EDC de Aodren~52923

Il y a une forme de classe dans le fait de se faire éclater la gueule.

S’effondrer au sol, loin, très loin de la réalité ; à un rien du knock-out. Cette fois-ci, il n’y avait pas eu de ring. Il n’y avait rien eu, en fait, si ce n’est quelques mots perdus –des mots de trop-, un brin de susceptibilité et un peu de répartie pour tenter de sauver l’honneur restant.

Seul, allongé sur le dos contre l’une des banquettes du bar dans lequel il travaillait, Aodren contemplait le plafond en caressant de la main droite son verre de skiwi, posé sur son abdomen. De temps en temps, levant son bras, il admirait le liquide ambré qui se trouvait sous ses yeux, oubliant les nombreux bandages au torse dont il était orné. Le vestige de la soirée de la veille, qui n’avait pas seulement laissé des séquelles physiques. Sa propre perception du monde, de cette foutue ville et de ce putain de quartier venait de changer ; il lui fallait frôler la cuve pour prendre conscience de façon tout à fait définitive de l'enfer dans lequel il vivait.

Au fond de lui, Aodren bouillait. Pendant les quelques heures qui suivirent son opération, il veilla à garder son calme et à la jouer « Bon Seigneur ». Il avait perdu cette bataille et, au fond, ça l’emmerdait horriblement. Le pire n’était pas d’avoir à accepter l’idée d’être mis au tapis, mais justement de ne pas pouvoir faire autre chose que d’admettre sa défaite ; de reconnaître, sans honte, qu’il était plus faible que son adversaire.

Sa mâchoire se serra, tandis que l’étreinte qu’il exerçait sur son verre se fit plus forte.

« Enfoiré de traître… ! »

La dernière image qui lui restait en tête ne ressemblait plus à grand-chose, mais il discernait toujours parfaitement les formes de l’orc pâle qui venait de l’abattre : son sourire satisfait, son petit regard hautain et la façon dont il l’avait menacé de le mettre en cuve s’il recommençait ; sa miséricorde comme coup de grâce, sa soi-disant bonté comme arme fatale.

Le serveur se redressa soudainement et, dans un mouvement brusque, envoya son verre exploser contre le mur face à lui, éclatant en morceaux. Le liquide qu’il contenait se déversa sur le sol, tandis que le regard d’Aodren, changé, se perdit dans le vague. Sa respiration était lourde, et son regard plus dur. En temps normal, il était quelqu’un d’enthousiaste et, bien que fidèle à la Cause, il n’était pas le plus zélé de ses comparses. C’était son erreur, et il était temps d’y remédier.

*

Entre les entrainements nocturnes, le travail et les quelques séances supplémentaires qu’il s’infligeait quotidiennement, Aodren commença à s’engaillardir. Enfin.

Dans ses yeux, il n’y avait pas la promesse de ne plus accepter la défaite, non, mais simplement de pouvoir l’éviter. Il lui fallait s'en donner les moyens. Bientôt, perdre deviendrait classe. Même une défaite sonnerait comme une victoire.