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2 - Les cinq entités

Cinq heures du matin, et cette couverture orageuse scintille, tout comme si une bataille faisait exploser un bon millier d'obus. Des striures blanchâtres fendait le smog, mais jamais je ne pouvais distinguer nettement un de ces bâtons de lumière, simplement des flash. Ces éclairs, ces orages étaient pour moi que des allotropies, c'était là l'œuvre de ServerGuard ou d'une autre entité supérieure abattant sur la ville un énième drama. Et pendant que je regarde la ville partiellement éteinte, la nécrologie fait preuve d'une alacrité déconcertante ; les noms de sudistes apparaissent l'un après l'autre. Ma main se perd distraitement, dictée par mon envie irrépressible de voir cette cigarette chimérique du Zoar s'embraser au bout de mes lèvres, de mes lèvres les sentir légèrement s'entrouvrir et libérer quelques doucereuses volutes, blanchâtre ou beigeâtre qui s'assimile à l'air ambiant dans une danse aussi agréable qu'odoriférante. Je range mes pognes dans mes larges poches au niveau de mes cuisses, remontant ma main pour pincer la base de ma roulée pour permettre une respiration, et souffler une nouvelle fois, la cendres s'émiette sur le sol, suite à un tapotement de l'index sur le corps conique de la roulée.

J'attendais en réalité depuis presque trente minutes l'ouverture d'une cession d'holo discussion. Je m'étais absenté de mon logement d'assignation à résidence imposé par les SC2I pour me rendre dans l'un de ces technocentres que l'Ordre Noir disposait encore, intact d'un âge passé, et l'une de ces reliques d'un temps où l'Ordre avait un poids sur le dogme impérialiste. Aujourd'hui, c'est un bâtiment désaffecté, entretenu que via un passage multi-hebdomaire de droïde de nettoyages, mais l'endroit était bien vide. Je me trouvais au dernier étage de cette tour, dans un luxueux et démentiel appartement dont les murs sont placardés des oriflammes originels de l'Ordre Noir. Je souriais vaguement, interpellé, intéressé ou juste curieux. Les murs délimitant les lieux étaient d'immenses et larges fenêtres, donnant une vue sur la ville depuis sa hauteur. D'après les notes de mon père, on pouvait y distinguer les tours d'Armacham, flamboyantes de ses néons et du superbe d'une époque à ce jour révolue. Du temps ou Agramf et Mikhaïl officiaient en qualité de membres et responsables de la sécurité du consortium. A ma droite, un pupitre, face à la large baie vitrée, derrière laquelle l'orage continuait de vrombir, éclairs diaprés rendaient le spectacle d'autan plus intéressants. Je ne voulais pas les qualifier de spectaculaires, car je sais qu'il existe des coins dans Kepler où l'on peut admirer des orages cataclysmique et se sentir ridiculement face à de titanesques événements. Je me disais qu'un jour, pourquoi pas un crépuscule, je pourrais moi aussi, admirer de colossales et divines zébrures aux décoloration du blanc divin jusqu'au sépia sanglant. Mais pour l'heure, ce ne sont que d'infimes petites gouttelettes se disputant une trajectoire linéaire sur une vitre déjà mitraillée de bulles d'eau.

Je reviens à moi lorsque déjà ma cigarette consume le tonc, je jette négligemment le mégot sur le parterre, libérant tout le souffle bloqué dans mes poches pulmonaires encore organiques. J'en tousse encore légèrement, l'espèce de sensation épicée qui calcine cette chair vitale, pourtant ma gorge elle, ne souffre plus. Elle n'a plus rien d'organique, mais j'arrive tout de même à souffler cette fumée, intacte jusque là, qui se dispersera rapidement, encore une fois. Mes mains encadrent le pupitre, devant moi, les notes de Gamma, mon père, sur l'avenir de l'Ordre Noir et sa vision de l'impérialisme. Je me permet de caresser du revers de la main la surface du livre, à peine recouvert d'une fine pellicule poussiéreuse, trois fois rien en réalité. Soudain, derrière moi, un son métallique, le socle au sol s'illumine et une projection affiche cinq silhouettes discrètes, drapées et censurées volontairement par le programme holographique. Leurs voix sont terriblement modifiées, rendant l'échange imbibé d'un sentiment d'appartenir à une secte encore plus occulte. Je me retourne délaissant le livre sacré, restant debout, je me résigne à garder les habitudes que j'avais avec eux, je ne compte pas changer.

Je n'ai pas bougé, je suis resté droit comme un pilier, l'échange était soutenu, si bien qu'à peine quelques minutes après les premières paroles, je me retrouvais en quinconce. Les silhouettes s'élevaient volontairement sur plusieurs mètres de hauteur, le programme holographique qui rendait les silhouettes énigmatique me fit étrangement sourire, un de ces sourires sardonique que d'aucuns savent afficher si aisément. Et une à une, les silhouettes se mirent à disparaître laissant des petits pixels concassés qui finirent eux aussi par se volatiliser. Le socle venait de s'éteindre, et je me retournais avec la vitre. Je crus bien un moment me perdre, au souvenir du sceau infernal et chaotique de Deceived Infiltrate me condamnant à porter ce clone après l'explosion du noyau, et sitôt le dialecte menaçant de l'IA disparaissait de mes pensées, que la voix d'Ellie, cynique, infernale, me jurait au nom de Juan, que je passerai d'ici peu aux enfers dreadcastien pour ma trahison. Humain, je sais que j'aurais été proie à une panique, une angoisse, et au besoin de me rouler une pelleter de joints et me laisser aller, me détendre. Mais tout est bien différent aujourd'hui. Je sens bien que je suis en danger de mort. Comme tous ceux avant moi, qui ont décidé de rejoindre l'Empire. S'ils savaient. S'ils savaient seulement. Je ferme les yeux.

Je les ouvre, je me retrouve dans mon fauteuil de ma résidence d'isolement, sur la terrasse, abrité par l'espèce de toiture déployée à cet effet. Il pleut toujours, il fait toujours nuit. Et je pense rester là, à penser, méditer. Il me reste encore bien des jours. J'ai encore assez de cigarettes pour patienter.

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Log_Pavlov_Iudas
21 Juin 2022
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