EDC de 55623

Il s'engouffrait dans la rue qui plonge vers le Sud en laissant une traîne de volutes blanches, consumant ses idées sans aucun filtre, en espérant que ses jambes autoguidées l'entraîneraient loin de cette drôle d'impression, de ce goût acerbe que sa langue mâchait depuis quelques heures. Il émergea subitement de sa torpeur, une vive douleur à la main, la simili-peau de l'index brûlée par l'incandescence de ce qui n'était déjà plus qu'un mégot. Jetant l'objet maudit d'un coup de doigt habile et d'un sourd soupire de douleur, il chercha du regard à identifier les lieux où il se trouvait. Maugréant, les yeux plissés, il découvrit une porte, sa porte, sise devant lui. Sans conviction, il dessina sur les touches de son digicode un chemin fatiguant et sans vie, duquel aucun sens, aucune réponse ne pouvait émerger.

Troublé par une inconnue, vraiment ? Après toutes ces années à traquer dans les recoins sombres les détails honteux qui se cachent, les secrets que l'on tait bruyamment, l'hérésie que l'on entretient dans les flots des cœurs impurs... troublé par une inconnue masquée, parole ? Entrant machinalement chez lui, suivant le tracé linéaire de son couloir unique, il aurait pu se perdre. Se perdre dans les méandres de cette droite ligne qui lui donnait le vertige, s'étourdir de cette profondeur superficielle à l'horizon infini, s'oublier entre ces murs qui ne laissaient pas d'autres choix que d'aller de l'avant, continuer. Son esprit ensmogué lui frappait les tempes comme si ce filet d'eau lâché du haut d'un pont en verre continuait de glisser langoureusement vers la cible charnue que constituaient ces lèvres entr'ouvertes, comme une rivière affolée courant entre d'invisibles rives, sans rocs avant ses dents, sans contre-courant avant sa respiration, sans autres finalités que sa langue et sa gorge comme mer pour s'effacer.

De très jolies lèvres... se pouvait-il que ce fut-elle ? En se laissant tomber lourdement sur son canapé, apercevant vaguement les deux verres qui trainaient sur la table basse, cette idée lui pesa soudain tant sur les jambes qu'il dut s'allonger. Il avait dévoré des yeux, sans trop y croire sur l'instant. Il avait presque ri d'imaginer qu'elle aurait pu venir, devant lui, avec culot, lui demander de jouer avec ses lèvres. Mais désormais, c'est lui qui aurait voulu couvrir son visage. Fermant les paupières, il crut trouver un refuge dans le sommeil, laissant tourner en boucle dans son cerveau malade l'image de ce visage masqué aux lèvres fines. Si c'était elle... il l'avait encore perdue. Encore ? Il fallait dormir maintenant. Et si c'était elle ?