EDC de Alice~51211
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Jumellet (Non référencé)
L'immensité est menaçante, le vide, trop large. Au bout du couloir bée le hall démesuré, celui qui a vu passer les ères et les mondes. Là ou le manque de recul a offert à l'insignifiant des ombres plus hautes que les murs se sont recroquevillés autant de corps ; et sous le plafond qui enferme et qui protège, nul ne s'est uni. La symétrie n'a suffi qu'à emplir à moitié l'appartement, car le hall est comme une bouche immense aux commissures déchirées, perchées au-dessus de tous les étages. Derrière chaque palier, une porte close, mais l’ascenseur ne s'y arrête ; c'est au sommet qu'est sa destination, derrière une cloison, et un couloir, que s'ouvre la civilisation et le monde connu.
Le mobilier ne s'étale au centre des pièces mais rase les murs comme si la honte les affligeait ; dans le vermeil tout se décalque, et le vert triste du plastique, et les chambres bleues, pour celles qui ne sont rouges. Les plantes fleurissent çà et là, mornes feuilles qui n'égayent rien, mais elles décorent, cependant, du mieux qu'elles le peuvent. Au fond s'affaissent des canapés, gisants pâles devant les tables restées vives, ceux-là qui ont vu défiler quelques fessiers asociaux. Les juke-box ont craché, eux aussi, ravis quelques tympans, patinés par quelques ans. Dans chaque pièce trônent des fenêtres, de celles qu'on n'ouvre qu'au-dessus, à peine de quoi y passer quelques doigts déçus, et le smog y est trop haut, trop gris ; par beau temps scintillent les lumières de la ville, plus bas et au devant, dans le brouillard d'un œil mal éveillé, dans l'air nauséabond. Tout l'étage est couvert, l'ultime, mais nul accès au toit ; derrière l'improvisé salon s'étale une baie vitrée bas de gamme, puits de lumière médiocre qui se distingue des autres par quelques pouces de plus, triste vue mais ouverture salvatrice sur un espace plus large, le dehors.
Le bureau de l'ouest garde ses airs formalistes, malgré son grimage de chambre à coucher, il ne dupe quiconque ; quelques armoires et un réfrigérateur n'ont pas effacé le linoléum digne des lieux destinés à l'administration. Icelui jurerait ne point jurer avec celui du hall, neutre et pâle, frais sous les pieds nus, mais ce serait mentir ; le salon, lui aussi, s'écrierait jouir d'un revêtement qui lui est propre, mais nul ne l'entendrait, car nul ne le foule, malgré les canapés, et la cloison faite d'étagères, malgré tous ses efforts et sa table de réparation. La cuisine se cache, elle ne hausse la voix car elle craint qu'on lui dise qu'elle n'est une vraie pièce, ses cloisons, elles n'ont jamais vu le jour, n'a droit qu'à une timide avancée pour couvrir son intimité et ses réfrigérateurs. Deux gazinières et une poubelle, insipides et fonctionnels, l'accompagnent dans son mutisme.
Le débarras de l'est a quitté ses coffres profonds et le fourbi qui s'y enfouissait, troqués contre un lit double neuf et une décoration improvisée ; on y devine sa fonction de jadis, son affectation et son occupante d'hier, quelques cartons gisent, sans doute, derrière le canapé, les plantes vertes. Le déménagement fut sommaire. La chambre du septentrion baigne dans une vague odeur, celle du parfum féminin et des effluves de chaque corps, des vêtements qui gisent et des nuits qu'on y passe ; sa couleur apparaît et saute aux yeux, le rouge jaillit. Derrière, inachevés et déçus, les tuyaux de ce qui aurait dû devenir quelque salle d'eau sont masqués par autant de contenants. Il en va de même au méridion ; mais la dépendance fait pâle figure face à la métropole, même si celle-ci se vêtit plus sobrement que sa consœur, dans des drapés au bleu élimé. Un baril, quelqu'antique ordinateur travaillent de concert pour offrir à la pièce son atmosphère rustique ; toute odeur l'a sans doute quitté, depuis lors. Il n'y a plus que l'air stagnant.
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Le Narrateur
14 Juin 2016
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