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EDC de Archimède~46401

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Valses


Ils passent et valsent, ils glissent, et tombent, et gisent, et meurent sur le carrelage sombre de mon hall, et tout défile sous mes yeux couleur d’eau fraîche. Ils s’affalent et s’en vont, en une danse cyclique et parfaite, amassés devant une borne défectueuse, tous ces corps, et je suis seul dans le petit salon. Ils glissent et échouent, avalés puis recrachés, et j’éponge, et je plonge, et j’échoue moi aussi. Ils vivent et s’essoufflent et disparaissent si vite, en un éclair sont-ils ailleurs, au-delà des murs et de la vie, dans l’absurde qui les a pris alors. Et ceux qui restent n’ont plus qu’à ramasser les cadavres, quitte à les battre à mort, comme l’envie vogue parfois dans mes flots, et m’évoque un exutoire, enfin. Ceux-là sont anthracite sur un sol gris, marqués, la ville, le smog, tout cela sur leur peau et dans leur yeux et dans leur tête morte. Les mots ne suffisent plus parfois à contenir la marée, l’âme à étancher, l’indifférence à cacher, tout passe à travers moi et tout m’effraie.

La valse s’enchaîne, les mesures par trois, les morts par quatre, une moitié décède, l’autre répond peu et s’enferme, sur un canapé rouge et à jamais. Les vivants s’efforcent, et les jeunes brisés s’enfoncent, n’aperçoivent plus l’horizon clair de l’aube dans la chape de smog infâme, oublient la couleur et n’intègrent que le noir. Plumes, peau, cuir, ou bien rien de tout cela, tous ceux qui ne sortent pas de leur propre Eden, tous chutent et nul n’échappe à l’absurde néant. Frêles épaules, esprit, cœur, tout cela m’assomme et m’emporte et m’imprègne, et mon âme déborde de tant de passions, de désespoirs et de vagues au-dedans d’icelle. Ils s’égarent autant que mes souvenirs s’étiolent, comme du papier humide.

Elle vit, existe, craint, et je crains à mon tour, pour ses peurs, pour sa vie, qu’elle ne meure, qu’elle n’oublie, que l’absurde l’emporte et qu’un creux m’avale, alors je protège tant que je le peux, j’offre rempart de mon pauvre corps face au monde déferlant, à l’obscurité et à la fin. Moi qui riais jadis de ces transis qui craignaient de s’attacher, je me repens, car l’étincelle est trop précieuse, la flamme trop vacillante, la bougie trop courte, et la douleur trop grande lorsqu'elle se tarit ; je comprends alors ceux qui vivent dans l’obscurité à jamais, ceux qui ont peur de la lumière et de l’espoir, de s’élever pour chuter trop durement. A vif, mes sentiments, je me veux père, figure protectrice à jamais, père du secteur, père de la cité et de tous ces nouveaux nés qui balbutient sans but, bouche bée devant l’horreur béante du smog qui les voit naître.

Thallys s’enfonce dans sa cruauté, tueuse en série dans ce monde vicié tandis que je m’efforce, de mes bras trop grands et de mes gestes patauds de faire écran, paravent parcheminé de la misère qui grouille. Clore les paupières de chacun pour leur conter des romans, des épopées et des utopies, quoi que ce soit pour les évader, je fais de mon mieux, je fais de mon mieux, les Dieux le savent et en témoignent, je l’espère et j’y crois avec ferveur, ils constatent avec moi, et tous ces morts, tous ces décharnés finissent dans le giron chaleureux d’iceux. Le meilleur est à venir, après, ensuite, car c’est la seule issue, car la fin n’est pas et ne sera jamais, et tout n’est que renouveau et nouvelles chances, nouvelles donnes, toujours le jour revient, chasse la nuit, la clarté triomphe et la lumière perce le smog.


Car rien n’est seul, rien n’est oublié, rien n’est dépourvu de sens, rien n’est insignifiant et rien n’a d’importance.

Informations sur l'article

Élucubrations journalistiques
12 Février 2016
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