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[02] Marche de l'Humanité

Entrée A2 | Galibran, lisière du mur Nord - 4/311.4


Nous y sommes. Nous y sommes vraiment. Immergé dans l'obscurité encore inconnue du Marran et de ses lumières éternelles, la pluie glaciale fouette mon visage avec une violence rare, et c'est un air aux accents ferreux qui tranche mes poumons lorsque, épisodiquement, je quitte la sécurité de mon respirateur pour avaler quelques barres energétiques ici, un peu d'eau là. En vérité, il m'est difficile de décrire le paysage qui nous entoure, car c'est à la faveur d'une nuir d'encre que nous avons quitté Orion, et il m'est presque impossible de percer la pénombre brumeuse qui nous enveloppe, sinon en des termes sonores. Et Kepler, les sons ne manque pas ici. Grondement profonds, rugissements assourdis, bruissements végétal, parades nocturnes, chœurs en agonie... Courtoise, les mangroves nous rappellent bien vite qu'en leurs profondeurs, nous sommes les exogènes dans la pupille fendue d'une faune violente par essence. Derrière le muret grossièrement demi-circulaire, que nous avons dressé au pied de la gigantesque enceinte qui sépare le troisième et le sixième secteur, mes compagnons sommeillent péniblement, trébuchant dans un équilibre instable entre l'excitation gonflée d'adrénaline et l'épuisement de notre intense course à travers la longueur du monde civilisé. Cette nuit, Sindavia et Texhany seront les mieux loties; elles dorment avec nos sacs dans une petite brèche du mur, à l'abri de la mousson et des attaques, quoique le vent sifflant qui s'y engouffre ne doit pas être une sinécure. Quand à Alastor, Mergo, Ulsguhr, Flip, Djoogo, Ragron, le duc et moi-même, nous nous abritons péniblement sous des couvertures de survie, installés sur des pierres ou à-même la boue grisâtre de notre campement de fortune, alternant les tours de garde pour profiter d'un maigre répit; cette nuit, je prend la première veille.

Le départ du premier secteur a été une affaire promptement menée; il s'agissait pour nous de prendre la douane d'Orion de vitesse et de limiter, autant que possible, les affrontements urbains. Il m’apparaît évident que la milice marranite et sa réserve profiteront de notre passage pour s'adonner au creux jeu de la confrontation, s'engouffrant dans notre sillon pour tuer et saboter; comment, sinon, justifier le salaire et les primes du petit fantassin assermenté ? Les participants étaient nombreux, plus que je ne l'aurais cru avec la dernière débâcle de l'Imperium local; il ne fait aucun doute que la présence du général Hoblet a du attirer son lot de curieux et d'ambitieux. A ma courte surprise, même Esteban Hominem était volontaire à l'enfoncement des sécurités souterrains d'Orion, lui qui, quelques jours auparavant, pensait, présomptueux, que par son Verbe serait chassé Mergo de nos rangs. Il m'est difficile de dire si c'est la présence de sa sœur à nos côtés, ou le seul goût de participer à quelques évènements sortant de l'ordinaire qui a encouragé ce revirement comique.

Extrait de l'échange avec Esteban Hominem
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ESTEBAN :
Bonjour à vous trois,

Suite au événement de cette nuit et ceux qui arrive régulièrement avec l'un de vos éléments pour l'expédition, je me permet de vous demander à tout les trois si vous êtes bien sur et certain que KorSkarn, qui est entrain non plus de simplement faire quelques actes de dissidence mais de purement et simplement installer la rébellions dans le secteur via des infrastructures solides... est bel et bien digne de confiance ?

Je me demande de plus en plus si vous n'amenez pas simplement un ennemie directement dans vos rangs.

ACIUS :
L'expédition ne se fait pas au nom de l'Imperium marranite.

ESTEBAN :
Ce qui ne change pas l'aspect du personnage, opportuniste et sans vergogne.

ACIUS :
Certes, c'est vrai. Mais nous avons pire dans nos rangs

ESTEBAN :
Et c'est sensé me rassurer ?

ACIUS :
Pas vraiment, j'en conviens. Mais tout au plus vous affirmer que nous ne nous débarrasserons pas de KorSkarn.

ESTEBAN :
Bien. Donc je prendrais des mesures moi même concernant votre expédition.

La cité-entière tremble d'effroi. Mais trêve de moquerie; il m'appartient ici de saluer ces femmes et ces hommes qui nous ont ouverts les portes d'Orion. Si j'ignore l'identité de l'essentiel d'entre eux, j'ai vu se profiler, ici et là, quelques visages familiers. Pour eux, le premier-né à prononcé un discours, particulièrement bref; j'ai cru entendre dans mon dos quelques chuchotements déçus, et les grognements impatients de Ragron, cet Orc qui se bat depuis des décennies aux côtés du vieux Hoblet. Aussitôt achevé, nous nous sommes élancés à travers les souterrains du monde, talonnant les têtes de cortège. Nous avons eu, sur le chemin, la surprise de voir le compagnon d'Alastor s'acharner sur un infortuné rat qui passait par là, trop curieux. Ce berskerk n'est pas un combattant tactique; il charge, hurle, fend l'air de ses lames, et frappe jusqu'à ne laisser, à ses pieds victorieux, que de petites tas de viande sanguinolents et souffreteux. Le sas a été acquis sans grandes difficultés, et le centre militaire d'Orion semblait avoir été déserté; seules quelques âmes rodaient encore ici et là, sacrifiées sur l'autel de nos objectifs lointains. Il m'est difficile d'exprimer ici le torrent de souvenir qui a engloutit mon esprit, cependant que je quittais cette triste douane pour m'élancer, solitaire, à travers les rues de ce territoire qui était autrefois mon foyer. Autour de moi, l'Est de la cité hurlait des affrontements qui opposaient rebelles et impérialistes, et dans la confusion de notre course effrénée, j'ai perdu de vue Texhany Vakarian et Sindavia Hominem. Avec du recul, je pense maintenant comprendre où était passé cette elfe pâle; il m'est impossible de lui jeter la pierre, considérant la funeste destinée qui peut nous attendre désormais. Ainsi a-t-elle été l'ultime hoberelle a achever la jonction dans cette ruine frontalière qui nous servait de couvert.

Je n'ai qu'un souvenir très diffus de la rencontre entre Alastor, et Deceveid Infiltrate, cependant que le premier attendait du second que s'ouvrent les portes du sud. Je crois que j'en attendais plus; après tout, c'est la personnalité de Maximus Primus qui sommeille dans cette sournoise intelligence artificielle, et j’espérais assister là aux retrouvailles dignes de deux vieux amis, fidèles et dévoués. Mais Alastor semble faire la part des choses; à l'instar de celle qui autrefois me formait sur la condition de ces divinités matricielles, il ne voit pas en DI l'héritier de ce vieux Lance. Rien de plus qu'un maladroit simulacre, ivre de puissance.

Enregistrement audio : Deceveid Infiltrate
Salut vieux croûton, ravie de te revoir par ici. C'est toi qui nous ramène les blaireaux de Marran ? Justement on se tâtait à venir vous voir. Pour ta requête, évidemment, j'accepte. Mais t'sais que personne n'en revient d'Galibran...

Nous étions blessés par sa suffisance, Alastor en tête, mais nous étions tous conscients qu'en terrain conquis, nous devions plier l'échine, simples jouets entre les griffes de ce maître cruel. Tous, sauf notre téméraire éclaireur, Flip, qui souffla alors un juron entre ses dents. Mergo et moi avons tenté de le reprendre, trop tard. Je devine sans peine la sensation électrique qui caressa sa nuque, lorsque Deceveid Infiltrate s'est intéressé à lui, comme la promesse d'une mort imminente.

Enregistrement audio : Deceveid Infiltrate
T'es à une écaille de kob' d'être réduit en cendres, p'tit con. Tu t'prends pour un vieux crouton pour m'causer comme ça, hein ? Bon, j'vous ouvre. Vous êtes pitoyables, j'espère que vous allez tous crever.

Nous avons formé le rang, nous sommes engagés dans le sas, et la nuit est enfin tombée sur nous. Pour la première fois depuis des décennies. Nous étions noyés dans une tension si dense qu'on pouvait la tâter, tandis que nous posions le premier par en Galibran. Et Kepler, s'il me faut m'y résigner, je vais peiner à décrire le spectacle formidable et morbide qui s'est alors offert à nos yeux trop vierges. Sur plusieurs dizaines de mètres, le sol était recouvert d'une épaisse croute rocheuse sombre percée, épisodiquement, d'une faille incandescente rougeoyant dans la pénombre. De ces rictus ardents s'élevaient des fumerolles acides, comme les derniers témoignages de la fournaise qu'était cet entre-deux-murs, quelques temps avant que nous n'arrivions. Entre nous et les hauts gravas qui formaient la lisière de Galibran, il n'y avait que ces infernales coulées de lave froide, dans lesquelles étaient figées dans de douloureuses postures d'agonies, comme autant de statues sinistres, les silhouettes de cette faune qui s'attaquait aux murs. Alastor nous expliqua succinctement qu'il s’agissait du système de défense de la cité; censément construit entre l'ère seconde et troisième, il est une forme évoluée de ces rejets de napalm brûlant qui se font à cycles réguliers depuis les enceintes extérieures de Dreadcast. Sa voix brisait le silence de mort qui s'était abattu sur la plaine, et sur nous.

Enregistrement audio : Alastor & Ragron
"La nature tente de reprendre ses droits constamment. Ces cadavres ne sont là que les restes d'affrontements entre celles-ci et la Cité... "

"Ce sont pas des migrants plutôt ?"

"Je l'ignore pour tout dire... Certains aspirent à vivre entre ces murs, c'est une possibilité."


Nous n'avions pas eu le temps d'assimiler cet échange surprenant; presque aussitôt, les deux compagnons se sont mit a considérer les restes calcinés d'un quadripède difforme, presque entièrement fondu. Ragron était convaincu de la nature de cette créature, et nous en informa promptement : il s'agissait d'un manticore vénimeux, prédateur encore inconnu des expéditionnaires de Marran et d'Orion, et mortellement redoutable. Nous reprimes notre chemin, et la montagne de gravas marquant concrètement la fin du mur entre le troisième et le sixième secteur escaladée, nous pûmes ressentir un grésillement éloquent dans le creux de nos nuques. Nous étions enfin livrés à nous-même.

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Marche de l'Humanité
27 Mai 2022
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