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1. Avenir
1.
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Elle est là. Assise dos à lui. Nue. Les pointes abîmées de ses cheveux violets balaient son échine. Penchée vers l'avant, elle enfile la culotte qu'il lui a ôté du bout des dents un cycle plus tôt. Elle ramène sur son épaule sa masse pourpre et enfile le court débardeur qu'elle porte tous les jours, inlassablement.
Elle est belle, malgré les entailles sur son clone, malgré les piqûres à ses coudes. Malgré ce maquillage qu'elle s'emploie à mettre chaque jour, pour masquer le vert de ses yeux, l'éclat pur de sa peau. Celui qui ne demande qu'à être sali par de la crasse, du sang, du sperme.
Par la vie.
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La chambre est miteuse. L'appartement est miteux. On ne pouvait pas s'attendre à mieux dans cette partie du secteur, et à ce prix. Les murs sont rongés par l'humidité, le sol recouvert d'une couche de fringues pour masquer son état pitoyable. La table basse est maintenue debout par deux parpaings en guise de pieds, et l'holo-fenêtre ne semble plus connaître que la pluie battante. Ça gronde à l'extérieur, l'eau s'abat dans une force frénétique contre la tôle, l'air glacial s'infiltre pour venir heurter de plein fouet les corps nus, et ronger les espoirs.
Charriant avec lui, les relents d'urine, de déchets, et de mort qui ne sont que le bouquet quotidien de l'endroit.
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Et comme écho à cette danse liquide s'échappant du smog, leurs deux respirations s'emmêlent alors que les regards se croisent. Aucune parole, pas de mot. A quoi bon s'élancer dans un discours sans fond, sans forme, sans importance ? Chacun a été le remède de l'autre, l'espace d'une nuit.
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Une autre soirée à oublier une autre femme. D'une autre époque.
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2.
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Déjà plusieurs cycles que mon neuvopack cherche des cristaux dans ces ruelles desséchées. L'aube ne devrait plus tarder, à peine quelques cycles à patienter, le smog est si épais que cela ne change pas grand chose. Parfois aussi sombre que le fond du Cratère, parfois de ce jaune moutarde à la sortie des technopôles, il reste lourd, acide et oppressant. Cela fait une heptade que le sol s'appauvrit jour après jour. Que la rentrée de crédits diminue proportionnellement à l'absence de cristaux dans le neuvopack. Et il y a ce nouveau gang qui demande un concentré farin par heptade pour sa protection. Comme si on pouvait se permettre de donner 5.000 crédits.
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Le bip discret du neuvopack plein se fait entendre dans le calme relatif de ce fond de ruelle. En écho, des rires tonitruants, des rires alcoolisés, des rires qui dégoulinent d'ego et de richesse. Il n'y a nul besoin de les voir pour savoir à qui ils appartiennent. De jeunes richards du Nord, qui ont eu la chance de tomber sur des familles prêtes à adopter. Sur des familles prêtes à les faire crouler sous les cadeaux, sous les crédits. Des jeunes qui pensent que le secteur leur appartient. Que rien ne peut leur arriver. Quoi qu'ils fassent.
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Le groupe se rapproche, toujours aussi bruyant. Torses bombés, démarches victorieuses, sourires dédaigneux et regards défiants. Ils piétinent. Le sol, et les autres. Et mon neuvopack. L'éclat de rire fuse, en réponse à mon insulte virulente. Et le poing s'écrase contre ma tempe avant que je n'ai eu le temps de réagir.
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« Reste dans ta merde et dégage de notre chemin. Déchet de la Cité. »
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Les mots ont été crachés avec autant de violence que le mollard qui s'échoue sur mon bras. Au bout de celui-ci, ma main s'arrête sur le manche de la pelle au sol. Le geste réflexe est ralenti par les couches de vêtement visant à lutter contre l'aigreur du froid et l'acidité du smog, et pourtant, il atteint son but, dans un bruit sec qui se répercute contre les murs. La rencontre du métal contre la dureté d'un crâne.
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« Regarde ce que t'as fait connard..! »
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Mes yeux s'ouvrent et je regarde. Au sol, un de ces gosses. La pelle a enfoncé son os frontal directement dans son cerveau. Il y a du sang, mais moins qu'on pourrait s'y attendre. Et en quelques secondes, l'apoptose. Tout se liquéfie pour qu'il ne reste au sol plus que ma pelle ensanglantée.
Dans un soupir je les vois fondre, poings ou pieds en avant. D'un dans les côtes, dans le dos et sur mon visage. Les coups sont durs, les craquements nombreux et la douleur diffuse, comme une vieille amie.
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Dans un dernier élan, je tente de m'échapper, et aperçois plus loin, deux yeux verts qui me fixent. La chevelure pourpre encadre un visage à la douceur surprenante dans cet océan de dépravation. Et elle se détourne. Mon ange de la mort. Entourée de ces autres hommes au regard dur, autant que leurs poings. Ces hommes bien différents de ceux qui s'acharnent sur moi. Ces hommes qu'il aurait fallu payer avant. Quelques 5.000 crédits pour la survie d'un clone. Le doute m'aura finalement coûté tellement plus cher.
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Les pensées s'envolent. Les idées s'éventent. A mesure que pleuvent les coups. Inlassables. Jusqu'à l'apothéose. Apoptose d'un autre corps.
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3.
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La nuit s'est enfuie encore plus rapidement que les précédentes. Entre danseuses en petites tenues, rixes amicales, flics pourris et militaires généreux, la quantité d'alcool ingurgitée frôle encore une fois la limite de l'imaginable. Derrière son comptoir, elle finit de ranger, laissant ses hanches suivre les basses qui s'échappent du jukebox.
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Accoudé au bois du rade, le même homme que les jours passés. Il n'a pas bougé de la soirée. Il est arrivé tôt, et a commandé un verre de skiwi. Verre qu'elle a ensuite passé la nuit à remplir.
Elle en voit passer des hommes aux rêves éteints. Aux espoirs effrités. Ils finissent tous par atterrir ici, à la limite du secteur, là où le voile de l'interdit s'élève pour révéler une autre ville. Une autre Cité. Moins lumineuse.
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Comme tous les soirs, il s'est installé, il a commandé et a consommé. Sans un mot, sans un regard. Perdu dans des songes qui n'appartiennent qu'à lui. Et au skiwi.
Comme tous les soirs, elle range, nettoie et se tourne vers cet homme pour l'inviter à sortir.
Comme tous les soirs, il aurait du se lever, et passer la porte, en laissant un pourboire conséquent. Mais pas ce soir. Non. Ce soir, il se tourne sur son tabouret et attrape son poignet pour l'attirer contre lui et l'embrasser.
Sans préambule. S'ensuit une danse effrénée, avec pour seul habit les gouttes salées dévalant leur corps. Moites.
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Il habite en-face. La nuit se poursuit, plus tendre que le premier corps-à-corps, avec pour troisième invité le drap. Le drap qui fait corps avec eux, entre eux. Autour d'une taille, autour de poignets, sous une poitrine, sur un dos. Témoin de leurs désirs, de leurs fantasmes, des cris et des murmures. Des souffles et des rires. Des gémissements et des râles.
A l'abri de la pluie battante sur la tôle, elle se rhabille dos à lui, dans la pénombre d'un appartement de piètre qualité. L'air glacial s'infiltre et avec lui, les relents d'urine, de déchets et de mort. Rien de plus ni de moins que les odeurs habituelles du quartier.
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Et comme écho à cette danse liquide s'échappant du smog, leurs deux respirations s'emmêlent alors que les regards se croisent. Aucune parole, pas de mot. A quoi bon s'élancer dans un discours sans fond, sans forme, sans importance ? Chacun a été le remède de l'autre, l'espace d'une nuit.
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Une autre soirée à oublier un autre homme. D'une autre époque.
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Elle se lève pour enfiler son jean écorché aux genoux et enfoncer ses pieds dans des bottes renforcées noires. Sur ses épaules se glisse un cuir couleur smog, et après un regard à l'homme du comptoir elle sort rejoindre de l'autre côté de la rue, ce bar qu'il est maintenant temps de rouvrir, ou presque.
Alors que ses pieds évitent les déchets, elle capte plus loin les cris d'un combat. Les injures fusent, et autour d'elle, le gang observe, sans bouger. Ils observent ce fouilleur se faire écraser par quatre jeunes. Riches à les entendre. Pompeux même dans leurs insultes. Elle capte le regard de l'homme à terre, puis se détourne pour pousser la porte du bar. L'abandonnant aux coups, sans même sourciller.
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Demain, il paierait. Trop tard pour ce clone-ci, mais assez tôt pour les suivants.
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4.
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Et demain, il paierait. Demain, elle ouvrira le bar. Et demain, l'homme du comptoir aura disparu.
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Mais au fond, demain sera pareil. Pareil qu'hier. D'autres clones joueront le même scénario dans cet océan sectoriel. D'autres corps se noueront à la recherche d'un dénouement illusoire. D'autres clones finiront détruits à coups d'ego et de crédits. D'autres comptes en banque se rempliront sur le malheur de certains. Et d'autres encore, observeront sans bouger la déchéance tracer sa route, pour que brillent mieux les hauts immeubles d'une Haute-Ville toujours plus resplendissante. Où demain encore, des êtres s'épouseront dans un semblant d'amour éternel. Où la politique fera foi, où l'Humanité sera guidée.
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Dans l'illusion de l'éternité, où se situe la vérité, où se situe l'avenir ? Déjà tracé par le passé, n'est-il pas qu'une réminiscence de ces instants perdus dans un liquide, qu'il soit alcool, réparateur, ou cryogénique.
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Avenir (n.m.) : multiplication et écho d'un quotidien répétitif.
Informations sur l'article
Écrits des cris silencieux
21 Juillet 2019
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32☆
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◊ Commentaires
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BB_24 (270☆) Le 21 Juillet 2019
Première nouvelle du lot. Texte ici en HRP, mais disponible IG. A croiser donc en jeu pour l'utiliser. Bon RP ! -
Enaya (13☆) Le 21 Juillet 2019
j'aime beaucoup le style * -
Eaven (1181☆) Le 21 Juillet 2019
*-* -
Phylène (1947☆) Le 22 Juillet 2019
Pas mal du tout. Très bien menée. -
Alix (115☆) Le 23 Juillet 2019
Superbe. -
BB_24 (270☆) Le 24 Juillet 2019
Merci à vous. Et aux réactions des persos IG qui m'ont poussée à le publier ici pour tout le monde.