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[R] La Légende des Murs


Elle y avait réfléchi un bon moment et, finalement, s'était laissée convaincre. Pour les beaux yeux d'une jeune blonde. Pour faire plaisir, comme si quelques mots, quelques contours de l'imagination pouvaient arranger quoi que ce soit. Trois jours pour se décider enfin à prendre un stylo, et commencer à raturer sur son carnet rouge, les yeux si longtemps rivés sur le thème de ce concours du courant de l'année 271. En quelques cycles, elle avait terminé, et elle avait beau regardé encore et encore ce dessin, il lui restait cette infime impression. Cette silhouette, face au mur. Cette silhouette...

La nuit était encore sombre, alors que le smog s'affinait de jour en jour à l'approche de l'Honora. Sombre, et fraîche. Le cycle était avancé et, malgré tout, elle déambulait dans les rues mal éclairées. Malfamées, même, parfois. Elle errait sans but comme les Nouveaux Arrivants qui débarquent pour ne plus jamais s'éveiller véritablement. À la différence qu'elle était encore vivante. Comme beaucoup, elle avait entendu nombre d'histoires dont elle s'abreuvait, nombre de légendes dont elle rêvait.
Écrire un vœu sur un morceau de papier froissé, pour le jeter ensuite au fin fond du cratère que l'on retrouve dans les rues du Sud. Dans l'espoir de voir ses mots d'encre se réaliser.
Fouiller le sol pour déterrer les petites capsules de bouteille, à la recherche de la capsule dorée et poussiéreuse qui porterait chance pour tous ses clones.
Veiller jusqu'au petit matin pour être le premier à voir le fin rayon de soleil les jours d'Honora Ceremonium, et faire un vœu. Sitôt oublié l'année d'après.
Fixer les murs qui entourent la Cité, souvent proche des Portes, le regard mélancolique glissant sur cette masse protectrice. Murmurer trois fois un nom au moment même où les lampadaires s'éteignent, à l'aube, et attendre. Vainement. Un retour quelconque, un bonheur irréel.
Elle croyait en tous ces contes pour NI, en tous ces rêves éveillés. Et parfois, elle cessait d'y croire et retombait sur terre, sur la réalité. On la disait naïve et elle se savait l'être. Elle avait tenté tous ces procédés bien souvent, lorsqu'elle y croyait et lorsqu'elle y croyait moins. Bien évidemment, ils n'avaient jamais fonctionné. Ce ne sont que des légendes. Et malgré cela, elle continuait comme l'on tient à une coutume. Tant et si bien qu'elle avait cessé de faire des vœux personnels, ayant pensé qu'il ne fallait pas penser qu'à soi.
Elle avait demandé le rétablissement de son voisin sur un bout de papier. Le mariage futur d'une amie au rayon de soleil dévastateur. Une année prolifique en cristaux farins à des capsules pas très dorées. Elle avait proféré des noms qu'elle connaissait à peine devant les Murs, les seules Portes pour témoin.
Par moment, la Chambre des Lois célébrait un mariage. Les médecins œuvraient pour sauver des clones, les soldats se battaient pour garder le secteur inviolé des parjures. Cela lui suffisait pour croire, et lui donner le sourire impérialiste que l'on voit parfois sur certains visages.
Au fond, elle s'était faite une raison. Pour être des légendes, ces dernières devaient le rester. Et pour le rester, il ne fallait pas qu'elles se réalisent. Ou alors, au compte-goutte. Et elle pouvait compter les gouttes tombées sur les doigts d'une main.
Ce soir-là, malgré cette obscurité omniprésente, elle avait choisi la légende des Murs, et s'était postée sur un petit terrain vague dont aucune agence immobilière ne semblait vouloir. Et pour cause, les habitations proches des Murs ne partaient pas très bien. Non pas par souci de sécurité, loin de là. Mais parce que, si l'on était protégé de ce qu'il y avait de l'autre côté, on l'entendait parfois. On l'entendait vivre. Ça ne plaisait pas à tout le monde, pour ne pas dire quasiment personne.
C'était l'avantage : elle était toujours tranquille lorsqu'elle venait ici. Même les rares ivrognes évitaient les Murs. Elle était arrivée bien plus tôt que d'habitude cette fois-là, son service ayant été écourté. Elle en avait profité pour acheter un sandouich avant de partir, qu'elle dégustait à présent assise sur le sol, son pantalon légèrement froissé traînant dans la poussière. Elle avait quelques cycles avant que l'aube ne pointe le bout de son nez, aussi elle se prit à rêver éveillée, comme elle le faisait souvent une fois seule. Lui seul sait à quoi elle rêvait véritablement, si tant est qu'elle rêvait bel et bien.
Une fois qu'elle eu repris ses esprits, l'obscurité de la nuit se faisait moindre. Alors, elle tenta de se concentrer sur les bruits de l'extérieur, persuadée que, cela encore, n'était que pure légende. Elle essaya pourtant, de sorte à en avoir le cœur net. Pendant près d'un cycle, elle resta quasiment immobile, ses paupières seules démontrant qu'elle n'était pas une poupée posée là, qu'elle était bien en vie.
Elle entendit de très loin un bruissement de feuilles entre elles. De plus loin encore, elle crut percevoir un appel animal qu'elle soupçonnait provenir de son imagination. Elle était persuadée d'entendre quelque chose fouler le sol, l'herbe inconnue. Tant de bruits qu'elle ne pouvait connaître, et qu'elle ne connaîtrait fort heureusement jamais. Elle connaissait ses chances de survie dehors, qui avoisinaient le fameux zéro. Et qui tomberaient au-dessous si cela était possible. Alors comment aurait-elle pu connaître le bruit des feuilles ? Elle ne le connaissait pas, elle l'imaginait, c'était tout. Tout se résumait bien souvent à cela, d'ailleurs.
Elle ne connaissait certes pas tout, mais elle savait reconnaître le bruit de pas qu'elle venait d'entendre. Elle regarda à droite. À gauche. Personne, évidemment, à ce cycle aussi matinal. Pourtant, elle en était certaine, quelque chose approchait. Inexorablement.
Je n'ai pas dormi, se dit-elle pour justifier tant son imagination débordante que les battements rapides de son cœur, lancé par ce qui ressemblait à de la peur. C'est ridicule, avait-elle alors ajouté, toujours pour elle-même. Elle ne quittait pourtant pas des yeux les environs, scrutant les rues comme elle le pouvait.
De nouveau, les pas. Cette fois-ci, elle se leva, prête à détaler. Rêveuse, mais pas téméraire, elle n'ignorait pas d'être une proie facile pour les petits voleurs qui passaient dans les rues. Seule, qui plus est. Elle n'avait aucune chance s'ils lui sautaient dessus.
Pourtant, toujours aucune silhouette dans les rues, aucun mouvement de poussière, rien. Elle était bel et bien seule, totalement seule. Solitude en laquelle elle ne croyait plus, persuadée d'halluciner et pourtant apeurée.
Ce fut pire encore lorsqu'elle crut percevoir un souffle, quelque part.
Elle se retint de crier, et la seule chose qui apaisa momentanément sa frayeur fut de voir les lumières des lampadaires s'éteindre. C'était le moment, ensuite, elle pourrait partir en courant pour se réfugier chez elle. Dans un souffle, elle prononça trois fois le nom d'un grand homme, fixant les Portes sans cligner des yeux. Elle attendit quelques secondes pour se rendre compte qu'il n'y avait plus aucun bruit, et que pour la énième fois, la légende ne fonctionnait pas. Ne pouvait pas fonctionner.
Comme si elle avait été programmée pour, elle se baissa pour récupérer ses affaires tenant dans un petit sac, et s'apprêtait à partir, avant que quelque chose ne l'arrête net. Ne la retienne.
- Ouvrez !
Pas une seconde, elle ne pensa que ce pouvait être le Cercle de l'Orient venu faire une arrestation dans le coin. Pas un instant, elle ne pensa que ce pouvait être quelque chose venant de l'intérieur.
Elle fixa les Portes de longues minutes, alors qu'elle continuait d'entendre cette voix lointaine qui suppliait presque d'ouvrir. Ou bien rêvait-elle cela aussi ? Ça lui a traversé l'esprit, il faut dire. Une seconde. Avant qu'elle n'appelle absolument toutes ses connaissances, dans l'espoir de trouver quelqu'un capable d'ouvrir cette porte.
Ce fut long, terriblement long. Certains lui ont ri au nez, d'autres ont à leur tour fait jouer leurs relations, allant parfois même jusqu'au Legatus lui-même, qui fut réveillé à l'aube, comme les autres. Elle avait crié en réponse à la voix, qu'elle faisait tout pour lui ouvrir. Après quoi, un attroupement commença à se former dans la rue, à tel point que l'on aurait pu croire que la journée était bien entamée. Il n'en était rien. Tous étaient curieux.
Enfin, après un temps qu'elle crut infini, elle vit se profiler la silhouette du Legatus, bien entouré. Difficile de l'approcher, mais pour une fois, elle n'y pensa même pas. Elle le suivit simplement des yeux, jusqu'à ce qu'il s'arrête devant la Porte. La voix a crié son nom, et ce fut un drôle d'échange qui eut lieu. Et qui ne dura pas plus de quelques paroles.
Alors, elle le vit se retourner vers un petit groupe d'hommes et de femmes, non loin, auquel elle n'avait pas fait attention. Il hocha la tête à leur intention, et ce fut tout. Ce fut le signe.
L'ouverture pour les uns, la délivrance pour un autre.

L'attroupement fut écarté par les forces de l'ordre, de sorte à laisser un espace suffisant dans la rue pour celui qui allait entrer. En première place siégeait le Legatus, patientant comme les autres, jusqu'à ce que la silhouette se glisse dans l’entrebâillement. De l'extérieur, on ne vit rien, même les plus curieux. Rien, si ce n'est une légère lumière, qui semblait vouloir s'accrocher aux vêtements de ce pauvre homme repêché. Rien, si ce n'est lui.
Et le silence.
Chacun retenait son souffle, comme pour lui laisser un peu plus d'air. La Porte s'était déjà refermée, mais personne n'y prêtait plus grande attention. Tous les regards étaient rivés sur lui, alors que le sien fixait Son porte-parole.
Son armure semblait branlante, mais lourde, à tel point que l'on pouvait se demander comment son corps amaigri en supportait encore le poids. Tout chez lui respirait la difficulté, la bataille. La survie. Jusqu'aux traits de son visage, encore plus affirmés que sur les holographies qu'elle avait pu voir dans certains lieux publics. Plus émaciés. Et pourtant bien vivant.
Elle le regardait, comme les autres. Non, elle le scrutait. Son apparence, ses moindres gestes, de sorte à être sûre que c'était réellement lui, le nom qu'elle avait murmuré. Et lorsqu'il tourna la tête, que ses yeux perçants s'arrêtèrent sur la foule, plus aucun doute ne lui fut permis. C'était bel et bien lui, ce grand homme de l'Empire.


Sa barbe le rendait presque méconnaissable, et pourtant, tous ou presque le reconnaissaient. Alors, le Legatus s'approcha, avec une lenteur presque exagérée, et lui tendit sa main. Que le nouveau venu serra sans l'ombre d'une hésitation ou presque. La rue toute entière fut réveillée de son silence sur cette simple phrase :
- Bienvenue en Secteur Impérial.
Deux sourires se firent face. D'autres se dessinèrent dans les ombres de la foule. L'émotion fêtait son retour comme il se devait, peut-être même mieux encore que ne l'aurait fait une cérémonie en son honneur. Malgré cela, la solennité du moment fut brisée, certes timidement, par des applaudissements, qui furent progressivement repris par tous, ou presque.
Elle profita de cet instant pour s'éclipser sans un mot, persuadée qu'elle était en train de rêver. Elle disparut, alors qu'il scrutait la foule pour la trouver, sans même la connaître. Une fois rentrée chez elle, elle s'écroula sur son lit même pas défait. Alors qu'elle pensait qu'elle ne pourrait jamais dormir après un événement pareil, le sommeil l'enveloppa sans crier gare.
À son réveil, bien des cycles plus tard, elle hésitait encore. Y croire signifierait accepter cette naïveté qui la caractérise au plus haut point. À l'inverse, réfuter l'événement serait réfuter son retour.
L'un comme l'autre, elle n'était pas prête à l'accepter. L'annonce de son retour était sur toutes les lèvres, dans toutes les paroles, on aurait presque pu croire que l'Honora le célébrait. Un grand homme était revenu, et elle restait incapable d'y croire.
Au fond, ce n'était pas tant qu'elle ne croyait pas à son retour. Elle l'avait vu de ses propres yeux et, même si parfois ils étaient traîtres, les annonces, elles, ne pouvaient mentir. Non, ce qu'elle ne pouvait croire, c'est que ce fut elle. Qu'elle fut là par hasard, qu'elle fut à deux doigts de partir et que, pourtant, elle était restée. Que c'était elle qui avait réveillé tout le monde à l'aube pour ouvrir ces Portes qu'elle pensait voir à jamais closes. Voilà ce qu'elle ne pouvait accepter : que c'était elle qui, d'une certaine façon, l'avait sauvé.
Elle aurait du se méfier. Toutes sortes de choses rôdent dehors. Il aurait pu être n'importe quoi ayant l'apparence humaine. Mais elle avait voulu croire et espérer. De la même façon que le Legatus n'avait pas hésité. Peut-être avait-il reconnu sa voix, presque inchangée ? Peut-être avait-il eu le même pressentiment qu'elle ? Peut-être croyait-il lui aussi aux légendes farfelues, peut-être avait-il lui aussi murmuré son nom quelque part ? Elle ne le saurait jamais. Personne ne le saurait.
Malgré cela, il était de retour. Elle l'avait revu, sur une chaise, lors de la célébration de l'Honora. Sans barbe, avec des vêtements neufs, qui ne cachaient pas sa maigreur. Mais qui le rendait plus reconnaissable.
Elle l'avait scruté, discrètement. Sans un mot. Elle ne se permettrait pas qu'il reconnaisse sa voix. Elle avait choisi.
Si elle l'avait sauvé, c'était pour l'Empire. Elle avait refusé que son nom soit cité dans l'article du DCN. C'était ce qu'elle pensait agir avec abnégation. Savoir s'effacer lorsqu'il le fallait. Le laisser agir de nouveau maintenant qu'il était là pour le faire, sans qu'il cherche à retrouver son ombre.
Après tout, elle n'avait rien fait d'autre qu'être là au bon moment.
Après tout, elle n'avait fait que croire aux légendes de comptoir.


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Le livre existant IG, c'est inconnu de vos personnages s'ils ne sont jamais tombés sur le-dit livre.

Informations sur l'article

Imagination
09 Mars 2017
851√  19 0

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