EDC de 35633

J’étais assis à mon bureau, devant le deck ancienne génération qui apparemment avait aussi mal vieilli que la ville elle-même.
D’une certaine manière, les « technologies » évoluaient tout comme les « idéologies », les nouvelles remplaçaient à peu près au même rythme les anciennes, et si on suivait pas le mouvement, on devenait vite fait un vieux schnock ringard qu’il restait plus qu’à balancer aux ordures. Mais au fond, est-ce que l’évolution était forcément bonne ?

Un sourire se dessina sur mon visage. Je me voyais déjà me faire insulter de réactionnaire par un de mes prochains interlocuteurs. Comme si l’éternité ne nous permettait pas de prendre le temps de nous fixer, de conserver nos idées ou même -pire encore- de les prôner alors que d’autres l’ont déjà fait avant nous, comme si tout ce qui avait été utilisé une fois devenait obsolète et inutilisable, comme si, pour pousser la métaphore un peu plus loin, ne pas changer de chaussettes tous les jours et les jeter à la poubelle, c’était du conformisme.

Je m’égare… Après tout. L’avis des autres, j’m’en brosse.

J’suis sûr d’être un type bien.
Un descendant de sang humain, un patriote du Secteur Un.
L’Etat a fait de moi un homme pas un larbin,
On m’a seulement appris à faire le bien.

Je relisais une dernière fois le rapport sur ses années de travail en solitaire. Oui, travailler seul, autant que possible… Pourquoi s’embarrasser de collègues sur lesquels on peut à peine compter ? Eux qui sont prêts à te planter un couteau dans le dos dès que tu leur seras passé devant pour les doubler. Surtout que de toute manière on n’est jamais mieux servis que par nous-même.
Depuis longtemps, agent triple ou quadruple –simplifions à double…-, on continuait à croire en mes mensonges, on continuait à me suivre, à m’avouer ses secrets inavouables en croyant que je ne répèterais jamais rien... Qui a dit que les gens ne feraient jamais confiance au directeur des SRI..? Il y a quelque chose d'effrayant dans le fait que les mots suffisent toujours à convaincre, les maîtres de cette ville ne seraient-ils pas tout simplement les plus beaux parleurs ?
Promesses non tenues, rapports, trahisons, et tout ça emballé dans le gros colis du « Pour la gloire de l’Empire ! » cacheté d’un timbre « La fin justifie les moyens », car oui, après tout, sauver l’humanité, n’y a-t-il rien de plus noble..?

J’suis sûr d’être un type bien.
Un descendant de sang humain, un patriote du Secteur Un.
L’Etat a fait de moi un homme pas un larbin,
On m’a seulement appris à faire le bien.

Tout était en ordre, j’allais pouvoir envoyer, je m’apprête à presser la touche qui transmettra le tout à l’Ambassade, mais, quelque chose me retient, une boule au ventre. Qu’est-ce que j’suis en train de faire ? J’prends soudainement conscience qu’il y a un truc qui m’échappe, que je n’ai pas rassemblé toutes les pièces du puzzle, qu’il me manque encore les conséquences de mes actes.
Merde ! Faut que j’arrête de me questionner, j’ai pas de temps à perdre en réflexions futiles. Je suis fait pour servir, protéger ma patrie contre cette menace dissidente et si j’agis pas maintenant, c’est moi qui serais responsable des dégâts que ça entraînera. Oublier les doutes, faire renaître la fierté de trahir des faux proches pour faire plaisir au patron. Le message est parti, l’affaire est bouclée une de plus, Imperator serait content de moi.

J’étais sûr d’être un type bien.
Un descendant de sang humain, un patriote du Secteur Un.
L’Etat a fait de moi un homme pas un larbin,
On m’a seulement appris à faire le bien.
Pourtant, j’viens de flanquer en l’air la vie de vingt concitoyens.

♪ Ambiance ♪