EDC de Allan~76649

Instant n°1

♪ La pluie battait le bitume, au dehors. Ce qui aurait du être une soirée légère et joyeuse n'était que silence. Quelques années auparavant, cela ne l'aurait pas dérangé. Il y aurait sans doute trouvé une forme d'aisance, un calme, un motif répétitif d'une routine que même un retour à la vie civile ne saurait perturber. Et pourtant, ce soir, à demi appuyé sur le bar du riche intérieur qu'il ne s'était jamais vraiment résolu à quitter malgré un train de vie profondément altéré par le temps, il observait la ville.

Pas un pas ne résonnait dans l'entrée. Pas un outil ne grinçait dans l'atelier. Les draps, dans la chambre, avaient cessé de bruisser depuis plusieurs heptades déjà. Qu'il était compliqué, le retour à l'ermitage, lorsque l'on avait croisé la route d'une de ces nymphes qui hante la vielle Dreadcast. Qu'il était bruyant, ce silence, quand ni les rires qui vous plissent le nez, ni les alarmes qui vous appellent au devoir ne viennent vous troubler. Le clone, vouté et débraillé, soupira.

Vêtu des mêmes guenilles que lui avait gracieusement offert le Centre d'Accueil sept an plus tôt - qui constituait là encore un bon quart de sa garde robe austère - il tenait d'une main ornée de suture, une tasse de cafey tiède. Dépourvu de l'uniforme, le lourd vêtement de kevlar qu'il avait porté avait dû, quelque part, peser tant sur ses épaules qu'il en avait oublié l'aisance avec laquelle il se mouvait alors, du temps où il clamait fièrement qu'il ne resterait que petit fonctionnaire. Parce que c'était un poste bien trop confortable pour avoir envie de monter plus haut, parce que les jours payés à rien faire étaient bénis. Un rictus vint jouer à la commissure de ses lèvres. Le visage asymétrique se tordis un peu ; c'était là une pointe d'amertume qui creusait les traits, acide comme l'averse cognant au carreau.

Pour être parfaitement franche avec vous, lecteur, il n'avait pas oublié. Pas plus qu'il n'avait oublié comme il était plus simple de se jouer du sort, lorsqu'aucune âme ne vous attend chez vous le soir, lorsque la morale n'a de compas que le bon vouloir du géomètre qui le tient entre ses doigts peu scrupuleux. Rien de tout cela n'avait pu s'effacer de sa mémoire hélas faillible. Et pourtant.

Il porta la céramique à son menton, et récupéra dans son gosier quelques gorgées de breuvage insipide.

On eut ouvert la cage à un oiseau n'ayant jamais volé, que cette soirée n'aurait pas offert spectacle plus triste.____________