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EDC de 65442

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NM [P]


Le pied chaussé d’une botte usée suspend un instant le cours de son mouvement, comme plongé dans la perplexité. Avant de le reprendre, de l’achever. Le statu quo ne peut durer indéfiniment. L’appendice se pose, soulevant un nuage de poussière jusqu’à hauteur d’yeux. Dans le silence qui nimbe les lieux, l’écho étouffé est assourdissant.


Nature Morte

[Purgatoire]



La Cité est à la croisée du présent et du passé, des angoisses et des regrets, des avenirs trop anticipés. Le tout a été comme mélangé, passé sans délicatesse au mixer, laissé en suspension pour un temps excessivement long. Ca fait un peu comme certains bocaux alimentaires, de ces bocaux mal fermés où les composants finissent par se séparer, ça fait une masse de petites particules au fond, la substance aqueuse, les produits huileux par-dessus, les petites moisissures au sommet, voilà.


La plupart des gens doivent passer par ici, un jour. Tous ceux qui veulent aller de l’avant, du moins. Il a fallu se focaliser avant d’entrer. Ne pas oublier, ne pas oublier qu’on recherche quelqu’un. Que cette personne a traversé, probablement, qu’il faut faire de même pour la retrouver. Ne pas songer, ne pas songer qu’elle a fait peut-être maintenant partie des nuages de poussière en suspension, noyée dans le poids de ses propres songes, dissoute dans ce qui aurait pu être. Avancer.


La porte s’est refermée derrière moi, silencieusement elle aussi, comme pour ne pas déranger – ou souligner le côté inéluctable de son mouvement. Toutes les portes se ferment, un jour. C’est à nous de les rouvrir, de retrouver leur jumelle de l’autre côté. Un pas après l’autre, sous la clameur des nuages de particules que soulève chaque enjambée. Tours démentielles de béton monochromes, fenêtres aveugles, entrées barricadées et cieux plafonnés. Gris sur fond de gris, horizons clos, indistincts.


Pas de brutalité, de prédateurs en maraude, de violences soudaines. La Cité est plus insidieuse, de nourrissant des oublis et des traumatismes, des dissonances et des ruminations. L’enfer, c’est parfois soi-même, et l’entité des lieux l’a bien compris, laissant les errantes en leur propre compagnie. Tout au plus rajoute-t-elle un surcroît de pesanteur, un couvercle de malaise, d’ennui et de mal-être, catalyseur des alchimies les plus nocives de l’âme.


Les premières minutes s’étirent déjà à l’infini. Quête de dangers immédiats – d’embuscades – afflux d’adrénaline – hypervigilance – secondes saccadées se changeant en heures. Puis la gangue de torpeur prend le relais. Le rythme cardiaque se calme, à son rythme, posant les armes faute d’avoir mieux à faire. On ne se prépare pas pour ce type de ce voyage comme pour un périple ordinaire. Bottes souillées, masque scellé, les amulettes, surtout. Des taches de couleur, des colifichets texturés, des bandes de crin, des mantras qu’on aime et des chansons qu’on hait, un bagage d’outils agréables et révulsifs pour garder pied dans la réalité.


Pas d’armes, pas plus que de victuailles. La Cité n’a que faire du décès, détestant les oublis. Non, ce qu’elle veut, c’est la dissolution, les victimes rejoignant les cohortes d’émotion en suspension au sol et dans l’air. La durée de l’errance restera un non-dit bercé de monotonie. Un pas devant l’autre, à chaque fois plus lourd. Penser, sans se laisser dévorer. Ressentir sans sombrer. S’offrir des temps d’arrêt sans cesser d’avancer. C’est possiblement l’une des tâches les plus difficiles qui soit, de celles qu’on adore reporter sine die.


Qu’y a-t-il à ajouter ? L’ennui se prête peu au récit. Les pas répétés, les rues infinies, les horizons finis. Les regards indifférents des immeubles blasés, l’absence de climats, de voix, de nuits et de journées. Penser, digérer, assimiler, accepter, dépasser. Toute la matière est là, le condensé de nos vies vécues et vaincues. Quelque chose de trop intime, de trop personnel que pour le retranscrire. Il y a eu une porte. Voilà tout. Un nouvel horizon entrouvert, à franchir sous peine de ne pouvoir quitter la Cité avant une autre période indéterminée.


Se ré-habituer au monde. Ôter son masque, précautionneusement. Plus un grain de poussière sur les vêtements et les visières. S’asseoir, s’allonger dans l’herbe, sentir la caresse du vent. Rien n’est plus comme avant. La nostalgie d’un moment où il a été possible de tout oublier. De se retrouver. Rien n’a disparu, mais tout a été drainé. Je me redresse. En paix. La marche reprend. Un pas devant l’autre.


Informations sur l'article

NM
17 Septembre 2020
490√  9 4

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◊ Commentaires

  • Enylwën~65945 (562☆) Le 18 Septembre 2020
    Un doux mélange de saveur, ton texte était comme un doux fleuve un soir d'été. Je me lui laissé emporter par ta barque pour arriver jusqu'au palais des merveilles. WOW! Quelle visite de partager ton univers.

    Merci *