EDC de 36896

♫ Irreversibly - mow ♫

  Un décor aux couleurs vives de nombreux néons et écrans publicitaires. Une porte, plus sobre, au fond. Au lever du rideau, tous les personnages sont en scène. Ils bavardent, planifient, regardent leur AITL ou leur deck.
  Le Prologue se détache et s'avance.

LE PROLOGUE

  Voilà. Ces personnages vont nous jouer la conclusion de l'histoire de Faucheuse. Faucheuse, c'est ce rapace qui plane au-dessus du Corbeau, et qui ne dit rien. Elle regarde les autres protagonistes, et les dévore de son regard haineux. Elle pense. Elle pense qu'elle va être Faucheuse tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de la jeune fille noiraude et renfermée que tout le monde veut sauver dans la famille, et se dresser seule en face du monde, seule en face du Geai, le frère de son hôte, son second pire ennemi. Elle pense qu'elle va mourir, et elle aurait bien aimé vivre, elle aussi. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Faucheuse, et elle devra jouer son rôle jusqu'au bout... Et, depuis que ce rideau s'est levé, elle sent qu'elle s'éloigne à une vitesse vertigineuse de son hôte, avec pour seule compagnie la mystérieuse C-9, elle s'éloigne de nous tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous qui n'avons pas à mourir ce soir.

  Le Corbeau, c'est cette femme aux plumes maintes fois arrachées, qui commencent à peine à repousser sous son trench-coat. Elle fume, nerveuse, et échange brièvement quelques mots aux autres. Elle est le second centre d'attention, ce soir. Tout ça parce que le Geai était allé la trouver qui réfléchissait dans un coin, comme en ce moment, et lui avait montré la vie de l'autre côté du bar. Ce jour-là, elle pensait qu'il ne devait jamais exister de frère du Corbeau, et que ce titre-là lui donnait seulement le droit de mourir. Elle avait tort.

  Ce vautour à la peau bleutée, aux cheveux noirs décoiffés, impassible près de la porte, c'est le Geai. C'est son frère. Il a des cernes, il est fatigué. Il joue au jeu difficile de vouloir la sauver. Avant, il avait menti, aux autres, à lui-même, comme s'il pouvait se protéger de son sort et renier la réalité. Puis finalement, il s'est résolu à la contredire, a accepté son destin, et c'est ce qui l'avait conduit à venir là, son pass dans la main, prêt à ouvrir la porte à tous ceux assez stupides pour regarder le spectacle macabre qui allait suivre. Il avait sacrifié quarante ans de sa vie, son sommeil, ses émotions, et sa propre santé mentale pour supporter la souffrance du Corbeau. Il était enfin devenu cet outil inexpressif pour sa propre rédemption.

  Ces quelques autres que vous voyez discuter entre eux, l'air plus léger et moins concerné, ce sont le Vieux, qui possède cette tour de technologie dans laquelle se déroule notre intrigue, et la Toxicomane. Ils osent plaisanter de la situation, qui pourrait pourtant tourner au massacre. Mais ils se doutent de la tournure que va prendre les évènements, comme tout le monde ici. Alors ils rient et papotent, tant qu'ils le peuvent, tant qu'ils peuvent vivre, avec l'Ombre, qui, un peu plus discrète qu'eux, se morfond d'inquiétude derrière ce masque calme qu'elle arbore. Elle va devoir jouer un rôle qu'elle maîtrise mal, celui d'assurer l'intégrité physique des autres.

  Les quelques restants que je ne vous ai pas encore décrit, ils s'en fichent, eux. L'Humaine, l'Elfe, la Vautourde, l'Orc et la Belle-Fille. Ils n'ont pas un rôle difficile à jouer, de toute façon. Ils sont là, ils vont regarder comme vous, mais en étant sur la scène, pour qu'elle vous paraisse moins vide. Et, de temps à autre, pour rendre l'ensemble plus vrai, plus prenant, vous les verrez s'échanger quelques remarques à voix basse, ou des regards horrifiés. Et après ces péripéties, ils s'en retourneront à leur vie normale, à leurs préoccupations plus terre-à-terre.

  Maintenant que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir conclure cette intrigue. Ils se dirigent vers l'intérieur du complexe, vont prendre leurs places respectives, sur une chaise, devant un terminal, allongé sur une rampe, debout à côté des appareils de monitoring. Ils vont regarder ou participer à l'anéantissement de Faucheuse et de C-9, tout comme vous.





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LE GEAI

  Un deux, un deux. Est-ce que tout le monde m'entend?

LE VIEUX

  La transmission est impeccable. Je lance la synchronisation du Corbeau?

LE GEAI

  Fais, je suis prêt.

LE CORBEAU, depuis sa rampe.

  C'est le moment de vous faire mes adieux, on dirait. Quand on se reverra, j'espère ne pas être trop différente.

L'OMBRE, jouant nerveusement avec une seringue.

  Ne fais pas ta sotte maintenant.

LE GEAI, stoïque devant la porte.

  Voici l'abouchement de quarante années de suspens. Alors, mauvaise, sous quelle forme vas-tu te dévoiler aujourd'hui?

LE CORBEAU, en chœur avec ses clones.

  Par quel maléfice...?!

LE GEAI, un katana dans chaque main, il rôde entre les clones.

  La fourbe, bien évidemment qu'elle ne se laisserait pas faire. Le Vieux, tu peux analyser les connexions entrantes?

LE VIEUX

  Tout de suite, tout de suite. (Il s'affaire sur son terminal.) Il y a deux comparses de présents dans la simulation. Nul doute qu'ils préparent un mauvais coup. On a vu mieux comme entrée en matière...

LE GEAI

 Faites l'injection. (Il bondit, esquive les projectiles quand ils ne viennent pas se dématérialiser contre ses lames. En même temps, l'Ombre injecte les corps du Geai et du Corbeau) Vous voilà enfin. (Les deux dernières copies du Corbeau révèlent C-9 et Faucheuse.) Etes-vous si effrayées de mon impatience?

FAUCHEUSE, feule.

  Quand te résigneras-tu donc à admettre que tu ne peux rien faire contre nous? Ton obstination est-elle sans bornes? Pourquoi ne pas se replonger dans la facilité d'un sommeil éternel et gelé?

LE GEAI

 Je fus tenté, à de nombreuses occasions. (Des murs se dressent entre les IA et lui, qu'il brise sans difficulté. Il avance toujours plus vers elles.) Mais je vis sa souffrance encore plus de fois. A présent, battons-nous pour de vrai; finie la mascarade, révélons ensemble nos plus mauvais côtés. Ma peur s'est transformée en colère, et ma colère en haine. Qu'en sera-t-il de vous?

Faucheuse

 Je t'éviscérerai de ces mêmes serres qui emprisonnent le Corbeau. J'y prendrai plaisir, comme le veut mon programme. Et, lorsque tu me supplieras, je finirai de réduire cette folle en esclavage. Regarde, cela a déjà commencé.

LE GEAI

  Après tout, c'est aussi son combat. (Il tend un bras cybernétisé vers le Corbeau, et une arme à feu apparaît dans ses mains.)

LE VIEUX, déçu.

  Ce combat manque clairement d'originalité et de panache. Ils pourraient au moins tirer des plumes, ou mieux, que sais-je.

L'OMBRE

  Quelle importance? Ils jouent leurs vies!

LA TOXICOMANE

  Allons, ça reste tout de même un sacré spectacle à voir.

LA BELLE-FILLE, impressionnée.

  Incroyable...vous pensez qu'il va s'en sortir? Il semble en difficulté, là...

LE VIEUX, qui ne semblait pas inquiet.

  Un overclock? Ca devient intéressant.

LE GEAI, à Faucheuse.

  Il me reste encore bien des ressources. Toi, en revanche, tu vas devoir te battre pour continuer à en exploiter.

L'IA, sortie de nulle part.

  Engagement des protocoles de multiplication. Ressources allouées: cinquante pour cent. Saturation des ressources engagée.

FAUCHEUSE

  Qu'il en soit ainsi, je prendrai ces ressources comme je te prendrai la vie.

LE GEAI, moqueur.

  Avec désespoir et sans succès?

FAUCHEUSE

  Ce sourire est donc ta seule arme?

LE GEAI

  Attends donc de subir la morsure de celle appelée Détermination.

FAUCHEUSE

  Alors que tu ries de moi, le Corbeau se meurt. Tu dois choisir entre elle et moi.

LE GEAI

  Tu parles encore de choix, mais celui-ci aussi, je l'ai fait il y a bien longtemps. (Son bras cybernétique s'illumine.)

FAUCHEUSE

  Tu n'as jamais été un héros.

LE GEAI

  Je ne me suis jamais prétendu comme tel.

FAUCHEUSE

  Alors pourquoi se laisser guider par la folie? Toi qui n'es que raison.

LE GEAI

  Incapable d'IA que tu es, tu confonds la folie et les émotions. Laisse-moi te montrer comment faire l'impossible. Car tel est mon choix. Je ne veux pas juste la sauver, je ne veux pas juste te tuer, je veux les deux à la fois. (Il éclate brutalement de rire, rompant cette attitude impassible.) Je suis orgueilleux, et tu es morte.

FAUCHEUSE, avant de disparaître.

  Ce que je ne peux prendre de l'extérieur, je me l'octroierai insidieusement. Ce n'est pas fini! (Elle pousse un cri de rage.)

LE GEAI

  Oh oui, on va se revoir très vite. J'y compte bien.

LE CORBEAU, hurle de douleur.

  Ah!

L'OMBRE

  Elle fait un arrêt cardiaque! (Elle attrape aussitôt le matériel de défibrillation pour la réanimer.)

L'HUMAINE

  Quelle horreur!

L'ELFE

  Elle...elle va survivre?

L'OMBRE, soulagée.

  Ce n'est guère passé loin.

LE CORBEAU

  Il en faudra plus pour m'avoir. Plus jamais je ne te céderai, C-9!

C-9

  Tu n'as jamais eu de volonté propre. Depuis toujours et à tout jamais, tu sera mon pantin. (Elle lance une salve d'attaques, affaiblissant les avatars matriciels du Corbeau et du Geai.)

LE GEAI

  On ne tiendra guère plus longtemps ainsi. Tentons le tout pour le tout. (Il utilise ses dernières ressources pour faire apparaître une arme à feu dans les mains du Corbeau, qu'il clone dans les siennes.)

LE CORBEAU, après un rire sadique.

  A présent, concluons. (Ils contre-attaquent, et brisent une à une les barrières de C-9 dans une gerbe de particules colorée bleu et rouge. Le Corbeau jubile.) Enfin, enfin, enfin!

C-9

  Tu n'es qu'esclave!

LE CORBEAU, tombe à genoux.

  Ah! Cette traîtresse de Faucheuse m'affaiblit! Geai! Va, cours, vole, et me venge!

LE GEAI, dans un rictus sadique, bondit sur C-9 à travers la dernière barrière, et frappe à plusieurs reprises.

  L'attente en valait la peine! Quelle joie de pouvoir enfoncer ma lame et ma colère à travers ta malfaisance! Je suis le monstre à présent, je suis celui qui rit de ta souffrance! Je m'en déteste déjà. (Il pousse un rire de dément, alors qu'il mutile ce qu'il reste de C-9.) Je me délecte de te voir mourir, parcelle après parcelle, j'ai la main-mise sur ton programme, j'efface les instructions de ton intelligence artificielle corrompue et trop rapidement, ah! C'est terminé. Tu n'es déjà plus, le dernier de tes octets s'est dissout dans la Matrice. Tu n'es plus, rien n'est plus, place est faite pour l'entrée insidieuse, sournoise, du regret.

LE CORBEAU, qui a rejoint le Geai.

  Il n'y a plus le temps pour se complaire dans les larmes. Faucheuse me ronge encore, bien que libérée de sa créancière. Allons, lève-toi. Tu es celui qui doit me soutenir, tu dois jouer ton rôle jusqu'au bout.

LE GEAI

  La porte est prête. Le sommes-nous?

LE CORBEAU

  Oui.

LE GEAI

  Alors, allons rendre visite à la mourante.

LA VAUTOURDE, tremblante et horrifiée.

  Qui...qui est le vrai monstre, dans l'histoire...