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4 - Lyrium
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La main de Cullen était agrippée si fort à la barre centrale du wagon dans lequel ils transitaient à présent que les yeux de Callian étaient fixés sur ses jointures blanches. Elle n'osait rien dire, ressentant le trouble profond de son collègue sans en saisir totalement la cause. Puis elle savait qu'il aurait certainement une de ses formules choisies expressément pour elle, comme "Fermez-là", "Allez voir ailleurs si j'y suis" ou bien celle qui sonnait comme "Retournez jouer au mage chez vos potes les elfes" ou quelque chose du genre, elle ne se souvenait plus très bien. Côtoyer Rutherford n'était pas vraiment ce qu'elle s'était imaginé... Elle avait cru à un agent au sourire facile, à l'humour batailleur et recherchant l'action où qu'elle se trouve. À la place, elle avait devant elle un homme taciturne, aux yeux parfois mélancoliques et à la moue blasée. Seuls demeuraient les traits qu'elle connaissait des campagnes de publicité "Rejoignez les Templiers", qui avaient été placardées sur tous les murs de la ville, il y a de cela cinq ans. Peut-être était-il un peu amaigri mais il était définitivement reconnaissable. Elle brûlait de lui poser des questions sur sa carrière, malgré les rebuffades, malgré le fait qu'il ne ressemble pas trop à l'image d'épinal qu'elle s'était constituée au fil des ans, et d'ailleurs, cela devait se lire sur son visage par trop expressif car lorsqu'elle quitta les jointures blanchies, elle rencontra son regard. Elle cligna des yeux mais resta aussi mutique que lui. Bizarrement, c'est lui qui soupira, tout en levant les yeux au ciel, ou plutôt vers le plafond délabré du wagon :
"Je vois bien que vous voulez parler et vu que je ne vais pas supporter votre regard inquisiteur une journée de plus, allez-y, posez-là votre question."
Elle essaya bien de se dérober. Depuis une semaine qu'elle lui collait aux basques, elle avait bien compris par elle-même qu'il n'était plus affilié aux Templiers. Elle ne savait trop depuis quand et se demandait pourquoi un tel départ n'avait pas été plus médiatisé. Les Templiers étaient l'unité d'élite des SSV. Véritable force d'assaut dans les situations concernant directement le pouvoir politique, ils avaient à la fondation de leur ordre la tâche de protéger l'empereur, en tant que garde prétorienne, et si besoin était, de faire appel au droit d'oblitération. Qu'on ait choisi un corps entier ayant la capacité de brouiller les pouvoirs magiques et les technologies dépendantes du voile n'est pas anodin. Cette garde était censé pouvoir oblitérer le Magisterium si ce dernier décidait d'outrepasser les droits de l'empereur et de s'approprier le pouvoir exécutif. Mais au fur et à mesure des décades, les Templiers devinrent l'unité d'élite que l'on connaît aujourd'hui, prompt à intervenir dans les situations délicates, ayant leurs entrées dans toute la ville. Le fer de lance des SSV. Les autres agents étant cantonnés aux affaires de moindre envergure. Quant aux crimes dits mineurs, ils sont gérés par les différentes milices, réparties en haute et basse-ville.
Callian se souvenait malgré tout du glissement qui s'était opéré ces dernières années : les Templiers étaient bien sûr toujours censés répondre aux exigences des SSV, en faire partie intégrante, mais on avait vu souvent des affaires gérées par eux seuls, sans que les dossiers ne soient révélés aux commandants SSV, informations laissées à la discrétion seule du Capitaine des Templiers. Le dernier coup d'éclat s'était opéré lorsque ces derniers avaient demandé de déménager dans leur base au Nord de la ville, délaissant le QG du SSV où ils avaient pourtant toujours siégé. L'elfe prit enfin la parole, avant que Cullen ne retire son offre :
"Quand avez-vous quitté les Templiers ?"
Il ferma un instant les yeux et soupira de nouveau : "Cela fait à peine un an. J'ai demandé à redevenir simple agent des SSV et je suis retourné au QG du Centre en basse-ville pour... diverses raisons"
Elle hocha soigneusement la tête, n'osant pas continuer dans l'indiscrétion. Ce n'était pas l'envie qui manquait mais les divers cahots que rencontraient leur wagon, ainsi que le bruit ambiant, rendaient la conversation délicate. Ils disséquèrent donc l'affaire que Sibellius Fox leur avait présentée, usant de leur jargon habituel et obscure, afin que personne ne puisse saisir le sens de leurs paroles. L'entrepôt avait, semble-t-il, été forcé dans la nuit du jour 17. Nous étions le jour 20. "Pourquoi a-t-il tardé tant que cela si c'était aussi urgent qu'il le prétend ?" Cullen eut un fin sourire, sa main cessant de comprimer la barre métallique, la conversation ayant le don de lui changer les idées : "Douce naïveté. Vous vous souvenez qu'il y a un an, le Lyrium a été officiellement interdit dans les rangs des SSV et de la police. On a veillé à le faire disparaître des rues, afin que les Templiers ne s'en procurent pas sous le manteau, vous voyez ? Tout du moins, c'est ce qui est communément admis. Mais le Lyrium est encore prisé dans les sociétés des gens friqués, et pour la sensation de puissance obtenue, beaucoup sont prêts à payer des sommes exorbitantes."
Callian se souvenait de cette sorte de révolution. Jusqu'alors, on utilisait beaucoup le Lyrium, en distraction, pour booster certaines aptitudes physiques, pour agrémenter ses soirées, mais les Templiers en avaient tellement abusé qu'ils n'avaient plus été capables de masquer les erreurs de conduite de leurs agents. On avait tant concentré le Lyrium, ces dernières années, que c'était devenu l'une des drogues les plus jouissives mais aussi les plus dangereuses de Venice. On l'avait donc prohibée, particulièrement dans les forces de l'ordre et on punissait sévèrement tout agent qui en faisait usage. On ne l'utilisait aujourd'hui que dans les augmentations ou autres appareils technologiques comme les armes à énergie, sous forme cristalline. Ceux qui ingéraient des cristaux de Lyrium pur ne vivaient pas assez longtemps pour raconter l'expérience. Mais inséré dans un exosquelette, on pouvait déployer une force et une résistance surhumaine : le Lyrium détournait le voile et convertissait son énergie, à la manière des mages. On avait remplacé la drogue favorite des Templiers par le Mirage, au cours de l'année, mais il était moins efficace, entièrement chimique et on rapportait déjà des effets secondaires un brin alarmant. Callian sourcilla :
"Ça ne leur suffit pas, le Mirage, aux gens friqués comme vous dîtes ?"
Rutherford la regarda un instant, et elle crut distinguer dans ses traits une sorte de tristesse. Il passa sa main pour plaquer en arrière ses cheveux châtains : "Non, le Mirage n'a rien à voir. Les SSV contrôlent normalement les cargaisons que font entrer les gens comme Sibellius Fox mais si le vol est avéré, on a une quantité non négligeable de Lyrium dans la nature et c'est plus inquiétant. Je comprends qu'il ait tardé à nous l'avouer. Les SSV seront beaucoup moins coulants en regard à son petit trafic à présent."
Ils parlèrent de la descente qu'ils feraient à l'entrepôt en question, le lendemain, histoire de voir si certains indices pouvaient les éclairer. Fox avait affirmé qu'il ne savait pas qui pouvait être l'auteur d'un tel méfait. Lorsqu'ils sortirent du Tramway, la nuit était tombée et les néons grésillaient sur toutes les façades. Rutherford avait l'air encore plus sombre qu'à l'accoutumée mais il ne cherchait plus à fuir particulièrement sa présence, ce qu'elle prenait pour une nette amélioration. Le deuxième jour, alors qu'ils devaient effectuer une mission de repérage ensemble, il s'était arrangé pour la semer. Elle avait été si en colère en arrivant, échevelée, sur les lieux, avec deux heures de retard... C'était la première fois qu'elle l'avait vu sourire, un véritable sourire sans ironie. Elle avait bougonné "ne refaites jamais ça" et depuis, elle était sur le qui-vive en permanence.
Alors qu'ils approchaient du poste central et du Squirrel's Tail, il lâcha, d'un ton neutre : "Rentrez, la journée a été longue." Et en basse-ville, ce n'était rien de le dire. On ne voyait que rarement la lumière du jour, entre les ruelles étouffées par les hautes tours, ainsi que l'atmosphère oppressante du Tramway. Chaque déplacement devenait laborieux. Elle savait que, comme chaque soir, il rejoindrait le bar. Il la planta là sans rien ajouter.
Il composa le numéro, connu par coeur, sur son intellicom, tandis qu'il avalait à grands traits le Whisky. Rien ne le rassérénait, ni l'alcool, ni le dancing rotatif qui avait été activé vers 21:00, où quelques filles plutôt jolies venaient se détendre après une journée de travail. L'une d'elle ressemblait à Amnell, hormis les oreilles, se surprit-il à remarquer, avec ses cheveux noirs et sa silhouette élancée. Il ferma les yeux en prenant son front dans sa main, sentant son sang palpiter derrière ses yeux. Il avait cette foutue migraine depuis des heures et elle ne semblait pas vouloir partir. Dès que Sibellius Fox avait prononcé le nom de Lyrium, Rutherford avait cru perdre pied. Il avait même senti la saveur sur sa langue et les effets du voile qui devenait presque palpable autour de lui. Puis s'était insinué l'odieuse envie d'en consommer, d'en trouver, tout de suite, maintenant. Il avait eu tant de mal à garder contenance, surtout sous le regard sans cesse fixé de la petite sur ses moindres mouvements. Pendant un bref instant, il avait songé la semer dans le quartier, comme quelques jours auparavant, afin de pouvoir être libre de courir, de hurler, ou de frapper un mur mais il avait pris sur lui. Comme souvent. Comme toujours fut un temps.
Il termina son verre, ne ressentant aucune satiété ni aucun contentement. Il valida l'appel et la sonnerie retentit quatre fois avant que la voix familière s'élève au bout du fil :
"Bouclette, ça par exemple, ça faisait longtemps." Cullen n'eut pas le coeur à sourire, et entre deux inspirations, il marmonna : "La ferme Varric, je peux passer oui ou non ?". Le nain lui donna rendez-vous dans les bas quartiers. Et pas la peine de dire que les bas quartiers de la basse ville avaient des allures d'enfers. On ne pouvait y croiser que des désespérés, à cette heure tardive. L'ancien templier se demanda s'il était l'un d'eux, tandis que ses lourdes bottes battaient le macadam dans un bruit sourd.
La cave où créchait Varric était verdâtre et humide. C'était le sous-sol d'un baraquement, où seuls ceux qui savaient ce qui s'y tramait se rendaient. Ce qui s'y tramait, c'était la vente de produits illégaux, d'augmentations trafiquées et non homologuées par les dirigeants de Venice, un peu de prostitution underground aussi, pour ceux qui ne goûtaient pas les bordels légaux. Rutherford, avec son air des mauvais jours, et ses vêtements SSV, fit fuir un jeune couple aux membres dégingandés alors qu'il prenait l'escalier pour gagner le sous-sol. Le nain était en train de manier une préparation qui avait l'air délicate. Cullen dut se maîtriser pour ne pas lui crier de se magner le train. Il inspira fébrilement l'air où filtrait la moisissure et compta, sans grande cohérence, jusqu'à ce que Varric et son sourire jovial ne se retournent vers lui : "Alors Soldat, on déraille ?" Il rigola tandis que ses yeux malicieux scrutait la mine déconfite de Rutherford. "Ta gueule Varric. Donnes-moi cinq doses de Mirage et je me tire aussi sec."
Le nain haussa un sourcil moqueur tout en farfouillant dans un tiroir : "Bah alors, les SSV ont oublié de faire la distribution ce matin ?" Cullen eut envie de lui cogner la tête contre la table métallique qui lui servait de plan de travail. Il contracta le poing mais demeura comme statufié, sachant que s'il faisait un pas dans sa direction, la situation dégénérerait. Varric connaissait très bien les cadences des SSV. Chaque matin, le Mirage était distribué aux agents humains, dans les locaux, avec une dose double pour les anciens Templiers. Mais les doses légales suffisaient de moins en moins à apaiser Rutherford. Le manque était permanent et agressait chaque nerf de son corps à certains moments. Et ça avait été pire lorsque cette affaire de Lyrium volé lui était tombée sur le coin du nez. Il ne voulait pas qu'Amnell le voit comme ça... Il avait été tellement plus apaisé lorsqu'il avait été seul, ces derniers mois. Puis son ancien coéquipier savait tout, il l'aidait, il le comprenait. Aucune chance que cette coincée d'elfe soit aussi ouverte d'esprit. Elle ne ferait que lui dire "ce n'est pas bien" avec sa petite voix pontifiante.
Il arracha les flacons des mains de Varric qui arrivait à sa hauteur et ouvrit le premier afin d'avaler son contenu. Comme à chaque fois, il eut la nausée. Le Mirage était tellement un pâle substitut au Lyrium, épais, doucereux. Il en ressentit les effets aussitôt, le voile à peine palpable mais tout de même présent, tandis que les battements de son coeur s'apaisaient peu à peu. Il rangea le reste dans les poches de son cosmo puis fila les crédits dus au nain dans un mouvement dédaigneux.
"Oh ne fais pas ta fine bouche avec moi Cullen, je n'ai pas les paluches plus sales qu'un autre."
D'avoir besoin de profiteurs comme Varric révulsait Rutherford. Il avait bien essayé de se sevrer mais toute son acuité de flic devenait inexistante. Sans parler de son inaptitude à user du Châtiment, ce qui l'handicapait et le mettait au même rang qu'un agent subalterne. Un agent normal. Banal. Inutile. Le chef le cantonnerait aux affaires mineures, ou pire, il serait muté dans une milice sectorielle. Il ne pouvait pas subir telle déchéance, pas après tout ce qu'il avait eu à encaisser. Non.
Il se passa une main sur le visage et hocha la tête puis demanda presqu'innocemment :
"Tu n'aurais pas entendu parler d'une cargaison de Lyrium en balade par hasard ?"
Le nain fronça les sourcils et répondit aussitôt : "Ça non Bouclette, je te l'ai déjà dit il y a un an de cela, le Lyrium, j'en fournis pas. Aucune envie que des dingues de Templiers me tombent sur le râble. C'est un commerce trop dangereux pour moi."
Cullen haussa les épaules : "Je sais bien tout ça, le nain. Ça n'a rien à voir avec moi, Sibellius Fox a perdu quelque chose et ça a l'air plutôt dangereux de laisser la situation dégénérer." Varric sembla interloqué : "Le vieux Fox tu dis ? Hmm... J'ai bien entendu parlé d'une cargaison spéciale mais je ne savais pas qu'il s'agissait de Lyrium. Si j'apprends quelque chose, je te tiendrai au courant."
Ils se séparèrent sur un signe de tête et Rutherford put rejoindre son appartement sans trembler ni sentir son souffle lui échapper. Il s'endormit tard dans la nuit, en scrutant le flacon de Mirage plein qu'il avait posé sur la tablette, tout près de son lit.
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Derrière le voile
11 Février 2015
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