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EDC de 20754

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9. Acta est fabula ?

Sa vue glisse sur la Ville comme la pluie frappe le trottoir.
De pâles lumières percent les ténèbres étranglant la Cité. Sous le cuivre usé du smog s'agite l'Humanité. L'une des punaises regarde ses semblables depuis la baie de plexiglass.

L'homme est seul. Il ne pense vraiment que seul. Ailleurs il agit, sourit, ordonne, exprime, court et s'agite au rythme des répliques préméditées. Le dernier acte est en cours.
Seul dans la Cité se trouve son reflet. L'ombre de son visage écrase les immeubles, oppressante figure déchirant le ciel de sa sévérité. Esquive du regard pour s'épargner un rappel gênant. Il est temps. Effleurement contraignant du cuir lisse sur ses mains, cilice de toujours, noir gardien de ses rêves.
Devant lui crépite la vie, dans le vrombissement silencieux et tragique d'un orage dont il n'entend rien. Dehors s'agitent les hommes, et sous la pluie coule le sang.
Nous naissons entre la merde et l'urine, d'un peu de sperme et de soupirs. De sentiments aussi...il y a longtemps. J'aime un jour, j'aime toujours. Toujours ? L'homme a-t-il seulement entraperçu le sens de ce mot, tandis qu'il renoue chaque jour un fil brisé ? Sisyphe n'était pas un héros. Il était en avance, voilà tout.
Quelque chose ne tourne pas rond sur terre.
Devant lui crépite la vie, oui, et la mort aussi.
L'homme se détourne. Face à lui, dans un bunker centenaire du Mur Sud, naissent et meurent des lumières sans vie. L'horizon de béton est constellé de signaux, et les données glissent par hologrammes dans une valse enivrante et sans écart. Constellation ordonnée, radieuse, magique, orthodoxe...totalement inhumaine. L'homme s'avance, et chacun de ses pas lui font entendre les gémissements du Monde. Il n'entend pas ceux de la Ville. Personne ne les entend plus.
Au-delà du Mur, la vie. Mais elle ne veut pas d'eux. Au delà du Mur, leur mort. Ils n'en veulent pas non plus. Stilicon a ordonné le viol de la nature pour gagner une éternité de plus. Les deux parèdres se moquent de l'Homme nu, à genou, vaincu.
Oui, Stilicon a voulu offrir une éternité de plus aux Hommes. Mais la méritent-ils ? La mérite-t-il lui-même ?
Stop.
La caresse assassine de la mélancolie le trouble à nouveau.
Les minutes s'écoulent comme des années. L'homme inspire...le Legatus expire.
L'homme ignore que ses iris ont changé trois fois de couleurs en moins de 49 secondes, tandis qu'il chasse ses songes en scrutant les panneaux d'observation. La progression est rapide. Ils y arriveront. Ses yeux suivent les points. D'ici, tout est calme. Dehors, tout est souffrance.
Stilicon s'assied dans le fauteuil usé par le temps. D'un geste machinal, il tourne légèrement sur lui-même. Image pathétique de l'Humanité en attente. L'illusion de contrôle est totale, et la loge est grandiose. A sa gauche, la grande roue de l'Humanité résiliente. A sa droite, l'abîme de la Vie véritable.
A force de s'adresser à la Cité, il se tait depuis trop longtemps. L'affect est le plus fort, et si aucun mouvement n'anime son expression, son âme, elle, s'extirpe de ses lèvres dans un murmure infini qui brise le silence :


Dans les impalpables
Agonies inhumaines
Les âmes sans sommeil
S'entretuent à l'amiable.


Les mains gantées pianotent. Des noms apparaissent, ternes sur un écran. Des dates indiquent la perte de leur chair écrasée sous leurs rêves, abattue par un autre.
Ils ne sont qu'une poignée
Et meurent à la chaîne
Les humains indigènes
Au sein de la Cité
Les iris de Stilicon portent à nouveau sur l'extérieur et caressent les hautes tours, sinistres ziggourats sans plus aucun sens du divin. Sans guère de sens tout court du reste.
Donner un sens, n'était-ce pas précisément ce qu'il avait tenté ? Ce qu'il avait répété, d'une voix si forte et régulière qu'elle en était devenue, déjà, trop routinière pour certains ?
L'éternité suppose l'ennui. L'ennui suppose le changement. Le changement se fait éternel, continuel, cyclique. Si le Leviathan impérial ne veut pas mourir en dévorant sa propre queue, il lui faut savoir où aller...

Le smog est de cuivre
Je n'en vois pas la lune
Les écrans s'illuminent
J'accepte les rancunes.

Le Legatus se lève, tandis que les données du drone continuent d'affluer à leur rythme. Il s'approche à nouveau de la baie peu à peu battue par la pluie. Dans une stupide réaction d'orgueil, Stilicon s'imagine qu'on pleure son départ. Il n'en est rien, évidemment.
Le monde ne pleure pas. Il regarde passer l'Homme.

Dans les impalpables
Agonies inhumaines
Les âmes sans sommeil
S'entretuent à l'amiable.
Le Legatus joint ses mains gantées dans son dos. Il étreint de nouveau la Cité de son regard, pensant au Sien.
Je suis l'Homme proche de son échéance
Qui regarde la Cité s'ébattre dans le sang,
En murmurant tout bas des vers s'ajoutant
Au cynisme teinté d'une droite allégeance,
Que je n'ai pas trahi...

Un temps.

Tu sais, je sais où Tu es allé.
J'arrive...
La mélancolie le quitta. Ses vies avaient un sens et l'objectif n'était pas encore atteint. Le serait-il même un jour ?
Acta est fabula ?
Non.
La pièce n'est pas encore jouée.

◊ Commentaires

  • Kmaschta~1932 (234☆) Le 21 Janvier 2013
    Entre Equilibrium, Inception et American Psycho ...
  • ThOr~1676 (29☆) Le 22 Janvier 2013
    très bien écrit comme souvent, je doit avouer que j'ai revu Thor à son époque Ambassadeur dans ces lignes, comme quoi Stilimarley est bien l'apprentis de son père... ou le fils de son mentor... rah satané glace qui me bloque les neurones!
  • Manerina~6356 (1552☆) Le 22 Janvier 2013
    Non, je ne vais pas commenter à chaque fois pour redire les mêmes choses, fan club, demande en mariage, tout ça...
  • L-X (1536☆) Le 22 Janvier 2013
    Le smog n'est que fumée,
    La lune est miroir,
    Dans la lumière, la vérité
    et dans ton âme, le noir...
  • Ella~7202 (137☆) Le 25 Janvier 2013
    'Le monde ne pleure pas. Il regarde passer l'Homme.' le roi est mort, vive le roi.
    L'ironie de la vie qui s'arrete jamais pour rien, ni personne .. non elle continue.. cruelle.. dure.. souriante..nous laissant derriere si on arrete de bouger