EDC de 25869
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Plume
Arracher des mots de son cœur, poignées de lettres mal choisies mais nécessaires, et les jeter au large. L'urgence, la houle. Au loin, des formes et des couleurs, une clé, du sens. Les mots flottent au bord de l'eau et dérivent lentement. Certains disparaissent dans les abysses. D'autres se laissent agencer et me permettent d'avancer. Je trébuche sur une phrase. Quelques syllabes m'échappent. Percutent les flots, des lettres éclaboussent. Un phonème coule le long de ma jambe, mutilé.
« Ani ».
Je me retourne, le rivage est loin maintenant. A l'horizon , toujours mouvantes, les couleurs sculptent des nuances. De sens. Trois lettres tourbillonnent à l'infini, des « a », des « i », des « r ». Je respire un grand coup et plonge à nouveau une main invisible. D'autres mots. J'avance, encore. Je devine le brouhaha derrière les nuages. Des pots d'échappement qui toussent, une enveloppe encore scellée. Je saigne un peu.
A droite, un paragraphe dérive et près de lui, une tâche sombre effleure la surface par intermittences. Je détourne les yeux et encre le chemin de plus belle. Le temps s'essouffle. Je reprends le mien. D'autres formes sombres se laissent malicieusement deviner au fond de l'eau. Je m'accroche à mes lettres, plie les mots, esquinte mes phrases en m'y hissant lourdement. J'ai peur de tomber. Je ne saurais pas nager dans ces eaux. Devant, ça illumine toujours. Les couleurs, les formes. Le sens. J'essaie de remonter les bonnes lettres, dans le bon ordre, j'essaie de jeter les bonnes phrases, celles qui pourront refléter une partie des couleurs, une partie de l'horizon. Pour que je puisse rejoindre l'autre côté en glissant sur sa reproduction imparfaite. Et le découvrir réellement. Et y mourir. Enfin.
Les trois lettres qui tourbillonnaient sans cesse se sont tues. De nouvelles me giflent. Des consonnes, uniquement. Je plisse les yeux à mesure que l'eau se recroqueville, dévorée lentement par les tâches malicieuses qui s'amusent désormais à laisser entrevoir non plus leur ombre mais celle des flots absorbés. Une vague bleue passe à ma gauche. L'air empeste. Des majuscules agressives remplacent les nuages, le même mot se formant partout dans le ciel et engendrant son clone à sa suite. Le nom du bruit, le nom du son. Je n'entends plus rien, plus rien d'autre que ce mot hideux, difforme, bourdonnant, qui a fait fondre le ciel comme les formes sombres ont fait fondre la mer. Je continue d'y plonger la main, les lettres ramassées se faisant plus poisseuses à chaque fois. Je serpente au hasard sans pouvoir plus me détacher du mot dans le ciel. Il poursuit sa reproduction anarchique, se dévorant lui-même en certains endroits. Certains clones boursouflés tremblent sous leur propre poids. Gorgés de bruit. Leur force d'expansion s'affaiblit et les laissera bientôt seuls pour répondre de leur propre masse. Quelques uns s'effondrent déjà dans le silence le plus strident que je n'ai jamais éprouvé. Des plaques vaseuses jaillissent alors hors de l'eau et foncent vers le ciel. Mes tâches sombres. La vase empêche de les distinguer clairement mais je reconnais un souvenir sur l'une d'elle, brièvement, avant qu'elle ne percute le mot qui l'a arrachée des flots et disparaisse.
Je plonge une nouvelle fois la main, tout est brûlant. La mer est vapeur. Tout est noir en bas, et en haut également. Des milliers de lettres volent vers le noir du haut. Toutes sont à l'envers. Les mots se sont effondrés, et tout est aspiré. Moi avec.
J'ouvre les yeux.
Vivant.
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Pages blanches
31 Mai 2015
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