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La Fièvre de l'Or

Les sifflements du kobold berçaient la pièce d'une légère mélodie primitive, doux chant de reptile aux tonalités envoûtantes, comme si, ironiquement, il jouait aux charmeurs de serpent.
Baillant longuement, sa journée repassa tranquillement devant ses yeux, alors que la fatigue et sa propre mélopée le berçaient peu à peu. C'était une journée bien remplie. A vrai dire, la semaine n'avait pas été sans grande action non plus. D'ailleurs, il ne savait déjà plus à quand remontait la dernière fois qu'il s'était vraiment ennuyé.
Au fur et à mesure qu'il cherchait, sa mémoire travaillait de plus en plus difficilement pour recoller les morceaux du puzzle, mais tout revenait peu à peu sur le comptoir du Plazza, un soir de smog noir comme le pétrole. Il observait les alentours comme il observait actuellement le mur de la salle, mais à la place de bouquins, de notes griffonnées et de diverses ordures de valeur sentimentale empilées avec nonchalance, il revoyait peu à peu des visages se former, aux traits approximatifs, floutés par le passage du temps.
Il regarda derrière lui, au son du four que l'on activait, du tintement des verres et des bouteilles, le coulis de l'alcool dans les récipients, la sonnerie des cafeytières brûlantes. Mylaë se promenait de gauche à droite, glissant habilement entre les différentes sections du comptoir pour satisfaire les commandes des habitués, qui venaient chacun leur tour flâter le flanc ou le dos du kobold roulé en boule d'écaille, qui les regardait en sifflant sa mélodie habituelle.
Savoir sa mère proche rassurait toujours le petit kobold, qui échappait ainsi à la violence du quotidien, de l'extérieur, dans son cocon protecteur de bar bien fréquenté.
Devant lui, Djoogo, aux côtés d'une demoiselle dont les traits ne collaient à aucun visage dont il se souvenait, sûrement l'une de ses conquêtes de passage qu'il voyait habituellement défiler, tandis que Jade n'était pas bien loin. Un ronchonnement lui fit tourner les museaux vers un elfe, dont le bras s'était enroulé autour de la figure maternelle du siffleur et n'était autre que sa figure paternelle, Barheim.
Reposant paisiblement son menton sur ses pattes, Swizr reprit tout aussi lentement sa contemplation, un grand sourire attirant bien vite son regard, le forçant à lever les yeux de plus en plus haut pour encadrer l'imposante figure d'Agramf, lui exposant deux rangées de carnassières, sa voix rauque mais tendre résonnant de voyelles que l'inconscient du kobold ne parvenait à rendre intelligibles. Chérachum tapota alors le crâne du troll qui la fit descendre, et apparaître dans le champ de vision de l'écailleux fermant paisiblement les paupières un instant en guise de salut, presque félin.
Nahla, sa soeur adoptive, se plaignait encore des agissements de son frère adoptif et subissait les réprimandes de Barheim et Mylaë de concert, croisant les bras comme une adolescente en pleine crise, essuyant même une langue longuement tirée de la part du concerné.
Les portes battirent un instant pour ne laisser voir que la rue derrière elles, si ce n'était la petite silhouette qui venait de bondir sur le pauvre hère tranquillement lové, l'assaillant de reniflettes auxquelles il répondit affectueusement, commençant à poursuivre Zye sur le comptoir, puis les genoux des gens, avant qu'elle ne l'entraîne dehors pour un de leurs jeux, sa mémoire atteignant ses limites alors que les battantes se refermaient derrière eux pour se fondre peu à peu dans le smog.
Il était de retour dans la pièce, griffant doucement de ses ongles surdéveloppés la matière toute douce qui couvrait son fauteuil rouge, les bras relaxés le long des accoudoirs de velours lézardé, déchiré en trop d'endroits pour paraître encore neuf après la moindre inspection, mais toujours aussi agréable trône, garni de coussins tout aussi moelleux sur lesquels reposait le kobold, dont la mélopée se durcissait dans le ton, les notes de moins en moins aïgues.
Les violences qu'il avait subi s'enchaînaient comme des pages de pubs entre de passionnants documentaires animaliers, et si la fatigue du fouineur l'empêchait de toutes les mettre de côté, il faisait impasse sur la plupart d'entre elles, tant les sévices étaient nombreux. Ici, une gnolle le noyait presque dans la fontaine du Parc Impérial, là, on lui donnait un coup de botte dans un bar du Sud, puis plusieurs. On lui coupa la main, on le pluma, on manqua de peu de le manger...
Il se cachait dans une plante verte tandis que les rebelles achevaient les clients qui s'étaient attardé dans le bar. Un nain, l'arme encore ensanglantée, rôdait le long des murs à la recherche de malins qui auraient pu s'improviser kobolds sans rencontrer grand succès. Lorsqu'ils claquèrent la porte derrière eux, Swizr avait réussi une fois de plus ce pour quoi il avait un véritable don : disparaître.
Il revoyait ses cachettes, ses jeux de cache-cache, entre deux bains forcés. Les petits boulots qu'il remplissait pour Armacham, pour ceux de l'autre côté du secteur que l'on persécutait sans cesse. De sous les tables aux dessus d'armoires,
en passant par une flore variée en plastiques divers, tous les endroits étaient bons pour que l'on ne parvienne à voir le petit galopin, et à mesure que le temps s'écoulait, il se faisait remarquer à chaque reprise, innocente petite créature joueuse.
Un visage flou pointé sur lui, un objet brillant dans sa main, puis des grognements agacés alors qu'il s'éloignait en ricanant. Sa mémoire se floutait au point qu'il ne puisse se localiser, ou se donner une date. Les visages sans traits,
aussi consistants que des cours d'eaux troubles se tournaient vers lui à chaque fois, et ses pattes griffues se paraient de couleurs, brillant chaque fois d'un nouvel éclat qui illuminait toujours un peu plus les alentours. Ce que certains considéraient des babioles scintillaient de milles feux entre ses doigts, au détriment de leurs propriétaires.
Il revoyait ses maraudes primitives, les montagnes de cadeaux luminescents qu'il avait offert à Zye, les cris, les plaintes, les réprimandes toujours plus nombreuses, mais rien n'égalait l'éclat de ses trouvailles, qu'elles soient tombées de la poche d'un passant, ou qu'il l'ai aidé légèrement à tomber. Parfois même,
il lui suffisait de regarder par terre pour débusquer quelques merveilles dans la rue, forcé peu après de décamper sous les tirs frustrés d'une victime allégée de son butin.
Swizr ouvrit les yeux alors que sa tête venait de glisser du creux de sa main, brutalement sorti de son endormissement dans un violent mouvement de recul,
l'arrière de son crâne rebondissant sur le velours moelleux derrière lui. Plus de sifflements dans son sommeil, seulement un silence qui s'était abattu tout autour de lui. Rêvait-il déjà, ou était-il seulement en train de se laisser partir, à contempler son Nid ? Il ne parvenait plus vraiment à distinguer le tout, l'obscurité ambiante rendant les silhouettes l'entourant aussi floues que dans ses mémoires lointaines même quand ses yeux furent enfin habitués à la pénombre.
Et quand il fut aussi à l'aise dans la nuit qu'en journée, il se laissa rêver de nouveau, glissant son regard léthargique sur les piles d'objets qui dépassaient de la jungle de plantes d'appartements, deux choses qu'il avait entassé jusqu'à l'excès. Ses pattes n'étaient même plus sur son fauteuil/trône, mais une pile. Des crédits, de la petite monnaie, des fonds de poches qui avaient inévitablement terminé leur voyage dans l'antre du kobold pour venir tapisser le repaire, chacune brillant d'une lueur différence suivant sa détérioration, sa valeur, sa propreté, leur lumière s'élevant doucement au plafond pour faire danser leurs rais, le sol étant tant couvert d'une litière monétaire qu'il n'était plus que crédits se réfléchissant sur le plafond comme si c'eut été une étendue d'eau calme.
Il regarda longuement son trésor, les piles de bouquins, d'objets précieux, d'équipements, et se perdit dans les reflets de crédits au mur, leur danse absorbant chaque once de concentration qu'il lui restait, l'image obsédante guillotinée par les mouvements de ses paupières, jusqu'à n'être plus qu'un souvenir, à son tour...

Informations sur l'article

Le Kobold Dominant
12 Mai 2017
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