EDC de Callaghan~1684
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Les Portes
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Le sang s'abattait contre ses tempes, rythmant ses pensées dans une marche forcée. Sa tête était tambour de guerre, champ de bataille, tumulte. Dans un geste hésitant, il ouvrit un tiroir, s’empara du pilulier présent et avala deux cachets, la main tremblotante. Il en fit tomber un, mais peu importe , le martèlement irrégulier de son pouls s'estompait, avec ses dernières angoisses.
Sept ans qu'il était en ville, et voilà deux mois qu'il prenait le temps de réfléchir, à l'écart des cris, du sang, de l'urgence, des combats. Sa nature était mêlée, corps-à-corps, vacarme. Son cœur suivait sa nature turbulente, au gré de ses crises d'hypertension, où l'étourdissement devenait chorée, cris primaux, et s'achevait dans une syncope.
Le devoir, l'obéissance, la discipline, la dévotion étaient autant de canaux dans lesquels ses pulsions se déversaient. Autant de canaux comme de frontières entre le domaine du guerrier, et le domaine de la bête. On ne peut trahir sa nature, mais son corps... La vie n'avait de valeur que dans les méandres de la nature du sapiens. La mort n'était plus qu'une formalité administrative, au pire une humiliation qui n'appelait qu'une autre mort. Seul le vice était sacré, côte-à-côte avec l'Empereur sur son piédestal.
Sa condition était devenu une prison annulaire, emprisonnée dans un corps, un monde auquel il n'appartenait plus. Sortir de la ville était impossible. Le Secteur Rebelle ? Il n'aurait pas la quiétude à laquelle il aspirait. Le Sapiens débarrassé de ses codes y vivait les dernières étapes de sa régression à l'état de nature. L'artifice apparent des codes, la contrainte étaient une garantie de son existence, le ressenti de la difficulté un certificat. L'artifice est génétique. La seule solution, c'était la cryogénisation, loin du tumulte de la vie, des vivants, la conscience débarrassée du besoin et du zeitgeist. La conscience sans le corps, malade de surcroit.
Il leva le nez, et pris une note qu'il remplit, à l'intention de sa femme, et au prix d'un effort que l'on devinait surhumain, il se réfugia en quelques termes laconiques qu'il scella d'un pli. Il s'arrêta devant sa note, les souvenirs heureux, son mariage, les épreuves traversées déferlaient dans son esprit. Ses sentiments étaient toujours aussi vifs que le premier jour, elle qui l'avait toujours poussé à dépasser ses limites. Elle représentait le plus gros obstacle à son projet. Mais il savait qu'elle pourrait s'en sortir sans lui, et cela le confortait quelque part. Dans un geste brusque, il se pinça le dos de la main pour évacuer ses pensées jusqu'à ce qu'une trace violacée persiste.
La main meurtrie, il contacta son médecin pour une dernière consultation, une séance de question en réalité. A 21h00, quelqu'un vint frapper à la porte. Elle avait toujours été d'une rigueur admirable pour un auxiliaire. Un véritable soutien au temps où il fut Général. Perdu dans ses pensées, il fit signe au médecin de le suivre dans son bureau, où une conversation s'engagea :
« A votre avis, quand on meurt, la conscience persiste-t-elle, ou est-elle clonée ?
- Les facultés cognitives, la mémoire sont clonées. La conscience est la somme de vos expériences. Cela, vous ne le perdrez pas non plus
- Et lorsque nous sommes cryogénisé ?
- Le cerveau est mis en sommeil, son activité également. c’est finalement comme un sommeil profond.
- Maintenant, une autre question. Est-il possible de n'activer qu'une partie du cerveau ? »
L'outrilienne cligna des paupières inférieures, visiblement intriguée par la question, puis relança :
« Vous voulez dire, une cryogénisation partielle ? Eh bien, techniquement, c’est envisageable, mais cela reste délicat. Imaginez l’esprit de celui dont le corps serait endormi. Il y aurait de quoi se sentir prisonnier
- Mais un esprit libéré de ses besoins et de ses pulsions ressent-il l'enfermement ?
- Cela me semble une expérimentation très risquée. Pouvoir isoler les ondes cérébrales et reprogrammer le caisson de cryogénisation...
- Ce serait possible d'ici à ce soir ? »
Le docteur s'arrêta un instant, abasourdie :
« Vous plaisantez ?
- J'ai un nez rouge, docteur ?
- Non, mon Général. Je peux essayer de préparer le matériel pour cette expérience, mais rassurez-moi sur l'identité du cobaye auparavant ?
- Moi
Shivah se raidit, et rehaussa aussitôt le regard en direction du retraité :
- C’est très risqué je vous l'ai dit, te je n'ai pas envie de... vous perdre.
- J'ai confiance en vos compétences. Je ne suis plus qu'une âme obsolète dans un corps détraqué, et un médecin se doit de réfléchir au bien-être de son patient, n'est-ce-pas ? Un quidam aliéné de son corps est-il toujours sain ?
- Dois-je prévoir un dispositif pour vous permettre de communiquer avec l'extérieur ?
- Aucun. Je ne veux être aucunement dérangé pendant mon hibernation. A part le bouton "décongélation"...
- Ça va être une torture, vous serez prisonnier et vous en serez conscient
- A ce moment-là, thermostat 8 ?
- Vous êtes décidément le plus borné des humains que je connaisse
- Et le Sydre ? dit-il en souriant.
- Le Capitaine c’est... différent. Bon, je veillerai à maintenir vos ondes cérébrales. Après tout même en léthargie nous continuons à penser. Ce dont un outrilien est capable doit pouvoir s’appliquer à vous
Alors qu'elle s’apprêtait à prendre congé, il interrompit sa manœuvre sur un ton neutre :
« J'ai une dernière question avant de vous libérer.
- Je vous écoute
- Je n'arrive pas à contacter Anesthaesia. Où est-elle ?
- Elle est morte. Elle a réalisé que sa démission du Militarium était sans doute une erreur
A l'entente de la nouvelle, il sentit comme un froid le traverser, une sensation désagréable qu'il tenta de faire passer en pressant intensément son hématome. L'air de rien, il se mit à scruter les veinures de son bureau, cachant tant bien que mal l'affliction causée par la nouvelle. Il se rappelait de la jeune femme, si volontaire, si disponible, pour qui il avait été un mentor... ou un Pygmalion ? Un début de culpabilité se fit ressentir, il avait été absent ces derniers temps. Dans un dernier effort, il comprima encore sa blessure pour noyer son sentiment. Une fois l'accès passé, il reprit sur un ton monotone :
« Pensez à désactiver les émotions.
- Je vais essayer. Je vous contacte dès que c’est prêt, répondit-elle dans un salut militaire, ce à quoi il répondit :
- A tout à l'heure
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Les Portes de la Perception
04 Décembre 2012
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