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Pantin

Ne tape pas trop fort, s'il te plaît. L'enfant au fond est recroquevillé, tu ne crains rien. Il ne crie plus, ne se débat plus et ne cherchera plus à s'enfuir. Alors, je t'en supplie, ne tape pas trop fort. Les feuilles d'automne ne lui inspirent plus grand chose, il ne lâche plus le trottoir des yeux. Quelques flocons tombent, ici et là. Trop peu pour ne serait-ce que colorer les buissons, et puis de toute façon le bruit rigolo des pieds qui s'enfoncent dans la neige ne représente plus l'insouciance.
La neige est rouge, souvent. Si ce n'est ici, quelque part ailleurs. Et ailleurs, tous les ailleurs, sont ici. Certains jours, il se réveille le souffle coupé et quand il se lève enfin, il est persuadé qu'il en a terminé avec tout ça. Le dernier jour. Et puis il tombe sur une jolie musique, caresse fantômatique, rassurante, comme une bouffée de tabac reçue en plein visage. La bouffée d'un ami, des choses futiles et des souvenirs immortels. Les événements se vivent dans l'éternité mais leurs souvenirs se flétrissent, fanent lentement et pourrissent. Disparaissent. A moins qu'une mélodie perdue ne les ravive, par surprise.
Les notes fragiles se faufilent un chemin entre le désespoir ébène, les cellules à moitié malignes et le cœur bientôt souffreteux. Elles virevoltent dans le noir, qu'elles éclairent faiblement à mesure qu'elles s'accordent, s'entrelacent, se repoussent et s'espacent. La comptine inspire le souffle qui l'a vue naître et charrie des souvenirs éparpillés dans son sillage, ranime une innocence plus innocente que l'innocence originelle. Un petit pantin sans ficelles, assemblage d'une mémoire qui, exaltée par les tons, rassemble d'elle-même des fragments de passé. Une chaussette de Noël cousue au cours primaire vient s'accoler à la reconstitution parfaite d'une après-midi d'été au bord de l'eau, volutes bleus et cigales rêvées.
Le pantin se lève.
Le soleil brûlant sur la peau, emporté par un souffle de notes, des rires, un feu de camp.
Le pantin lève un pied.
Le bus, la cour.
Le pantin marche.
Les craies.
Il sourit et salue l'audience.
L'odeur de la pluie quand on ne s'est pas assez hâté, un jouet.
Il respire.

L'éternité est morte, l'idéal aussi. Ne frappe pas trop fort, l'adversaire ne s'est déjà pas relevé au dernier coup. Ni au coup d'avant. L'éternité sommeille sur la table d'opération. Du sang partout sur les murs, il n'y avait personne pour poser un garrot. Quelques seringues traînent encore au sol, vides. Il n'y avait personne pour y mettre un médicament. Les couloirs, sombres et aux murs neutres, sont désertés. Le pantin ligoté, agonisant, attends la fin. Les feuilles mortes, la chaussette de Noël et la nuit étoilée sur les bottes de foin, attendent la fin. Les souvenirs périment lentement, perdant une nuance de couleur un jour, un souffle de vrai un autre jour, avant de s'oublier complètement.
Parfois, s'il n'est pas trop tard, une mélodie perdue réveille l'éternité et parfois, elle marche suffisamment longtemps pour prendre conscience d'elle-même. Ne frappe pas trop fort, à genoux je t'implore. Il n'y aura un jour plus la moindre mélodie pour se frayer un chemin, plus d'étincelle pour insuffler le mouvement et emporter la mémoire. Plus rien pour jouer avec, travestir, embellir et créer la réalité, l'idéal et l'éternité. Alors, quand le pantin restera allongé et que les murs résonneront de leur propre silence, tu auras tout gagné. Retiens tes coups, retiens tes coups, réalité, retiens tes coups.

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Pages blanches
16 Janvier 2015
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