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La pureté du Sang.

La pureté du Sang.
Cedant arma togae.

La grande salle blanche se voulait synonyme de pureté. La beauté qui en émanait était moderne, technologique, impériale. Un simple comptoir, couplé à un gobelin nonchalant maniant un outil informatique, étaient les seules traces de vie dans cette grande pièce d’accueil. Toute cette pâleur rappelait à l’orc une sorte de paradis perdu, lui qui sombrait peu à peu dans une noirceur morose et déprimante. Une heptade à méditer et s’apitoyer sur son sort, à fumer ses tiges blanches et à absorber une grande quantité d’alcool, ça change un homme. Alors que les portes coulissantes se refermaient silencieusement derrière lui, le semi retira lentement la capuche ruisselante dévoilant un visage morose mais néanmoins déterminé. Ses azurites se portèrent immédiatement sur le gob qui vint croiser ledit regard, mais pourtant, c’est le silence qui frappa le vert, instantanément. Pour la première fois depuis longtemps, trop longtemps, son esprit devint plus calme. Il put, l’espace d’une demi-seconde, inspirer un air pur, laisser le temps planer à ses côtés sans craindre la moindre tentative d’assassinat. Il était dur d’être impérialiste, dans cet Empire, mais pour la première fois depuis des années, un sentiment bien plus pur le traversa. Celui de n’être rien, simplement une âme qui profitait d’un instant de sérénité, fermant les paupières pour profiter ainsi d’un silence réel et calme. Trop court, néanmoins.


Eh bah l’vert, ramène-toi là qu’j’t’enregistre ! On va pas y passer l’heptade !


Persisk inspira, et rouvrit les paupières sur le gobelin. Ses prises sur les manches de ses béquilles se raffermirent, et l’esprit torturé rattrapa l’innocence de l’instant, le massacrant à grands coups de cliquetis plus il avançait en direction du dit comptoir. Satanée gardienne, pas fichue de le laisser sortir sur ses deux jambes sans qu’elles ne soient trouées de balles. La démarche maladroite indiquait une mauvaise maîtrise des béquilles, et surtout, la jambe sur laquelle il s’appuyait semblait fragile, d’autant que sur un sol si glissant de pureté, l’orc manqua par deux fois de le tâcher d’une couleur pourpre. Néanmoins, il parvient au comptoir, sur lequel il s’appuya afin de garder l’équilibre, prenant enfin la parole, d’une voix embrumée et des plus mal aimables.


Changement de race.
Sans dec’ ? J’ai cru qu’tu v’nais prendre un cafey.
J’aurais pu demander à faire sauvegarder mon clone.
T’sais lire ? Les clones, c’est la borne de d’vant !
Je viens pour changer de race, de toute manière.
P’tain tu m’prends pour un con, gamin ?
Monsieur, je vous prie.
T’vas faire quoi ? Porter plainte ? P’tain r’descend, t’es résident coco !
Comment savez…
T’sais, y’a un truc, ça s’appelle l’Minutier Impérial, et on a vu ta gueule plus d’une fois sur les Espaces Matriciels publics.


Une rage sourde s’emparait du pauvre semi, malmené ainsi par son interlocuteur. Ses pensées oscillaient entre la compréhension d’une telle situation, un complot, ça laisse des traces, et l’envie de rappeler à ce fichu vert qu’il n’était rien d’autre qu’un inculte parmi tant d’autres dans cette société impériale corrompue par l’hérésie. Alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole, il se rappela non seulement que ses béquilles l’empêchaient de purifier l’âme de l’imbécile en face de lui, mais aussi qu’il avait besoin de lui pour le formulaire. Il se retint donc, attendant patiemment la suite.


Bon, connard, d’jà t’vas me remplir ça, dit l’hôte de réception en tendant un pad à Persisk, et t’vas payer les 540 000 crédits direct, là. Pas d’retour possible.


Le semi hocha en posant une fesse sur le comptoir, se hissant dessus, et empoignant ladite tablette. Il commença tout naturellement à remplir le formulaire basique, avec une assurance totale en apparence. Pourtant, en son for intérieur, l’orc ne pouvait se retenir de douter. Il était né Sang-Mêlé, il aurait dû mourir Sang-Mêlé. Ce n’est pas en se voilant la face d’une nouvelle race qu’il pourrait se prétendre plus légitime à diriger ses projets, non, mais son génome orc le tirait vers le bas. Et pourtant, il a longtemps lutté. Ses centres d’intérêt elfiques et humains faisaient de lui un être hors-norme, mais le génotype prédominant lui rappelait la dure réalité. Il était nécessaire de remédier à cela. D’enfin acquérir la race pure. La race des politiciens, des artistes, des aristocrates, tout ce qui faisait de lui un prétendant légitime à l’élite de la population, qui ferait de lui, enfin, l’être qu’il aurait dû devenir sans ce foutu génotype. Son unique index tremblant, sans qu’il ne le remarque, pointait les réponses, toute assurance se perdant peu à peu, alors qu’un combat interne semblait se dérouler en lui. Ou plutôt, les stigmates de ce combat d’une heptade, où le conformisme impérial et radical l’emporta sur ses désirs de pureté et de défi qu’il voyait peu à peu disparaître. La défaite était amère. Mais nécessaire. Il appuya sur la confirmation, en rendant le pad au gobelin, qui observait d’un œil surpris les réponses du Sang-Mêlé.


Waish t’es sérieux ? T’veux pas une nouvelle main ? Ni choisir ta future gueule ?
Pourquoi le ferais-je ?
T’as vu ta gueule mec ? T’imagines si tu r’trouves la même ?

Bon j’vais m’charger d’voir c’qu’on a en stock ! Mais tous les beaux mâles blancs, c’est épuisé t’sais !

Sans compter qu’t’as une grosse bite nan ? T’veux la même ?

Aller quoi p’tain ! Déconne mon pote ! On sait tous qu’c’est toi qui t’fais enculer, ça t’servirait à rien !


Alors que le gobelin semblait tout fier de sa petite blague, le semi encaissait sans répondre, bien que le réceptionniste dût déjà avoir perdu sa puce une bonne dizaine de fois dans la tête de Persisk. Il regrettait presque de ne pas avoir un gnoll en face de lui, ou un kobold, et Sirius seul sait à quel point il déteste ces fichues boules de poil tout juste bonnes à faire preuve d’oisiveté, comme si le travail impérial ne les concernait pas. Quoi qu’il en soit, le gobelin se tût et fit signe au Sang-Mêlé de se diriger vers une porte non loin d’ici, sur la droite de la réception, porte dissimulée et visible uniquement si l’on y faisait réellement attention. D’un pas toujours aussi peu crédible, le vert se dirigeait vers son destin. Vers sa nouvelle apparence. Vers la fin de ses pulsions orc, du moins l’espérait-il. Les cliquetis de ses béquilles prenaient le pas sur le silence pesant qui était retombé dans la pièce, l’ascension vers sa libération pesant un peu plus chaque fois sur le cœur meurtri de Persisk. Mais il parvint enfin à hauteur de la porte, et un écran s’alluma, ainsi qu’une voix électrique, robotique, qui s’enclencha.


Individu 66985, Persisk Alshujean Oxsten, changement de race, 540 000 crédits, 540 000 crédits, 540 000 crédits, …


Une petite fente, sous l’écran, s’ouvrit, et laissait tout juste la place d’insérer la clé de ses crédits-puces. Il tira de la poche de son trench-coat sa clé de paiement, et l’inséra, avisant sur l’écran les crédits de son compte bancaire disparaissant peu à peu, à une vitesse vertigineuse, alors que la voix se tut enfin. Une fois la clé récupérée, la porte s’ouvrit, et il put s’avancer dans le couloir très sombre qui s’ouvrait à lui. A peine la porte dépassée, elle se referma, et l’orc se voyait ainsi plongé dans le noir total. Sans repères. Une angoisse sourde s’emparait de lui, son souffle s’accélérait alors que ses béquilles tremblaient sous la prise plus incertaine encore des deux mains de l’orc. Ses battements de cœur témoignaient de son subconscient lui rappelant que rien ne l’assurait de la sincérité du gobelin de l’accueil. Il était à sa merci, un résident n’a pas de droit, un résident subit. Non seulement il venait de perdre 540 000 crédits, mais en plus il se jetait seul dans la gueule du gnoll, ses ennemis n’ayant pas réussi à le tracer, c’était le Centre de Clonage qui se chargeait de le recueillir.
Alors que tous les scénarios possibles de conspiration traversaient l’esprit du paranoïaque, une lumière bleutée, pâle, apparut, et l’ascenseur s'ébranla enfin. Une légère fumée épaisse, odorante, se diffusait dans la cabine, prenant d’assaut les narines du vert. Il se laissa choir au sol, observant ainsi la progression du gaz, stupéfait, effrayant, menaçant. Il était trop tard pour reculer, ils l’avaient eu, le gouvernement allait enfin se débarrasser définitivement de lui. Enfin ils avaient gagné contre leur pire ennemi, qui les faisait tant trembler depuis si longtemps. Enfin ils avaient… Ils avaient… Ils…


[...]

Ses paupières endolories peinaient à dévoiler à Persisk les lieux qui l’entouraient. La pièce dans laquelle il se trouvait. Les lumières pâles et tamisées qui offraient au Sang-Mêlé une vue de l’endroit dans lequel les médecins l’avaient reposé, couché sur un canapé. Un mal de crâne martelait le pauvre homme, qui ouvrit ses yeux flous sur la salle d’attente, un instant, avant de les refermer. Rah, ils lui avaient pris ses lunettes. Par Hujan. A moins que...


Il rouvrit lentement les yeux, et son regard parcourut les lieux près de lui, avant de se poser sur la petite table basse contenant une forme rectangulaire noire, discontinue. Une forme qui lui était familière. Ah, au moins, ils avaient la décence de le laisser observer sa mort définitive. Persisk les reprit, de sa main couleur orient, et vint les enfiler, lentement. Son crâne continuait à souffrir, mais au moins, il y voyait quelque chose. L’humain s’assit lentement sur le siège, laissant échapper une grimace et un râle de douleur. Ses azurites parcouraient les lieux, et les découvraient, les redécouvraient, et finalement, vinrent se poser sur ses longues jambes, nues, fines, brunes. Humaines.

[...]

La pluie tambourinait à la fenêtre de son bureau. L’homme observait ainsi les gouttes dévaler la paroi de verre, skiwi en main. Un mince sourire de satisfaction trônait aux deux coins de ses lèvres, alors que ses pensées jubilaient sur sa nouvelle apparence. Enfin, se dit-il, enfin je suis acceptable au regard de tous. Enfin je suis comme eux. Le désir de reconnaissance qui semblait sortir de l’humain était des plus naturels et fragiles, la sensibilité accentuée de l’humain s’étant auparavant traduite par des perles de tristesse, l’égo semblait enfin reprendre le dessus. Il avait souffert, l’acivisme, le dénigrement de tous, vu comme un ennemi de l’Empire. Mais qu’est-ce que la vision, après tout ? Est-ce réellement important ? Nous autres, simples lecteurs et observateurs de ce pauvre mortel inconscient de la réelle nature de sa naissance, nous savons que le plus beau des regards est celui de nos proches, celui de ceux que nous aimons, sans ce regard, nous ne sommes rien de plus qu’une pâle ombre de nous-même. Mais pour lui, tout est bien différent. Il n’aime personne autant que l’Empereur, et lui-même, évidemment. Lorsque nous voulons incarner un nouveau mode de vie, il faut l’adopter en premier. C’est ainsi que Persisk a bien vite compris que l’acivisme ne le mènerait nulle part. Il perdait son image, sa crédibilité.

L’image. Un terme si vaste pour définir l’arme politique que cela entraîne. Lui qui prônait des idées, s’il finissait par avoir un casier aussi vaste que l’ignorance d’un troll, autant dire qu’il ne pourrait rien faire. Il était temps de changer. Pas un changement en profondeur, non pas qu’il soit parfait, mais il avait ce sentiment d’être dans le droit chemin, ou presque. Ces foutues pulsions animales le dérangeaient, mais elles n’enlevaient pas cette pureté revendiquée. Non, il lui fallait maintenant être respectable, admirable, noble dans sa conduite, dans ses faits et gestes. Il lui fallait incarner le renouveau qu’il prônait tant dans la gestion impériale, le renouveau de l’Empire. L’Empereur devait être fier de lui. Il se devait de Le rendre fier.

L’homme brun et mat se leva d’un bon, et, glissant une cigarette qu’il alluma bien vite de ses nouvelles mains, il s’avança lentement vers la fenêtre glaciale, d’où s’écoulaient toutes les larmes de la cité. Son sourire s’étendit, lentement, alors que les lumières de la Haute-Ville lui parvenaient. Sa main mutilée glissa lentement dans son dos, alors que l’autre guidait la tige de nicotine à ses lèvres, un regard conquérant posé sur les lumières de l’Ambassade qu’il semblait deviner. Quel beau paysage, pensait-il à ce moment-là. Si grand. Si imposant. Lui n’était rien. Mais il devait le devenir. Il se ressassait un passé qu’il n’avait pas vécu, celui des débuts, des Premiers Nés, du premier consulat. Oui, un glorieux passé, où l’Empereur était dans les esprits de tous. Il n’y pouvait rien, lui, le pauvre orc, mais maintenant, les dés étaient relancés. L’Empire offre une seconde chance, la race humaine lui donnait une crédibilité théologique et politique beaucoup plus marquée.



Vous m’avez eu une fois, pas deux.


Et alors il se mit à rire, à gorge déployée, écrasant entre ses doigts la cigarette sous l’impulsion de ses sentiments qui se bousculaient. Il avait surmonté la déprime de l’acivisme. Il avait surmonté les épreuves mises sur son chemin. Il était relancé dans la machine impériale. Une fois sa petite crise d’euphorie fanatique passée, il entrouvrit la fenêtre, et laissa choir dans le vide la cigarette infumable. Le Sang-Mêlé se tourna lentement, ensuite, vers son bureau, et se rassit sur son fauteuil. Il prit un petit tas de feuilles, et une plume blanche, d’un blanc plus pur que l’âme de Stillicon, se dit-il en l’observant un instant, avant de tremper le bout de cette dernière dans un petit pot d’encre. Il vint graver en lettres manuscrites quelques mots, trônant et dominant le reste du petit bout de papier, d’un geste vif et précis, assuré.



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Nouvel avatar ici-même, merci à JD Eaven pour les retouches !
Inutilisable in game etc, et le JD ne pense pas ce que dit le narrateur, c'est raconté avec le point de vue du perso ! J'attends vos retours en commentaire, toute critique est la bienvenue ! Si tu as eu la flemme de tout lire, et que tu veux un résumé, clique ici !

Informations sur l'article

Le Sang-Mêlé
04 Octobre 2017
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