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La loyauté

Est-ce que l'on se demande, chaque matin, au réveil, à qui ou à quoi nous sommes loyaux ? Non. C'est une évidence. Lorsque la graine du doute est semée, alors déjà la loyauté est ébranlée.
La naine canon, Dall d'amour, la naine du mili, sergent-chef ou encore "ma" naine... Quel que soit la façon dont on l'appelle, celle qui fait ici le sujet de l'histoire n'avait jamais douté.
Jamais.
Elle se souvenait distinctement des propos dissidents que son entourage lui avait tenus. Les plus proches ! Ils l'avaient un jour regardé dans les yeux et lui avait demandé.
Me suivras-tu si je passe de l'autre côté ?
Et toujours elle avait répondu de la même façon.
Mais pour quoi y faire ? C'est mort... Quoi qu'il en soit nous devons la vie à Imperator et c'est de ce côté que sont ses serviteurs. Il est hors de question que j'aille là bas. En plus il parait qu'ils ne se lavent pas et que leur nourriture n'est pas stérilisée. Je ne voudrais surtout pas tomber malade.
*
* *
Et puis il y avait eu la cryo, la disparition de Moustache... et lui.
Lui et les drôles de sensations qu'il avait su placer en elle.
D'abord le trouble.
Une visite à l'improviste. Elle se revoyait face à une jeune recrue. Elle se revoyait sergent-chef au visage fermé, l'air impassible qu'elle arborait toute la journée. Et puis les lèvres d'une ombre qui s'étaient posées sur sa nuque.
Vous ai-je déjà narré à quel point presque douloureux Dall perçoit les contacts physiques ?
Ce fut le cas. Et d'une caresse elle perdait le fil de son entretien. Tant qu'elle dut couper l'enregistreur pour prendre une minute de repos avant d'être à nouveau opérationnelle.
Puis l'excitation.
Parce qu'elle l'avait rejoint par la suite. Elle aurait voulu l'insulter et lui dire que ce qu'il faisait été immoral. En lieu et place, elle avait juste succombé à la primaire pulsion qui la poussa à lui dérober un baiser.
Rien qu'un... Un innocent petit baiser de rien du tout...
Il n'avait plus qu'à la retenir. Ne pas la laisser filer et ses charmes lui appartiendraient pour la nuit. Il ne s'était pas gêné et les heures qui avaient suivi furent plus fiévreuses les unes que les autres.
Alors l'ivresse.
Celle qui caractérise l'extase ressenti après l'orgasme. Combien de fois ? Jusqu'à repousser les limites physiques. Ils s'étaient cherchés, trouvés, perdus, puis cherchés et trouvés à nouveau. Encore et encore, jusqu'à l'épuisement.
Ecroulés l'un dans les bras de l'une ou l'une dans les bras de l'un. Elle tremblante, parcourue de frissons qui la saisissaient à l'improviste. Lui peinant à s'en remettre, le coeur battant, les yeux brillants.
Ensuite le manque.
Par dessus tout, c'est ce qui caractérisa l'après. Les souvenirs tournaient dans sa tête. Elle n'arrivait plus à s'en défaire. Elle le voulait si fort et le savait si inaccessible que chaque pensée pour lui arrachait des soupirs las à la naine. Mais qu'est-ce qui prévaut ? Le militarium et à travers lui l'imperium.
Jusqu'au jour où elle s'était libérée une soirée. C'était l'occasion d'un martial, de lier l'utile à l'agréable. Au delà d'être un bon amant, il était un excellent instructeur et elle en avait tant appris avec lui que sa curiosité se trouvait chaque fois décuplée.
Après, la colère.
L'enchaînement de circonstances... C'avait été une mascarade en bande organisée. Une accumulation de coïncidences préjudiciables qui les avaient fait plonger l'un et l'autre jusqu'à une extrémité que jamais ils n'avaient seulement imaginé.
Depuis des années, ils criaient "Ad majorem imperator gloriam !" à l'unisson. Mais les voilà acivis. Les voilà rebelles ! Que cela pouvait-il bien leur inspirer ? La plus cuisante des injustices.
Enfin la perdition.
Et elle était devenue dingue à force de tourner en rond dans sa cellule. C'était impossible. Juste impossible. Et à mesure que les com affluaient, de soutien comme d'opposants, elle comprenait que non, ça n'était pas juste un cauchemar au mauvais scénario. Ca c'était réellement déroulé.
Elle revoyait les menottes passer autour de ses poignets, une blonde prononcer le conseil acerbe de mieux choisir ses fréquentations, un policier cogner sur un endormi, l'autre se servir dans les meubles d'un fonctionnaire impérial, puis la prison. Les murs gris, les acivis, les rebelles, le manque de lui toujours envoyé en iso afin que personne ne puisse communiquer avec lui. Bien sur quand elle en aurait eu le plus besoin.
Et là.
Là, ses pensées s'étaient embrouillées. Elle avait fait bonne figure, suivi les règles et cogné sa tête contre le mur pour faire taire ses idées dissidentes. Les gardes ne pouvaient être sadiques, puisqu'ils oeuvraient pour Imperator. La peine ne pouvait être injuste, puisqu'elle avait été prononcée pour Imperator. La rébellion ne pouvait être qu'un ramassis de la lie de la société, puisqu'elle ne suivait pas la voie d'Imperator.
Mais... Et l'imperium ? Le gouvernement, lui, ne pouvait-il pas être corrompu et par là même justifier les exactions de ceux qui oeuvraient pour lui ?
La gorge et le coeur serrés jusqu'à une insupportable douleur à cette idée, elle avait décidé de tout faire pour ne pas penser à cela. Ainsi, elle s'était concentrée sur son estomac vide et ses complexes nanesques de maigreur. Puis, les derniers jours, elle avait passé la majeure partie de son temps libre à courir dans le fond de la fosse. L'exercice libérait toujours la précieuse endorphine qui engourdissait son cerveau et lui permettait quelques cycles de répis.
Eloigner les questions serait une façon de se sauver momentanément du choix et de la folie qui pourrait le suivre.
*
* *
Et puis Moustache avait reparu.
Chéri, dis moi ce que je dois faire ?
Tu es née libre... Tu l'as toujours été...
Ca s'était soldé par une rupture.
Et elle s'était tournée vers celui qui la connaissait le mieux.
Val, dis moi ce que je dois faire ?
Mais je ne le sais pas plus que toi, ma naine.
Sans réponse.
Elle était condamnée à errer jusqu'à la trouver seule.
Et lorsque la graine du doute est semée, alors déjà la loyauté est ébranlée.

Informations sur l'article

Chroniques 226-253
14 Septembre 2013
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