EDC de Chlore~74577

• P'tain, ma tête...

Affalée sur le sofa de son appartement, face tournée vers le dossier et entourée de ses propres bras, Chlore laissa outrepasser de ses lèvres un gémissement. Les notes valdinguaient encore dans son esprit, encore une fois nouvelles, encore une fois agaçantes. Elle s'était dit qu'elle allait se mettre en quête d'un piano, histoire de les sortir de son crâne, mais avait préféré squatter le bar de son quartier et récupérer des nouveaux.

Les nouveaux... Deux p'tits jeunots, sortis de cuve un jour après elle, seulement, mais qui lui paraissaient bien plus paumés qu'elle. A peine avaient-ils quitté le maturateur qu'ils traînaient déjà les rues comme des écureuils perdus. Et forcément, elle avait eu pitié d'eux. Comment aurait-elle pu faire autrement que de leur dire de ramener les fesses dans son appart', alors ? Appart' qui, au final, était plus petit que ce qu'elle pensait... Mais elle s'en fichait. Elle aimait bien, avoir du monde autour d'elle. Enfin, si elle était un peu plus honnête, elle dirait probablement qu'elle avait une trouille aussi bleue que ses cheveux de la solitude. Comme une sorte d'instinct primaire, qui lui disait de ne pas rester seule, de s'entourer autant que possible. Comme une sorte de voix viscérale qui lui disait de le faire tant qu'elle en avait encore le temps.

Elle avait essayé de se bourrer la gueule, hier. Elle n'avait rien à oublier, pourtant. Si ce n'est ces foutus morceaux de piano, au fin fond de sa boîte crânienne. Mais qui sait, peut-être que ça lui serait utile à savoir, un jour. En attendant, ses essais furent infructueux: elle ne se sentait pas même légèrement alcoolisé. Tout ce que ses passages répétés au bar lui apportèrent, ce fut un trou dans ses crédits, une nouvelle addiction pour le Skiwish, quelques verres gratuits, et surtout, de nouvelles connaissances. Et ça, ça lui permettait de dire qu'elle n'avait pas risqué d'abîmer ses circuits pour rien. Particulièrement avec le shot d'uranium.

Elle s'était entraînée, aussi. Et elle s'était rendue compte qu'elle avait plus de gueule que de biceps. Et aussi que certaines parties de sa peau étaient synthétiques, d'autres, non. Prouvé et certifié par les hématomes qui étaient apparus, à droite à gauche. Elle était moins endolorie qu’elle le craignait, mais voilà, sa peau rejoignait les teintes de sa chevelure. Bon, ça lui donnait un certain charme… Ou pas. Elle n’en savait rien, et s’en foutait, presque royalement.

Ces notes, toujours ces foutus notes. Elle pressa son visage contre le tissu du dossier, et gronda à nouveau. Elle n’avait pas envie de réveiller la jeune Elfe qui dormait sur le sofa d’à-côté. Ils avaient besoin de sommeil, ces jeunes. Et puis, ils avaient intérêt à faire attention à eux. Elle ne les avait rencontrés – enfin, bousculés – qu’hier, aussi, mais s’était attachée. Vite, bien trop vite. Surtout qu’elle ne les connaissait pas tant que ça. Enfin, après tout, ils ne se connaissaient pas vraiment eux-mêmes. Même Chlore ne savait pas vraiment qui elle était, si ce n’est une cyborg avec un ratio synthétique-organique inconnu, une addiction au cafey, une autre au Skiwish, et une peur panique de se retrouver seule. Aussi seule qu’à sa première inspiration.

Elle ferma les yeux, soupirant. Non, elle n’aimait pas se sentir seule. Mais elle n’aimait pas non plus cette crainte que ça lui infligeait. Elle n’aimait pas avoir peur. Elle était plus forte que ça. Ou du moins, elle voulait être plus forte que ça. Elle se rassit, repassant une main sur son front, regardant à nouveau la NA assoupie. Après tout, si elle voulait prendre soin des deux jeunots, elle ne pouvait pas être faible…

Son com’ vibra dans sa poche, la sortant de ses contemplations. Elle le prit, sourcil levé, et lu le message, à moitié concentrée, à moitié complètement ailleurs. D’accord, elle prenait note. Rien de bien intéressant. Néanmoins, maintenant qu’elle était presque debout… Autant aller bosser, finir son heure. Histoire de récupérer son salaire, demain, et de nourrir les jeunots. Et de payer ses addictions, aussi.

Elle se leva. Toujours la musique, toujours ce fichu piano. Il faudrait qu’elle s’intéresse à ça aussi, un jour… Mais pas maintenant.