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Kobologie
- Swizr, selon Swizr.
On définit la science, souvent, par l'utilisation pratique de connaissances accumulées, et dont le résultat devient lui-même parti intégrante du long processus de l'apprentissage empirique. Des premiers cailloux entrechoqués aux longs processus de clonages de cellules, il fallut toujours un avant, un pendant et un après. Si les cailloux faisaient du feu, et qu'on y ajoutait de l'eau, on obtenait de l'eau chaude. Et Swizr n'avait certainement pas inventé l'eau chaude.
Mais le plus idiot ne serait pas tant le brave lézard jetant pêle-mêle tout ce qui passe à sa portée dans un amalgame chimique, que l'observateur moqueur ne s'attendant pas à ce qu'à un quelconque moment, le dieu cruel des statistiques vienne apposer sa divine patoune sur le travail acharné et en tirer quelque chose d'utile. Même infime.
Il est en effet statistiquement possible qu'une tornade dans une casse de voiture puisse en ressortir une parfaitement assemblée, même si les probabilités sont infimes. Et pourtant, ce sont ces probabilités, ces miracles, qui si infimes soient-ils nourrissent toujours l'acharnement, l'espoir et l'ambition.
Tout comme le feu doit être déclenché, et continuellement nourri pour ne pas mourir, le génie scientifique doit subir cette étincelle démarrant tout, et gavé de projets pour ne jamais se lasser, désespérer, ou conclure hâtivement à des impasses. On ne saura jamais qui fut le premier à avoir cogné des pierres ensembles, ou celui qui en fit rouler une pour la première fois en la taillant. Le temps efface toujours le plus brillant des cerveaux, et la postérité se révèle cruelle maîtresse lorsqu'elle finit enfin par s'offrir, aux pauvres comme aux riches, au bon comme au mauvais, et au génie comme au benêt. Aussi, le véritable scientifique agit pour créer, non par pour se souvenir.
Il n'y eut donc aucune genèse à la kobologie. On n'en tirera jamais que des mythes, des légendes, et si ces rares exemples peuvent parfois s'entrelacer dans une fantastique odyssée moderne, elles ne resteront jamais des sources fiables, et chacun se verra bien avisé que d'en douter.
Sans savoir ni quand, ni où la kobologie naquit, on peut au moins en déduire les esprits brillants qui en posèrent les bases, et dont les noms marqueront quelques stèles jusqu'à leur érosion.
Swizr était un kobold bien connu dans la cité, et avait sû avec le temps s'imposer dans de nombreux domaines. Reconnu comme noble par tous sauf le gouvernement, il pratiquait à l'occasion des courses de chaise à roulette en compagnie de ses congénères pour se divertir, et détenait records et titres les plus élevés. Toujours dans cette réussite, il s'était affirmé comme le Dominant parmis eux, et n'avait jamais été remis en question, autant que sa relation fusionnel avec sa femelle, que personne au monde n'aurait vu avec quelqu'un d'autre que lui.
Mais le succès n'est jamais une fin en soi, et lorsque ce dernier vit l'étendue de son empire, il pleura. Car il n'avait plus de ville à conquérir.
Sur son trône, il se lassait doucement, et la joie tournait peu à peu à l'ennui. Son fidèle assistant, un hermatodonte du nom de Monsieur Grigri, se pliait en quatre pour lui offrir la compagnie la plus agréable possible. Mais l'humeur du lézard ne cessait d'empirer, jusqu'à ce que le silence ne le frappe.
Longtemps, Monsieur Grigri se retrouva sans personne à qui donner la réplique, son compagnon de toujours restant insensible à tous ses encouragements. Lorsqu'il faisait "pouic" comme à son habitude, le sourire habituellement rencontré ne parvenait jamais à se hisser sur la gueule du kobold. Et peu à peu, Monsieur Grigri s'inquiéta.
Mais contrairement à Swizr, la frustration de Monsieur Grigri était toujours source d'idées nouvelles, et lorsque se dernier se décida enfin à agir, ce fut avec passion et vigueur. Il enfila sa robe et son chapeau de sorcier et s'en alla chercher la solution à la mélancolie qui sabotait son grand ami. Lorsqu'il revint, épuisé mais ravi, un simple bout de papier à la main, le regard du kobold sembla s'enflammer de passion.
Quelques ingrédients, rien de plus. Il fallait partir de rien, et tout créer. Monsieur Grigri sur ses épaules, Swizr arpenta la ville à la recherche du parfait repaire pour mettre à exécution leur talent. Lorsqu'enfin celui-ci se présenta, ce ne fut que sous la forme d'une ruine à l'abandon, un huit-clos envahi de smog que plus personne ne visitait. Seul le vaillant kobold pouvait y voir l'endroit tant recherché, le pied à terre promis. Ainsi débuta la kobologie...
Lorsqu'il s'agit de manipuler des matériaux instables, imprévisibles et dangereux, quoi de mieux qu'un être instable, imprévisible et relativement dangereux ?
Journée typique d'expérimentation pour Swizr. Une longue balade dans le smog, quelques reniflettes, mais toujours une course précise vers un point de ravitaillement. Du tintement des bocaux, au froissement des déchets dans son sac, le vacarme ne s'avère silencieux que sous couvert d'un module.
Dans un claquement sourd, le servant de porte grince derrière lui, suivit de la légère mélodie du digicode se réinitialisant : enfin tranquille. Une étagère poussiéreuse se retrouve prise d'assaut : des bocaux de toutes les couleurs ne tardent pas à s'y entasser, et les babioles comblent rapidement les trous. Celle à hauteur de l'animal malin est spéciale, réservée. Il s'agit en fait du poste d'observation de Monsieur Grigri, qui observe attentivement les procédés employés par le kobold. Assistant hors pair, il n'hésite pas à faire tomber quelques bocaux déjà branlants aux moments les plus critiques. Lorsque la réaction menace d'éclater, un détritus se fait toujours connaître.
Et Swizr sait reconnaître ces occasions. Ici, une fleur, là, un peu d'herbe (synthétique ?). Le mélange est improbable, et la fumée qui le fait tousser abondamment ne l'empêche pas de deviner qu'une superbe création est sur le point d'avoir lieu. Parfois, c'est un échec. Souvent, ce n'est pas une réussite. Et parfois, sans qu'on sache trop pourquoi, ça fonctionne. Lorsqu'un de ces réactifs finit par prendre forme, le kobold ne se fait pas attendre pour le récolter et l'étiqueter en lui donnant les noms qu'il souhaite. Aussi est-il bien rare qu'un scientifique puisse reconnaître une quelconque recette.
Une pincée de "Trucamol", quelques gouttes de "Machinchoz", et le tout peut venir reposer dans sa "Bidulette" en verre. Ca fume, ça siffle un peu parce que le bouchon n'est pas bien mis, mais le résultat a la bonne couleur.
Mais Swizr est plus qu'un simple scientifique, car il est un artiste. Ainsi, lorsque la "potion" obtenue se révèle parfaitement efficace, il n'en reste pas moins qu'un produit brut. Aussi s'aventure-t-il parfois dans la rue pour ramasser quelques champignons toxiques mais goûtus, ou bien déposer un verre d'eau dans une des cellules de cryogénisation pour en tirer quelques glaçons en un temps record. Le tout, bien mélangé, produit ainsi une drogue qui, si certains la jugeraient de basse qualité, n'en reste pas moins efficace et originale.
Déjà, Monsieur Grigri et Swizr préparent leur mise sur le marché, et les problèmes de comptabilité sont soigneusement étudiés. Bien évidemment, il est difficile pour un kobold sachant à peine lire et écrire de calculer correctement ET se concentrer sur de dangereux mélanges. La fumée est âcre dans toute la bâtisse, et les poumons les plus fragiles prendraient sans doute un sacré coup. Ainsi, quelques minutes passent, et au final le mélange est ruiné, les deux compères complètement largués, et les calculs oubliés. Swizr récupère les restes pour une prochaine production, et sort faire une course de chaise à roulette sans prendre le temps de nettoyer sa tenue de laborantin couverte de tâches corrosives, toxiques ou multicolores.
C'est une bonne journée, productive.
Informations sur l'article
Le Kobold Dominant
18 Novembre 2019
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