EDC de Chlore~74577

– Tu es sûre ?
– Certaine. Profite.

Chlore adressa un sourire à l’Elfette, et partit se poser sur le canapé sans même attendre sa réponse. Ici, même le sofa lui paraissait luxueux… Incroyable. Elle qui galérait avec ses dix milles credz depuis sa sortie de maturateur profitait actuellement d’une suite digne de ce nom, au deuxième étage de son bar préféré. Bar qui était aussi devenu son lieu de travail… Tout ça en une journée. Elle avait fermé les yeux, histoire de prétendre qu’elle dormait déjà, pour que Rogera – l’une de ses protégés – prenne le lit sans rechigner, mais les rouvrit : la jeunette était déjà endormie. Silencieuse, la cyborg se contenta de sourire. Après tout, depuis qu’elle avait débarquée, l’Elfe dormait sur son canapé… Alors profiter du matelas probablement bien douillé d’une suite aussi belle, avec vue sur une grande partie du secteur, ne pourrait pas lui faire de mal. Chlore, elle, se sentait déjà très bien sur le sofa, et elle ferma à nouveau les paupières.

Au final, elle avait complètement zappé le piano. Et même, d’envoyer un message pour ça, ainsi que pour l’entretien qu’elle devait effectuer, pour espérer bosser au bar. Car bon, quitte à y passer la plupart de son temps, elle avait tout intérêt à le faire en pouvant payer son loyer et nourrir les jeunes. Et aussi pour pouvoir payer ses addictions. C’est fou ce que ça coûtait, tout ça. Mais tout est bien qui finit : elle le passa quand même, cet entretien, et obtenu le poste. Enfin, c’était même bien mieux que de simplement obtenir le poste… La patronne lui en avait créé un sur-mesure. Taillé pour elle. Et ça lui allait comme un gant.

Enfin, ce piano, elle ne l’avait pas vraiment oublié. Ça continuait de tourner dans sa tête, inlassable musique qui la lassait, elle, à force. Pourtant, elle commençait à s’y acclimater. Ce n’était pas complètement désagréable, non plus, mais elle aimerait bien pouvoir apprécier le silence plus souvent. Ou tout du moins, le silence du piano. Elle risquerait de se sentir seule, si personne ne parlait autour d’elle, et à choisir, elle préférait encore ces notes à la solitude. Pendant les quelques moments où n’y avait pas âme qui vive – ou plutôt, que tout le monde autour d’elle roupillait –, elle avait toujours la lecture pour s’occuper l’esprit. Mais peu importe sa passion grandissante pour les traités de médecine et son intérêt pour ceux de cybernétique, ça ne remplaçait pas la compagnie d’autrui. Et dans un sens, ça l’emmerdait. Ça ne fonctionnait pas aussi bien qu’elle l’aurait voulu, la lecture.

Cependant, pour les prochains jours à venir, elle en aurait, des choses à lire. Il fallait qu’elle étudie la carte du bar, la façon de préparer les boissons, les plats… Au moins, elle avait une bonne raison de se documenter sur l’alcool, cette fois. Ses amis pourraient la taquiner autant qu’ils voudraient : elle ne faisait que son travail, en tant que serveuse consciencieuse et appliquée ! Rien de mal à ça !… Bon, ils réfuteraient ses arguments et pencheraient plutôt pour sa passion pour le Skiwi. Mais elle pourrait tenter sa chance, au moins. Ça ne lui coûterait rien, ça.

Amis qui avaient bien failli se brouiller, d’ailleurs, cette après-midi là. Et même si « brouiller » était un bien grand terme pour le peu de vagues que ça avait fait – autant dire que c’était presque le calme plat –, elle avait été prise au dépourvu. Si qui que ce soit lui posait la question, elle nierait tout en bloc, mais la vérité était là : ça l’avait inquiétée plus qu’elle-même aurait pu le croire. L’idée même qu’elle pourrait froisser une personne qu’elle appréciait lui nouait l’estomac. Elle n’en avait que faire, de ceux qu’elle n’appréciait pas, ou du moins de ceux qui ne l’intriguaient pas, et se contentait de faire bonne impression. Ça passe, ou ça casse, se disait-elle. Mais dès lors qu’il s’agissait de ses amis… C’était différent. Bien trop différent. Alors elle s’était excusée profusément. Bien trop, peut-être. Tout comme elle était peut-être bien trop gentille… Elle aurait volontiers mis ça sur le dos de sa peur irrationnelle de la solitude, bien que l’un comme l’autre avait sa place dans sa façon d’agir, de penser. Oui, elle était probablement trop gentille, et oui, elle avait probablement trop la trouille de se retrouver toute seule. Mauvais combo, vraiment. Mais bon, que pouvait-elle y faire ? C’était sa façon d’être, après tout. Qui elle était. Chlore, tout simplement.

Quelques verres, quelques rires et un nouveau boulot après, ses craintes s’étaient apaisées. Elle avait eu d’autres petits moments de stress, dans la soirée, mais dans l’ensemble, c’était encore une assez bonne journée. Sauf que voilà, la nuit était tombée, et à présent qu’elle devait trouver le sommeil, tout ça lui revenait, en même temps que la mélodie. Elle soupira, ennuyée par ses propres pensées, et cala correctement sa nuque contre le dossier du canapé. Elle était bien consciente que tout ça, tous ces sentiments, toutes ces peurs allaient lui sauter au visage, un jour. Voire même carrément lui exploser à la gueule…

Mais pour l’instant, la fatigue la rattrapait. Puis, elle avait lu tout un guide sur les brûlures, et la manière de les soigner. Alors peut-être arriverait-elle à les gérer, même si elles touchaient un endroit bien plus sensible et profond que ses seules peaux synthétiques et organiques… Ou du moins, elle l’espérait.