(☺)L'air est flou, je ne fais rien. La fatigue de la journée s'est emparée de moi ; une fatigue triste, comme une pluie acide. Les couvertures sont lourdes sous mon corps frêle, trop petit, pour toute l'immensité des plumes, qui me submergent. J'imagine le dehors, la nuit, et le smog épais, ceux qui fouillent, un foulard sur le visage contre l'âpreté du monde. Recroquevillés aux carrefours, dans les rues, par binômes, un homme et une femme, souvent, comme deux silhouettes spectrales, tout leur esprit y est consacré, ils ne parlent pas. Leurs yeux ne guettent que les anfractuosités, celles du sol, entre le bitume, les trous, ils ne vous voient passer ; et ceux qui s'écoulent dans le smog, ceux qui ne s'arrêtent pas, rivés sur leur destination. Ils en oublient la ville nocturne, celle qui vit, aux lumières étouffées et aux éclats tamisés par le brouillard, ils en oublient de lever la tête. Le monde s'aligne et s'emmêle tant dans les hauteurs que sur notre sol, mais plus haut, tout est vague, le mystère plane doucement, jaune, blanc sale.
...J'aimerais monter sur les toits, peut-être l'air y est-il pur. Prendre de la hauteur, voir d’où vient la pluie, et puis sur qui elle s'écrase, tout en bas ; me loger entre les câbles électriques, sans doute, leur bourdonnement doux comme celui d'un moteur pour flatter mes oreilles. Les néons, leurs ersatz polychromes, du haut du bord, je les verrais scintiller, et je me pencherais, alors, au-dessus du vide, juste assez pour frisonner, du vertige, de la mort et de la douleur qui traversent mon esprit. Quelqu'un pour me rattraper, derrière moi, dans mon dos, je sais qui, il serait là, lui aussi. Sans lui, rien n'est complet. Un nid, tout en haut du monde ; je l'imagine roux, doux, tamisé ; un cocon, celui d'une fille, trop frêle pour la ville du sol, celle des bas-fonds qui rêve du ciel. Celle qui n'a su changer que de visage, mais garder le même cœur, un cœur trop mou, malgré sa vie, son travail. Celle qui fait couler l'encre dans un livre plutôt que sur ses joues froides. Je ne m'aime pas vraiment, c'est pour les autres.
...
En bas, cliquette la vie comme une horloge, droite et lente, inexorable, trois, neuf, les cycles tombent, mais les clones s'en fichent et l'âme s'effrite, parfois. Qu'y a-t-il au delà du smog ? Au delà du jour ? Et les murs, les gratte-ciels ? Ils n'ont cesse de s'élever. Une immensité, sans doute, noire, et puis rien, au fond ; et la vie ? Au delà ? Et si je ne suis plus, qu'existera-t-il encore ? Tout mon monde est en moi. L'âme, la puce, le désespoir m'étreint, celui qu'on ne fait qu'enfouir un temps, car la mort est patiente. Je ne peux pas dormir, mais mes paupières s'effacent. J'ai besoin de Ren. Tous les jours se sont fondus en un ; je ne pense plus qu'au fond du lit, l'activité m'absorbe, je fuis, peut-être. J'oublie, aussi, l'angoisse, celle qui est vespérale, m'amuse, souvent, et puis comme un ressac, n'y échappe pas ; je me sens impuissante. Je retourne sur les toits, plus hauts, plus simples.
...
Tout autour de moi, il n'y a plus personne. J'ai besoin des gens, ceux que je hais, presque tous, même eux. J'ai besoin de voir Ren. Comment font les gens ? Elle est partie, elle et son chapeau, je n'ose plus lui parler. J'aimerais. Même aux marionnettes. Elle était pourtant de retour. J'expire doucement, mes yeux se closent, j'aimerais dormir. Je suis tout en haut du monde, dans mon havre tiède. Loin de toutes les émotions, loin d'en bas.