EDC de 11441

Quand le cri mourut enfin, Silence s'effondra pour se réceptionner sur ses pattes. "Des pattes?". Celui qui était encore un Cyborg la nuit passée contemplait maintenant deux pattes préhensiles, recouvertes d'une fourrure noire comme le jais. Même ses prothèses semblaient avoir subi une grotesque transformation animale, sauvage. Un vase métallique lui renvoyait en pleine face l'image déformée d'une créature impie. Ce qui de son corps n'était pas synthétique était couvert d'un épais exosquelette sombre et mat visible sous ses bandages en lambeaux, comme si tout ce que sa carcasse contenait de métal et de plastoïde avait été forcé à l'extérieur.

"C'est lui. C'est LUI! IL est revenu!". La Bête en lui qu'il croyait avoir réduit à néant avait pris le dessus, il ne voyait que cette explication. Les odeurs le submergèrent soudain, au point qu'il cru se noyer dans une bouillie vaporeuse d'hormones, de transpiration et de phéromones. Tout ce qu'un organisme biologique pouvait secréter de molécules fouettait ses narines, lui provocant un écoeurement insupportable. Silence avait besoin d'air, n'importe où, n'importe comment. Reprendre le dessus, mettre fin au cauchemar, se concentrer. "Se concentrer sur la douleur salvatrice". Il découvrit à quel point ses griffes étaient affutées lorsqu'il s'élança dans le couloir menant à la salle, trébuchant, laissant ses marques sur les murs.

Malgré sa vue plus nette et élargie, bien que les couleurs lui parurent plus ternes, il ne reconnut aucune des créatures installées au comptoir. S'avançant sur un grondement étouffé, humant l'air emplit d'odeurs qui ne lui étaient pas familières, c'est un piège à ours plus qu'une gueule garnie de crocs qu'il leur présenta, alors que son esprit s'étiolait sous une peur primale. Son crâne lui donnait semblait sur le point d'imploser, et IL envahit à nouveau toutes ses pensées, menaçant de faire voler en éclat le confinement de sa folie. "Que ça s'arrête. Que ça s'arrête. J'veux qu'ça s'arrête." Silence s'écroula sur ses pattes postérieures qui ne le tenaient plus et se replia sur lui-même au milieu des individus méfiants, à la limite de lacérer son visage avec ses propres griffes.

Un Elfe fit l'erreur de s'approcher trop près, de tendre une main trop loin. Et sans même écouter ce qu'il disait, Silence se jeta sur lui comme un démon répondant à son instinct seul, un instinct enfoui depuis des années sous une épaisse couche de normalité. Il n'en fallu pas plus aux autres pour réagir, et tandis que l'Elfe envoyait valser le fauve noir trop peu accoutumé à sa nouvelle condition, les agrimensors déchiraient déjà ses chairs là où la carapace ne le protégeait pas.

Jeté à terre comme un gros écureuil inerte, il essaya en vain de ramper en sécurité vers la pièce qu'il avait quitté moins d'une minute auparavant, ne réussissant qu'à labourer le sol d'une unique patte. Sur le point d'être expédié ad patres, il fut sauvé par l'Elfe même qu'il avait voulu éventrer sans en savoir la raison. Sombrant dans l'inconscience, il ne percevait plus que le grincement de sa cuirasse sur le sol, tandis qu'on le traînait pour l'allonger sur un large bureau. Le reste ne fut qu'un enchevêtrement de voix s'évanouissant rapidement tandis que ses yeux d'un bleu éclatant, seuls reliques de ce qui fut son corps, se fermaient pour le laisser dans l'obscurité.