EDC de 65442
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Cacher
Nécrôme
-Tu penses que ça me plaît, peut-être ?!
Le ton est accusateur. Au bout de son bras, le flingue ne tremble pas. Le gantelet de sa main droite, lui, suinte d’un goutte-à-goutte sombre. Trop de mâchoires sur le chemin. Bien sûr, il y a les ordres, la gloire et le sacro-saint Secteur, mais tout cela est si intangible, si vain.
Je pense que ça lui plaît, bien qu’il nie tout excès de zèle.
(C’est eux ou nous, qu’on nous serine en boucle)
Je peux comprendre ça, l’amour du travail bien fait.
Ouverture des yeux.
Tout est identique, tout est différent. Je peux reconnaître les sensations de la finalisation du processus de clonage ; la tonicité musculaire faible, l’adjonction d’air forcée par la trachée, cet atroce liquide à la composition indéterminée, la désagréable électrisation des nerfs encore trop exposés. Pourtant quelque chose dans ce charmant tableau dénote, sans que le cerveau embrumé ne parvienne encore à mettre de connexion synaptique dessus.
Ce n’est qu’au moment où s’amorce l’inoubliable phase finale que vient enfin l’étincelle : de l’autre côté des parois épaisses, aucune lumière ne perce les rétines.
Éjection.
Toux profonde, contractions du corps à vif, à poil et à genoux. La bonne habitude – vomir un bon coup, ôter la bile de l’amertume et le goût métallique de l’intubation. Avancer à tâtons. A défaut de la vue, peut-être que les autres sens apporteront quelques réponses.
Il y a ce son sourd, un peu humide, qui semble émerger d’un plafond lointain, inaccessible. Un objet mou mais dense chutant contre d’autres objets tout aussi denses et mous. Irrégulier. Il y a cette moiteur, une chaleur pré-orageuse inhabituelle dans ces lieux aseptisés.
Expiration vigoureuse des narines pour chasser le liquide de cuve résiduel, et une révélation de plus me frappe de plein fouet. L’odeur, sang, sueur, urine et diarrhée mêlées, métal et décomposition en fragrance surpuissante.
Un charnier.
Le mot vient de lui-même. Il n’a pas de sens, pourtant. Pas à Dreadcast.
Un assassinat est chose fréquente ; un massacre, à la rigueur. Mais un cadavre, comme celui qui se distingue ici, les yeux s’habituant à l’obscurité, c’est quelque chose de nouveau. A fortiori, des monticules de cadavres, amalgames de membres en constante expansion à mesure que d’autres chairs mortes sont rejetées du plafond. Des corps par centaines, par milliers, dignes d’une orgie de la haute nobilité, les éructations extatiques en moins.
-Tiens… Lui qui disait toujours avoir deux mains gauches…
Vague tentative d’humour cynique pour couper court aux hauts-le-coeur qui s’enchaînent. J’ai connu les égouts, les combats, le stupre et les déchets. Ce n’est pas comparable. Nulle expérience ne prépare à ces absurdes empilades nauséabondes, et au constat qu’il s’agit en grande partie de jumeaux, de jumelles. Des mains gauches identiques, et le visage qui va avec, aux yeux éteints lorsqu’ils ne sont clos. Bien sûr… Des clones.
Un seul élément se dessine dans ce paysage au final bien monotone, à part la cuve qui m’a gentiment fait comprendre qu’il était peut-être temps de quitter le nid : une échelle, métallique, industrielle, fermement vissée au mur. Grimper, muscles toujours faibles, raides, mais grimper, tout de même ; que faire d’autre ?
En haut, heureusement, pas d’obstacles. Une pièce large, rivetée, éclairée et globalement vide, à l’exception d’un porte-manteau, d’un trench dont je me drape rapidement, faute de mieux. S’asseoir au sol, récupérer quelques minutes, hors d’haleine, en sueur, en rancoeur. Contempler les options. Je vois un couloir ascendant, et je devine – soulagement – la sortie proche. Une partie de moi ne désire que ça : sortir, oublier, des bras où se réfugier.
Mais bien sûr, comme souvent, il y a cette petite voix insistante, dans un coin de la tête, et cette petite porte au long du mur, discrète. Notre foutu fonctionnement qui nous oblige à ne pas accepter l’absurde, il y a un sens – on le veut – il le faut. Même quand c’est une idiotie, surtout quand c’est une idiotie. La clinche ne résiste pas, alors, je franchis le seuil. Clignant des yeux sous la lumière crue des néons, un rat pris dans le faisceau des lampes-torches farines.
Un abattoir industriel.
Ce mot-là au moins, je le connais. Il a le goût de l’amertume, à défaut de l’inconnu, je me rappelle de ces documentaires sur les élevages d’écureuils sur DCN, de Syiane en train de me dire, ‘n’empêche, c’est bon !’ en bouffant son steak cru. Même étalage de corps sur des tables identiques, même équipe d’humains et de méta-humains en blouse blanche couverte de sang.
Une procédure, aussi, indéniablement, rythmée par les gestes habitués et les machineries. Corps qui tombe – sangles – scie électrique – crissement du métal contre l’os – ‘la scie, on désinfecte’ – pince d’extraction – extraction – ‘Pince d’extraction, on désinfecte’ – la puce dans le tube bleu – la table qui s’incline, corps qui s’en va rejoindre ses congénères – on recommence. Une émission culinaire du dimanche soir.
-Mh ? Qu’est-ce que vous faites là ? Vous vous êtes trompée, la sortie c’est au bout du couloir.
Celle qui semble être la superviseuse s’adresse à moi. Pas hostile, poliment étonnée d’être ainsi interrompue dans ce qui semble être sa routine. Faute de meilleure réponse, je contemple fixement les tables de travail. Elle comprend de suite. Pas conne. Je l’aime bien.
Quelqu’un ou quelque chose a court-circuité le processus d’apoptose. Le reste du processus de téléportation et de clonage fonctionne normalement, mais là, on est obligés d’extraire et de réinstaller la puce manuellement le temps nécessaire.
Je me caresse le crâne. Sous la chevelure, une petite cicatrice, un pan d’un centimètre sur trois rasé de près. Du travail de précision, je me souviens de tout. Un peu trop à mon goût.
Et ils ne se sont pas dit qu’il serait temps de ?..
Je m’entortille une mèche de cheveux, songeuse. Pas si surprise, je l’admets, un peu dépitée tout au plus. Vous allez en faire quoi, que je lui demande. Elle me répond que passé un certain volume, ils emplissent la pièce d’une sorte d’acide en pulvérisations qui permet de réduire l’ensemble à une soupe organique elle-même cultivable en cellules-souches, va même jusqu’à proposer une visite guidée. Je décline poliment. Direction la sortie.
Ces visions m’auront longtemps hantées. Bien sûr, ici, nous n’en sommes pas là, n’est-ce pas ? Des êtres uniques, copiés – entiers. Pourtant, passé le mince paravent de l’apoptose accélérée, la situation demeure la même. Ils sont dissous, mais ils sont là, ces corps en série, carcasses empilées des êtres aimés, haïs. De nos passés perdus aussi.
La porte d’une vie ne demeure pas ouverte indéfiniment,
Et lorsque la mienne se refermera, je serai sereine.
Mais j’espère, avant, pouvoir entrevoir
Juste un rai de lumière.
Informations sur l'article
NM
24 Septembre 2021
375√
9☆
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◊ Commentaires
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Skript~72999 (525☆) Le 24 Septembre 2021
Très beau ! -
Dimanche (419☆) Le 24 Septembre 2021
👏