu à tant de soirées mondaines ou privées. On ne la croyait plus, si tant est qu'on l'avait cru un jour, lorsqu'elle osait admettre qu'elle ne savait pas comment se comporter avec les gens, comment être sociable, naturellement.
J'aurais aimé, ne croyez pas. J'aurais aimé tous vous rassembler quelque part, sur une terrasse surplombant la ville, dans un salon mauve aussi cher à mon coeur qu'il est poussiéreux. J'aurais aimé que ce soit aussi simple que de vous écrire un message sur ce communicateur encore plus fatigué que moi depuis tout ce temps, et d'attendre vos réponses, de fixer un jour qui arrangerait le plus grand nombre à défaut de pouvoir faire ça à la bonne date. Mais voilà, vous ne savez pas ce qu'il m'en coûte. Je ne le sais pas non plus, je ne pourrais pas poser une valeur, en revanche je sens que la difficulté est grande, plus grande que moi.

Ca me ferait mal, autant que ça me ferait peur. De voir que tant de noms que j'entrerai dans le champ des destinataires vont me renvoyer l'éternel message d'erreur « cette personne n'existe pas » ; de redouter vos réponses pour les rares qu'il reste, parce que chacun a sa vie, chacun a bien mieux à faire ; de me rendre compte au moment fatidique, à cette soirée de célébration si on peut vraiment le dire, que certains d'entre vous ne s'apprécieront pas, et que je n'aurais rien à vous raconter, rien qu'un néant immense. Parce que ce que nous avons partagé, ce que nous partageons, me semble soudainement si loin, tout comme vous.

Rassurez-vous néanmoins, je ne vous jette pas la pierre. Si je devais réellement en vouloir à quelqu'un, ce serait à moi, car inconsciemment ou bien en toute connaissance de cause selon les instants, j'ai cherché cet état de fait. J'ai cherché à disparaître à votre vue, de vos esprits, comme si vous faire oublier mon existence pouvait aplanir les souvenirs que vous aviez de moi, de ma vie. L'on dit bien qu'on ne vit éternellement que par la mémoire que les autres ont de nous, et peut-être, je dis bien peut-être, qu'il m'est arrivé de vouloir effacer cette éternité-ci.
L'Eternité existe pour nous grâce à deux grandes choses : Hujan, et les mémoires des autres. S'il était facile de remédier à l'un, quand bien même l'idée d'un tel acte ne lui ait que rarement traversé l'esprit, elle avait du se rendre à l'évidence que changer l'autre serait bien plus complexe. Elle s'était donc résolue à user de ce qu'ils avaient tous en surnombre - sans savoir quoi en faire pour beaucoup - et laisser faire le Temps, croyant qu'il effacerait seul, petit à petit, les bribes de souvenirs et les ancres dans les mémoires.

« Je serais là, et on fera ça dans les clous. »
« Je te l'organiserai et ça sera parfait, tu verras ! Aucune organisation ne me résiste, la tienne fera pas exception, crois-moi. »
« Ca te changera de toutes ces fois sur le Toit. Je viendrai t'y retrouver, tu ne seras pas seule. »


« J'ai hâte. »


Il n'y avait pas plus faux que ces deux mots. Elle ne se languissait pas le moins du monde, elle n'attendait pas cet instant comme on trépignerait devant une surprise. Elle comptait les jours non pas d'impatience, mais de résignation : le Temps pour seul maître incontestable. Quand on ne savait pas, il fallait se fier aux habitudes, voilà qui était encore le plus sûr. Aussi s'était-elle battu avec son sommeil pour aller retrouver un immeuble somme toute quelconque, un ascenseur aussi branlant que ça lui donnait l'air effrayant, un Toit par-dessus le monde comme un rendez-vous galant et nostalgique. Comme tous les ans.
Il me fallait observer la ville en me demandant si depuis tout ce temps, elle avait réellement changé, ou si c'était juste moi qui n'étais plus la même. J'aurais aimé croire que le vents me renvoyait des échos de vos voix, mais il ne portait que le bruit des rues de ceux d'en bas, et c'était bien mieux ainsi. Je savais qu'aucun de vous ne serait là, je le savais dès l'instant où vous aviez donné à vos mots des relents de promesse, celle que l'Eternité gâche toujours avec un plaisir notoire. Je le savais, mais je n'ai rien dit, certainement parce que dans le fond ça m'allait bien. Des paroles douces auxquelles ni vous ni moi n'avons jamais réellement cru, ne pouvaient faire de mal à qui que ce soit, et tout le monde y trouvait son compte.

Pourtant, vous m'avez manqué ce soir. Certes, je n'aurais su quoi vous dire si vous aviez été là, vous qui ne l'êtes plus. Certes, je n'aurais pas osé vous écrire non plus, pour vous proposer un verre, une soirée, un instant. Certes, c'est certainement plus simple que vous ne soyez pas là, mais lorsque votre absence est elle bien présente elle ne s'invite jamais sans son ami le manque. L'éternelle optimiste a peut-être cru que les portes de l'ascenseur allaient s'ouvrir derrière elle, là, soudainement, pour un miracle qui ne sera jamais apparu. Paradoxe en étau éternel : souhaiter l'absence et l'oubli en espérant le retour et le temps des souvenirs.
C'était l'inconvénient d'avoir bâti sa vie sur des archives passées, sur de la recherche de tréfonds qui n'étaient plus. On finissait par préférer ces temps anciens qui ne semblaient pas l'être tant à un présent qui ne lui avait jamais réellement convenu. Parce qu'elle en revenait toujours au même point, à cet aveu de faiblesse qu'elle n'avait pas su faire en temps et en cycle ; qu'elle ne pouvait plus faire dorénavant : elle ne savait pas vivre.

« Tu verras quand tu y seras. »
« On pourra t'appeler la sage, à ce moment-là ? »
« Tu obtiens le droit d'avoir l'air d'une vieille aigrie, en plus de celui de parler de temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C'est tout bon. »


Tant et tant lui ont évoqué cette idée de changement. De cap à franchir, de course contre la montre qui n'en est pas une. D'accomplissement invisible, de ligne d'arrivée complètement faussée. Tant et tant lui ont raconté ce que c'était à vivre, ce qu'ils pensaient que ce serait, ce qui soudainement se modifierait dans le quotidien, les idées, ce qui entoure chaque être en cette Cité. Ils ont inconsciemment érigé ce jour en monument incontournable qui n'en est finalement pas un.
Rien n'a changé. Pas de signe d'un passage honoré à défaut d'être honorable, pas de regard différent sur le monde, pas d'horloge qui sonne l'heure pour les jours qui s'en vont. S'il existe un avant et un après, je ne saurais les délimiter tant ils se mélangent pour ne faire qu'un, tant il n'existe, finalement, aucune différence. Je ne vois rien de tout ce que l'on m'a fait miroiter une fois ce chiffre symbolique passé, la saveur des jours est la même qu'hier, demain ne m'apparaît pas plus différent. Je suis pourtant certaine que l'on ne m'a pas menti.

« Alors, ça fait quoi d'avoir enfin cent ans ? »
Ca ne fait rien. Rien qu'un trou béant à combler, encore.
« Tu verras quand tu y seras, et tu me diras. »

Aujourd'hui, elle a cent ans.
Si peu comparé à d'autres géants des âges, tant face aux jeunes âmes qui débarquent.
Elle a cent ans, et toujours aucune certitude sur ce qu'elle a fait de bien durant ces années,
aucune non plus sur celles à venir.

Un siècle d'une constante remise en question. Joyeux anniversaire.




Spoiler (Afficher)
Aucune prétention, juste pour "marquer le coup" comme on dit. Pas le meilleur, donc, juste l'envie.
Si le tout a l'air très décousu, c'est normal : je n'ai que des feuilles volantes au boulot, tout n'a donc pas été écrit d'une traite. Bon courage pour la lecture !

Informations sur l'article

Verre brisé
13 Février 2022
615√  34 11

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◊ Commentaires

  • Casey (499☆) Le 14 Février 2022
    La maman rouge. Je pose une étoile, c'est une belle lecture.
  • Aexe (120☆) Le 14 Février 2022
    Joyeux anniversaire, Éternelle. *
  • June (261☆) Le 14 Février 2022
    Pour la meilleure Notaria ❤️*
  • Enaya (13☆) Le 14 Février 2022
    Parcqu'on deviens des vieilles aigries ensemble
  • Fläm (46☆) Le 14 Février 2022
    Bon Anniversaire, Eaven.
  • Omen (179☆) Le 14 Février 2022
    *Dépose la carte officielle de l'association des vieux et vieilles con.ne.s aigri.es.*
  • Zélie (153☆) Le 14 Février 2022
    C'est d'une très belle justesse.
  • L-X~19531 (1535☆) Le 14 Février 2022
    Tant d'Histoire traversée, tant d'histoires à raconter, et surtout, tant de secrets à garder. A jamais.
  • Valmont~32607 (178☆) Le 15 Février 2022
    Une petite jeune qui vieillit, c'est émouvant.
  • Dianna (114☆) Le 15 Février 2022
    Ma pionne ne serait pas grand chose sans la tienne.
    Maman Eaven est sublime. Encore plus du haut de son grand siècle de vie.
  • BB_24 (266☆) Le 19 Février 2022
    Une Dame presque Parfaite, dans un cycle presque éternel. ♥